Partie 1 : premier cri 

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« Je n’ai encore jamais vu ça »

De 1996 à 1998,

Bien évidemment, je ne me souviens pas très bien de cette période. C’est pour cela que ce qui va suivre est une accumulation de témoignages racontés par ma famille ainsi que de mon ressenti.

1996, le 15 octobre, après un accouchement tardif, je pointe enfin le bout de mon nez et découvre ce nouveau monde ainsi que ma famille. Mon papa s’occupe beaucoup de moi, il me chérit, et est toujours là quand j’en ai besoin.

Maman m’aime aussi de tout son cœur; je suis sa petite fille adorée et, même si elle n’est pas à l’aise avec moi et n’ose pas encore me prendre dans les bras, elle m’aime du plus profond de son être. Elle ne sait juste pas comment faire, comment s’y prendre. Elle pense peut-être que je suis fragile et donc facile à blesser.

Malgré ses différentes angoisses, elle fait de son mieux pour m’élever et je ressens son amour, un amour inconditionnel. Tout commence donc parfaitement bien. Je grandis dans les meilleures conditions possibles et je n’ai pas de souci de santé.

Mes premiers pas se font à Brest. Par amour, papa a pris la décision de suivre maman qui venait de trouver un travail en tant que préparatrice en pharmacie à l’hôpital de La Cavale Blanche. J’ai le souvenir que ce métier n’était pas son premier choix. Elle, ce qu’elle voulait faire, ou plutôt avoir, c’était une vie d’artiste. Malheureusement, à cette époque, il fallait trouver un métier qui rapporte un minimum d’argent pour subvenir aux besoins de la famille. Elle s’est donc résignée à ce métier plus “convenable”.

Mes parents se sont rencontrés dans le sud Finistère, c’est là que tout a commencé. J’ai la conviction depuis mes débuts que c’est aussi là-bas que tout se terminera. En attendant, c’est à Brest que nous décidons de poser nos valises.

Papa partage son temps entre son travail de gardien d’immeuble et d’aide ménager. J’ai toujours été fière de lui et de son parcours, il s’est toujours débrouillé pour réussir. J’aurais adoré le voir quand il était vidéaste lors de mariages, avec son ami Marco. Ce métier qui, par la suite, m’a fait tant rêver, mais ce n’était pas son rêve à lui. C’était juste un passe-temps. Son truc à lui, c’est la moto et le vélo. Avec sa 1000rx, il s’amuse à mettre son casque sur ma tête; je crois qu’il voulait déjà que je devienne à mon tour motarde. Cependant, je n’ai encore que quelques mois et la priorité, c’est la voiture. Il vend donc sa précieuse moto et se concentre sur le vélo.

Il se donne à fond au point de construire son propre vélo de A à Z, d’être incollable sur les plus grands cyclistes. Il se lie même d’amitié avec certains et se lance le défi de la course du Paris-Brest-Paris.

Après un an de préparation, et malgré sa tendinite sur la fin de course, il donne tout pour y arriver. Il m’a appris que, si on le veut vraiment, au plus profond de soi, on peut tout réussir. Il suffit juste de croire en soi et en ses capacités.

Son métier idéal est donc forcément en lien avec ces véhicules. Il aime les réparer, les vendre, et a du talent pour ça.

Papa parle, parle, encore et encore… Il a la tchatche comme on dit et il ose parler sans peur. Je pense qu’il doit - en partie - sa réussite à cela : il va de l’avant, va voir les autres, et discute tout naturellement.

Les semaines passent et, en attendant que notre maison se construise près de Plabennec, nous vivons dans un appartement près du quartier de Kérinou, à Brest. Pour l’anecdote, 18 ans plus tard, j'emménagerai dans mon premier appartement tout près de là, à même pas cent pas.

Nous ne restons pas longtemps dans cet appartement, puisque nous emménageons dans notre maison à la fin de l’année 1997, soit un an après ma naissance.

Je grandis dans un environnement sain, rempli d’amour. Les photos et vidéos parlent d’elles-mêmes. Je me sens bien dans cette maison.. Maman la décore avec ses tableaux et autres objets plus ou moins farfelus. Nous avons un grand jardin fleuri. En été, nous profitons de la terrasse pour parfois manger dehors. J’aime l’atmosphère qui s’y dégage et le bonheur qui y règne.

1998, j’ai 2 ans et mes premières années de vie ont été idylliques. Pourtant, c’est bien cette année-là où un tsunami a soudain dévasté notre famille. Cette vague que je me suis plus tard tatouée sur ma peau, fera de moi la femme que je deviendrai.

