Chapitre 3 - Celui qui a beaucoup d'amis les a pour son malheur, Mais il est un ami plus attaché qu'un frère.

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Ils sortirent à l'air libre et traversèrent le fleuve en passant par le pont, le Yéyé n'était plus là.

« On pourrait prendre le métro, mais il faut que tu découvres la ville pour ne pas te perdre, dit Fiona.

— Vous prenez le métro ?

— Ça dépend de ce qu'on a à faire. »

Charles ne répondit pas, se demandant ce qu'un mort pouvait bien avoir à faire de ses journées.

« Si tu as des questions, n'hésite pas à nous les poser. Plus tu nous parleras et moins ton esprit ou plutôt... Ton éther, comme dit Maggy, sera engourdi.

— Tu ne te sens pas mieux depuis ce matin ? » questionna Greg en tenant toujours Hugo par la main.

Charles répliqua à l'affirmative.

La journée continuait à être belle, les passants autour d'eux semblaient avoir chaud. Les terrasses étaient remplies; les gens finissaient de déjeuner. Quelques pigeons s'envolèrent à leur approche, Hugo les chassait en courant sur la route, traversée par les cyclistes et les passants.

Charles remarqua que Fiona traînait des pieds en marchant à cause de ses babouches trop longues. De dos, on pouvait voir ses cheveux à moitié tressés, attachés par de petits élastiques colorés. Les tresses s'agitaient au rythme de sa démarche. Il remarqua qu'elle avait des bleus sur ses jambes.

« Tu faisais du sport Fiona ? demanda-t-il subitement.

Elle se retourna avec un grand sourire :

— Oui, de l'athlétisme surtout. Et toi ? »

Charles se souvint des personnes présentes hier, à son enterrement, et des jeunes portant un maillot.

« Du tennis, je crois...

— C'est bien, si tu t'en rappelles.

— Pourquoi est-ce si important ?

— Marguerite t'expliquera ça beaucoup mieux que moi. Nous sommes arrivés. »

À l'angle d'une petite rue aux larges trottoirs, Charles vit un bâtiment moderne aux fenêtres colorées. Il y avait sur les vitres des animaux en tout genre peints au pochoir et des dessins d'enfants. Plus loin, un long portail donnant sur une cour goudronnée et quelques arbres. Il y avait des marelles, des balançoires, des cabanes en plastique.

Charles put lire sur un grand panneau fixé en haut de la façade en verre « Centre de loisirs Bel Air ».

Ils montèrent sur la boîte aux lettres avec la légèreté du vent et passèrent au dessus du mur.

Une dame ouvrit brusquement la porte d'entrée en souriant, Charles mit plusieurs secondes à réaliser qu'elle ne les voyait pas.

La dame était accompagnée d'une enfant et d'un homme qui semblait être son père.

« À très bientôt pour les ateliers poterie ! » lança-t-elle.

Le petit groupe la franchit en l'ignorant, la dame ferma la porte en frissonnant un peu.

À l'intérieur du bâtiment, il y avait de grandes vitres qui laissaient voir des pièces où se déroulaient des cours de danse, de peinture et de percussion.

« Voilà, c'est ici que nous sommes ancrés », annonça Fiona. Elle prit soudain une grande inspiration, ce qui sembla étrange à Charles et se mit à appeler : « Les enfants, nous sommes rentrés ! »

Sa résonna dans les couloirs jusque dans l'entrée, haute de plafond. Mais dans les salles de classe, les professeurs et leurs élèves n'entendirent rien.

Charles remarqua pourtant des ombres s'agiter, et plusieurs petites filles surgirent face à lui. En quelques instants, une nuée d'enfants apparut. Riant et sautant, se précipitant à la rencontre de Fiona, Marguerite et Greg.

Certains étaient en pyjama, d'autres en sous-vêtements. Charles en nota deux en maillot de bain. Ils étaient tous âgés entre cinq et douze ans. Mis à part leurs vêtements et leur silhouette pâle, ils ressemblaient aux autres enfants du centre de loisirs.

Fiona appela doucement au calme et tous s'assirent par terre, au milieu du hall d'entrée.

« C'est bientôt les vacances, vous êtes contents ?

— Oui, il va y avoir beaucoup d'ateliers !

— Et Madame Gassy est venue conter des histoires.

