Chapitre 2 - Partie 2

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Ils quittèrent la place et sa fontaine pour se diriger vers les quais.

Charles avançait avec eux, il se sentait toujours mou et enveloppé d'une sensation qu'il avait du mal à définir. Ses sentiments passaient tour à tour de la surprise au soulagement, puis de la déception à une envie de liberté. Mais s'il était mort, n'était-ce pas étrange qu'il puisse ressentir quelque chose ? Cette pensée ne le traversa même pas, tant son esprit s'évaporait dans un brouillard épais.

Cependant, Charles voyait les choses plus clairement autour de lui : les parterres de fleurs brûlés par le soleil, les vitrines des magasins, des nuances de couleurs. Il savait que ces jeunes étaient morts, tout comme lui. Mais ils lui semblaient différents et Charles, sans trop savoir pourquoi, s'en méfiait. Ils l'emmenaient voir quelqu'un, il n'avait pas trop compris qui.

La plus jeune des deux filles, Marguerite, avait dit que cette personne l'aiderait à retrouver la mémoire. Mais une pensée fulgurante traversa l'esprit ralenti de Charles : pourquoi se rappeler ? Il n'en avait pas envie, il était libre de tout à présent.

La fille aux cheveux crépus se tourna vers lui en souriant :

« Comment te sens-tu ?

— Je ne sais pas... »

Elle hocha la tête avec un sourire encore plus grand :

« Tu te sens comme une gelée trop cuite, n'est-ce pas ? Ton corps est à la fois lourd et léger; et tes idées... ralenties. Tu ressens les choses sans les maîtriser. »

Il hocha la tête sans rien dire, attendant d'entendre la suite :

« C'est tout à fait normal. Tout le monde ressent ça au début. Quand on se réveille, tous nos sens sont comme... endormis. Nos souvenirs aussi. Nous allons t'aider. Tu verras qu'au fil du temps, tu redeviendras celui que tu étais avant ta mort.

— Peut-être mais je... je ne pense pas avoir envie de savoir qui je suis. »

La grande Fiona regarda Gregory et Marguerite, qui lui fit un signe de la main.

« Cela arrive aussi, ça dépend des personnes. Quand nous nous réveillons, nous ressentons un tel sentiment de liberté qu'on pense que plus rien n'a d'importance. Mais ça l'est, bien plus que tu ne peux le penser.

— Pourquoi ? Où est-ce que vous m'emmenez ? questionna subitement Charles avec défiance.

— Le voilà qui se met en colère, il a l'air d'avoir rien écouté, commenta Gregory en le raillant. Il change vite d'humeur.

— C'est normal, tout est nouveau pour lui.

— C'est encore un bébé, s'exclama le petit Hugo.

— Laissez-moi tranquille ! » s'écria Charles en essayant de se dégager du groupe.

Il fit demi-tour ; ils se trouvaient sur une promenade bordée de platanes, proche de la rivière qui traversait la ville. Sans trop savoir pourquoi, il se sentait vexé et agacé. Il ne voulait plus les suivre.

Il sentit soudain une pression sur son bras droit. En se retournant, il vit que Fiona le tenait fermement. Charles voulut y échapper, mais l'emprise de la jeune fille se fit plus forte. lI en était paralysé.

« Je sais que tout cela est nouveau pour toi Charles, mais tu dois nous suivre. Il ne s'agit pas que de toi, c'est aussi pour des raisons de sécurité, je te l'ai déjà dit. Tu as amené le Miasme en ville depuis le cimetière. C'est une chose dangereuse pour tous les fantômes qui sont ici.

— Je ..., commença Charles d'un ton arrogant.

Les yeux de Fiona brillaient d'autorité.

— Je sais que ce n'est pas de ta faute, mais si tu veux être... libre, tu dois nous suivre. Il y a des choses que tu ignores. Regarde, tu as attiré un Miasme vers le centre-ville, tu as bien vu qu'ils sont dangereux. »

Charles baissa les yeux et hocha la tête.

Fiona se remit à sourire, soulagée.

« Marchons encore, c'est tout près.

— Je ne pensais pas que tu allais réussir à le tenir immobile, ricana Greg en courant.

— Arrête de me sous-estimer, Gregory.

— Jamais, chef. »

Ils avançaient sur une piste cyclable, personne ne remarquait les trois enfants en pyjamas, pas plus que la grande fille aux babouches rouges. Charles marchait à présent tout penaud. L'emprise de Fiona l'avait paralysé. Comment avait-elle réussi à faire ça ? Il lui avait été impossible de bouger.

« Est-ce que cette partie de la ville te rappelle quelque chose, Charles ? demanda Gregory.

— Non, je ne pense pas...