Les souvenirs sont bien évidemment peu nombreux, mais quelques images persistent, gravées en mémoire ; des images que je décide d’écrire pour ne jamais oublier.

Je suis bien trop jeune quand on nous annonce sa maladie. C’est la première fois que nous allons entendre la phrase qui marquera notre parcours, elle sera prononcée de nombreuses fois, jusqu’à son dernier souffle : « Je n’ai encore jamais vu ça ». Ces mots résonneront encore des années plus tard.

C’est son gynécologue qui nous l’a dite pour la première fois. Après divers examens, le diagnostic tombe. C’est un cancer.

Premier cancer : Endocol de l’utérus

Son premier cancer se situe au niveau de l’endocol de l’utérus. Les premiers résultats sont négatifs, il faut approfondir les examens pour le diagnostiquer.

C’est un cancer si rare que son médecin, pourtant expérimenté, est obligé de demander l’avis de ses confrères parisiens afin d’assurer une prise en charge optimale.

Les premières semaines de traitement arrivent vite et elle subit quarante-cinq séances de radiothérapie contre une vingtaine en moyenne pour un cancer du col de l’utérus.

Ces séances la détruisent, elles attaquent les cellules malades mais aussi tout le reste : intestins, vessie, utérus, estime de soi, morale, tout y passe…

Elle devient stérile à 34 ans.. Elle dit se sentir violée, abattue, détruite. Son corps ne lui appartient plus, mais appartient désormais à la médecine.

Par la suite, j’ai pu retrouver des lettres où elle explique son calvaire, sa souffrance. J’en pleurerai encore des années plus tard quand je les relirai. Comment peut-on souffrir autant ? Elle qui nous a donné l’image d’une femme forte, elle qui ne se plaignait jamais. Comment a-t-elle fait pour ne jamais rien montrer ? Comment a-t-elle réussi à garder son sourire ? Comment a-t-elle pu vivre avec ça ? Toutes ces questions resteront sans réponse.

Malgré tout, sa relation avec papa se renforce de jour en jour et ce sont ces épreuves qui confirment leur amour mutuel. Toute ma vie, je serai admirative de cet amour si sincère, si puissant. Ils inspirent, espèrent et avancent ensemble.

Pourtant, à la maison, il y a trois chambres. Une pour moi, une pour maman et une autre pour papa. Elle est si fatiguée et souffrante qu’elle ne peut pas dormir avec lui. Ils font donc chambre à part. Une nouvelle épreuve pour eux.

Lorsque d’autres enfants me disent que leurs parents dorment ensemble, ça me semble bizarre. J’ai compris - par la suite - que c’était mes parents qui n’étaient pas comme les autres. C’était devenu normal pour moi.

Cependant, j’ai le sentiment que l’amour que mes parents se portent est plus fort que ceux de tous les autres parents réunis. Il y a toujours des étoiles dans leurs yeux, les disputes sont rares et ne durent guère longtemps.

Maman est d’une grande gentillesse. Elle ne supporte pas les conflits et quand il y en a, elle finit toujours par nous dire « bon, allez, on arrête, ne pars pas en faisant la tête ». Cela la rend malade si le conflit persiste et que nous partons au travail ou à l’école fâchés. Elle imagine toujours le pire. Alors, elle appelle ou se déplace pour régler le problème. C’est aussi pour cela que leur histoire durera si longtemps. La clé du bonheur est bel et bien la « Communication ».

Lors des séances de radiothérapie, je suis chez mes grand-parents maternels. N’oubliez pas que je n’ai que deux ans mais, pourtant, je ressens tout. On me prive, pour la première fois, de ma petite maman. Les jours passent et j’ai l’impression qu’on ne me dit rien. Je vois grand-mère au téléphone et je comprends que c’est maman à l’autre bout du fil. Je m’inquiète pour elle, j’ai peur de ne plus la revoir. Je vois que quelque chose ne va pas. Pourquoi suis-je seule chez grand-mère et grand-père ?

Les semaines continuent de passer, je commence à me sentir mal, j’ai trop de questions dans ma tête, et mon corps décide de réagir. Je n’arrive plus à respirer, à reprendre mon souffle, mon coeur saigne. Ma grand-mère essaie de me calmer mais ne peut rien faire. Son médecin me déclare par la suite comme étant asthmatique.

Grand-mère a peur pour moi et appelle papa.