— Nous jouerons tous ensemble demain, dit Fiona avec un grand sourire. Aujourd'hui nous allons vous présenter... »

Charles sentit le regard des enfants se poser sur lui et devint mal à l'aise.

Un silence de plomb s'installa, Fiona se racla la gorge et prit le temps de choisir ses mots.

Par expérience, elle savait que mal présentée, l'arrivée d'un nouveau membres pouvait avoir des conséquences désastreuses. La jeune fille sentait déjà la méfiance s'installer chez les Trépassés.

Elle décida d'être honnête :

« Charles est apparu hier, nous l'avons trouvé sur la place du centre ville, celle avec la fontaine. Tout comme pour vous, nous sommes allés voir le Clodo du Pont pour le faire recenser. Ce n'est pas un adulte. Comme il est apparu hier, il ne sait pas encore grand chose, comme vous au début. Il faudra tout lui expliquer. Charles ne se rappelle pas de sa vie de vivant, donc il ne pourra pas répondre à toutes vos questions. »

Les yeux étaient rivés sur le nouveau venu. Des regards remplis de curiosité et de méfiance.

« Qui veut faire visiter le centre de loisirs à Charles ? »

Des mains se levèrent, Fiona sentit un poids se retirer de ses épaules.

« Pour le moment, ils ont l'air d'avoir accepté son arrivée, dit-elle à Marguerite.

— Nous verrons cela dans quelques semaines, Emma vient de me demander si Charles allait bientôt rentrer chez lui. Il faut que j'aille relire mes notes. »

Fiona regarda Charles partir dans les couloirs, prise d'un mauvais pressentiment.

Les enfants traînèrent Charles dans tout le bâtiment avec des sourires. Ils lui énuménèrent les ateliers, les jours d'ouvertures et les noms des professeurs de musique ou d'arts plastiques. Le jeune garçon se laissa guidé calmement, à la fois intrigué et légèrement éffrayé par ces petits fantômes. Un des gamins insista lourdement pour l'emmener au cours de percussion.

Au moment où il poussa la poignée d'un geste sec, il fit entrer Charles dans la pièce. Les regards étaient tournés vers eux, et il lui sembla que tous pouvaient les voir.

La porte subitement ouverte les avaient fait sursauter.

« Encore ces courants d'air ! » pesta la professeur en la faisant claquer pour la refermer.

Le gamin qui guidait Charles se mit à rire et il prit place à côté d'un tam-tam, déjà pris par un autre enfant, bien vivant.

« En place, on recommence. »

Le petit fantôme s'installa à la place de l'enfant, lui passant au travers et posa ses mains translucides par dessus les siennes.

Les élèves se mirent à jouer, le son vibrant des percussions résonna dans la pièce.

Charles ressentit alors un choc. Comme le jour de son enterrement, les échos de la musique semblèrent converger vers lui, mais cette fois-ci avec plus de force. Il sentit son être vibrer et résonner.

L'autre gamin sembla ressentir les mêmes effets, Charles pouvait voir qu'il connaissait les notes des percussions par cœur, car il tapait en même temps que l'enfant qui jouait. Et c'était pour lui comme si la musique sortait de ses propres mains.

D'autres enfants arrivèrent en passant au travers de la baie vitrée et ils se mirent à danser sur le son des tambours et des tam-tam. Personne ne pouvait les voir gesticuler dans tous les sens.

À la fin de la classe, Charles s'ébroua comme s'il venait de jouer une longue partie de tennis. Il ignorait si cela venait des instruments, mais ses sens lui semblaient moins engourdis. Il décida de retrouver Fiona.

Il la chercha dans le centre de loisirs et l’aperçut finalement dans l'arrière cour, assise sur une des balançoires de l'aire de jeux.

Incapable de traverser les baies grandes baies vitrées, il sortit par une fenêtre ouverte pour la rejoindre. La jeune fille était songeuse, une de ses babouches tanguait du bout de ses orteils au rythme de la balançoire. Elle tenait la chaîne de l'autre siège à bout de bras, la faisant vasciller en même temps qu'elle.

« Fiona..., commença Charles, j'ai... des questions. »

Elle redressa la tête vers lui avec un grand sourire.

« C'est pas trop tôt ! Demande-moi ce que tu veux savoir. »

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