— Pas même la place que nous avons traversée, ou les monuments ?... Je n'ai jamais vu une amnésie pareille. »

Des nuages passèrent dans le ciel, voilant pour quelques minutes la lumière du soleil. La matinée était avancée, l'air épais et la chaleur accablante.

Au loin se dessinait un long pont en pierre, enjambant le fleuve boueux qui traversait la ville. Le pont possédait des arcades sculptées et des bordures en fer forgées. De beaux lampadaires se dressaient tout du long et Charles pouvait voir des gens passer dessus à vélo. C'était un beau pont, à certains endroits doré à la feuille d'or. Le fleuve était haut, on pouvait voir le courant se mouvoir dans la lueur scintillante du soleil à sa surface. Il conduisait lentement les eaux et les débris vers l'estuaire pour les libérer dans l'océan.

Il y avait à côté un petit parc avec un saule pleureur et une aire de jeu grillagée. L'endroit semblait paisible à Charles, et il se dit qu'il se verrait bien y rester.

Il remarqua un homme allongé au pied du saule , adossé contre le tronc. Il avait les cheveux longs et le visage maigre, une chemise en jean brodée de signes rouges et jaunes, et il portait un pantalon à frange ringard en suédine. Sa silhouette transparente lui fit comprendre que c'était lui aussi un fantôme.

« C'est lui, le Clodo du Pont ?

— Non, là c'est Patrick le Yéyé. Je ne sais pas trop d'où il vient, mais je l'ai toujours vu traîner à cet endroit. C'est son point d'ancrage, comme on dit ; son territoire. L'endroit qu'il hante. »

Le Yéyé, qui semblait regarder les feuilles se balancer dans le vent depuis un long moment, se redressa à leur approche.

« Tu verras, continua Greg, il est un peu bizarre mais assez sympa. Hugo l'aime bien, il est gentil avec lui.

— Mais ne serait-ce donc pas Fiona et sa bande des Trépassés ? » fit le Yéyé avec un fin sourire.

Le Yéyé avait des perles colorées sur tous les bras et à n'en point douter, sa mort datait d'une autre époque. L'homme cachait ses cernes profondes et des dents mal chaussées derrière son attitude avenante.

« Vous amenez un nouveau compagnon, à ce que je vois... bonjour, petit Hugo », dit-il au gamin qui s'était accroché à sa longue jambe.

Charles ressentit Marguerite légèrement en retrait. Les yeux légèrement vitreux du Yéyé se posèrent à nouveau sur lui.

« C'est toi qui a fait sortir le Miasme du crématorium ?

— Oui, je suis désolé..., répondit Charles en se sentant soudain honteux face à un adulte.

— Si tu cherches David, ma belle Fiona, tu le trouveras dans son bureau.

— Merci Patrick, répondit cette dernière en partant en avant.

— Au revoir le Yéyé ! lança Hugo d'un ton joyeux.

— À bientôt, cher petit », répondit l'homme sans cesser de sourire.

Ils s'approchèrent encore du pont et Charles se demanda comment un bureau pouvait être installé ici.

Fiona et les autres enjambèrent le petit muret ceinturant la promenade du fleuve. Ils se retrouvèrent sur une petite piste de goudron et de graviers jonchée de détritus emportés par les vents et les courants.

Charles comprit que la piste servait de passage pour mener sous le pont. Un tel monument devait demander un certain entretien.

« Il n'y a personne par ici ? demanda t-il.

— C'est assez rare. Les clochards vivants ne dorment pas ici car le fleuve monte rapidement lorsqu'il pleut en hiver. Même le parc d'à côté avec le saule peut se retrouver inondé. C'est trop dangereux pour les vivants alors le Clodo du Pont en a fait ses quartiers. »

Sous les voûtes de pierre, leurs pas auraient pu résonner, mais mis à part les bruits de l'eau, rien ne se faisait entendre. Ils arrivèrent devant un escalier escarpé en béton couvert de mousse, collé au mur d'un arc en pierre. En haut se trouvait une porte qui semblait bien fermée. Sous les yeux de Charles, elle monta les marches et traversa la porte.

« Comment a t-elle réussi à faire ça ? » s'exclama Charles, qui se rappela qu'au moment de fuir le Miasme, il s'était écroulé contre le mur.

Gregory grommela :

« Fiona est plus âgée que nous, elle maîtrise mieux ses capacités de fantôme

— Comme traverser les murs ?

— Oui, ou bien te maintenir immobile comme elle l'a fait avec toi tout à l'heure. »

La porte s'ouvrit dans un cliquetis rouillé.

« C'est ouvert », dit Fiona en passant sa tête dans l'embrasure.

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