À ce moment-là , je suis contente de revoir ce visage qui me fait sourire. Il me prend dans ses bras, je m’y sens si bien.

Je suis très proche de mon papa. Il est toujours là, près de moi. C’est lui qui reste jusque tard pour me donner le dernier biberon de la journée ou me donner le bain. C’est lui qui me fait rire quand je suis sur ses genoux. Je m’endors souvent dans ses bras à l’heure de la sieste. Il est le papa protecteur, rêvant de voir sa fille un jour motarde et avec une soif sans fin pour les voyages. Plus tard, il me donnera le goût de partir à l’improviste, sans prise de tête. L’envie d’aller toujours plus loin sans savoir où cela nous mènera, tout en zigzaguant dans les virages. Le goût de l’adrénaline, de la vitesse, et de braver les interdits. Il est mon héros, mon ami avec qui jouer au ballon dans le garage, mon repère quand j’ai peur.

Je ne le remercierai jamais assez pour tout ce qu’il a pu faire pour moi. La relation que j’ai avec lui est forte, et elle le restera toute ma vie. J’ai besoin de lui pour tenir le coup, pour avancer.

Après ces douces retrouvailles, il me dit que je vais pouvoir retrouver maman. Il n’imagine pas à quel point cela me fait plaisir. Il me rassure sur son état de santé, enfin je peux recommencer à respirer. Je n’ai plus fait de crise après ça, même si je reste surveillée.

Le jour tant attendu arrive, je vais enfin la retrouver, ma maman aux grands yeux bleus, au sourire rassurant et aimant. Habituellement, à cet âge, quand on va voir sa maman à l’hôpital, c’est soit pour découvrir un petit frère, une petite sœur, ou alors pour aller lui rendre visite après une opération. Bref, c’est censé être un moment court dont on ne se souvient pas. Je ne le savais pas encore mais, ce jour-là, j’allais voir maman à l’hôpital pour la première fois mais certainement pas la dernière. Cet endroit deviendra, pendant les 16 prochaines années de notre vie, notre seconde maison; et je n’aurai jamais de petit frère ou de petite sœur.

Papa me descend de mon siège auto, il me prend par la main, et je rentre pour la première fois dans cet endroit infâme aux longs couloirs blancs, avec cette odeur de javel ou de médicaments qui flotte dans l’air.

Ce bâtiment, que l’on nomme hôpital, fait désormais partie de notre quotidien. Je longe les murs blancs immaculés, avant d’arriver devant une grande porte. Papa frappe deux petits coups et abaisse la poignée. Je la vois enfin, assise sur un siège que je trouve anormal. Il est moucheté bleu et délavé. On peut le faire rouler et il semble très confortable avec son assise rembourrée, mais le siège m’importe peu. Je la vois pour la première fois, après plusieurs jours passés sans elle qui m’ont paru une éternité. Ses grands yeux bleus n’ont pas changé. Elle semble fatiguée mais reste souriante. Elle porte une tenue que je n’ai encore jamais vu sur elle, une espèce de longue robe pas très jolie, mais je n’y fais pas attention au début. Je la serre si fort, j’ai besoin de ressentir cette chaleur, cet amour protecteur que je ne veux plus jamais quitter. Mais il faut déjà repartir.

Papa me remet dans mon siège auto, et me voilà de nouveau loin d’elle.

Le lendemain, retour à l’hôpital.

Papa me dépose à terre et je cours, je cours le plus vite possible, je retrouve mon chemin, je sais où elle est, j’arrive.

Je m’arrête net, deux portes s’offrent à moi. J’hésite. Papa ouvre une porte ; je la retrouve et ressent ce bien-être qu’elle seule peut m’apporter. Elle m’enlace et couvre mon corps de bisous. Je suis si heureuse à ce moment-là. J’aurais aimé revivre ces moments, et mettre le temps sur pause. Je n’ai plus envie d’être loin d’elle. Je ne veux plus la voir ici, j’ai l’impression qu’ils lui font plus de mal qu’autre chose. Je veux retrouver ma maman chez nous, dans notre belle maison. Je n’aime pas cet endroit mais je prends sur moi. Ai-je le choix?

C’est ainsi que la maladie prend place dans ma vie. Beaucoup de détails sont oubliés mais je n’ai pas envie d’en écrire davantage puisque les souvenirs sont peu nombreux.

Après un an de combat, nous reprenons notre respiration, la voilà en rémission. Et si nous retrouvions notre vie d’avant ?

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