Chapitre 8

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Maillon faible

La session se déroulait dans l’une des salles au premier étage. C’était une salle circulaire aux murs bleu pâle et aux fenêtres hautes. Des chaises étaient placées en un cercle presque parfait. Des gens s’y tenaient déjà lorsque Cally et moi entrâmes. Quelques murmures s’étaient élevés en nous voyant arriver. Nerveuse, je tirai légèrement sur mon bonnet pour l’arranger sur ma tête. En remarquant mon geste, Cally ouvrit la bouche :

« Tiens, au passage : pourquoi as-tu coupé tes cheveux ?

- J’étais supposée avoir disparu, expliquai-je. Quand j’ai vu qu’ils montraient mon visage sur toutes les chaînes, j’ai dû dire au revoir à ma tignasse. »

J’enroulai une boucle autour de mon index. Mes longs cheveux me manquaient beaucoup même si je passais mon temps à les attacher. Ma queue-de-cheval ne chatouillerait plus le creux entre mes omoplates.

« C’est joli, je trouve, m’assura-t-elle en s’asseyant sur une chaise.

- Merci. »

Elle-même n’était pas friande des cheveux courts, mais ses compliments étaient sincères. En embrassant le cercle du regard, je pus remarquer que les âges étaient assez variés. Il y avait de jeunes adolescents, mais aussi des adultes qui avoisinaient la trentaine. Je me demandai bien quelques spécialités ils avaient, mais surtout si quelqu’un possédait un don qui ressemblait au mien.

Une fois la salle remplie, Jason se leva afin de parler :

« Bonjour à tous !

- Bonjour, répondit l’assemblée.

- Merci de venir à cette session mensuelle de développement psychique. Le but est le même que d’habitude, mais je vais le répéter : chacun disposera d’un temps pour parler de sa spécialité. Il peut se confier sans craindre de se faire juger hormis par Will, mais tout le monde sait que Will ne compte pas.

- Tu viens de dire aucun jugement ! S’exclama le concerné.

- Tu es l’exception à la règle, souffla Jason sous le rire des autres. Que ce soit sur les améliorations, une stagnation, une régression, un besoin de se confier, de conseils ou d’aide, vous pouvez tout nous dire. Si certains ont des questions ou souhaitent venir en aide aux autres, n’hésitez surtout pas. »

Nous applaudîmes tous à la suite de son speech, mais il ne s’assit pas encore.

« Je profite de ce petit temps de parole pour introduire nos deux nouvelles recrues : Cally et June. J’insiste pour que vous leur réserviez un accueil chaleureux pour les aider à s’intégrer.

- Je me sens comme une gamine qui arriverait en cours d’année, grommelai-je sous les applaudissements des autres. »

Le premier à parler fut Tyson. Il répéta sa spécialité et nous annonça qu’il avait progressait : il avait appris le danois en trois mois seulement. Par la suite, ils enchaînèrent tour à tour. J’appris que Will avait un don de suggestion. Il la manipulait par l’hypnose ou le charme. Il se vanta d’avoir pu forcer trois personnes en même temps à lui servir d’esclave pendant deux jours d’affilés. À cet instant, je pris la décision de ne jamais me le mettre à dos.

Chuck avait un don concernant la vision. Il pouvait voir jusqu’à un périmètre de 5 km et à travers n’importe quoi sous n’importe quel éclairage. Joy pouvait manipuler ses cellules, et ce jusqu’à son propre sang et lui donner une forme solide. Elle venait d’apprendre à refermer les blessures de ses organes après avoir été tirée dessus par l’un des « esclaves » de Will. Ce type était un danger public. Les frères de Chuck, en revanche, partageaient le même pouvoir : l’invisibilité. Ils vantèrent les mérites de leur pouvoir en racontant qu’ils avaient passé l’été à pousser des gens dans la piscine pendant leurs vacances. Je les casais aussitôt en dessous de Will, dans la section « personnes à tendances psychopathes ».

« Bon, lança Jason lorsque les jumeaux eurent fini. Il ne reste donc que nos deux nouvelles recrues.

- Tu es sûr ? Risquai-je. Je suis encore tentée par une anecdote de plantes ou de passages à travers les voitures sur l’autoroute, moi.

- Pour cette intervention, tu seras la première June. »

Je fis la grimace avant de me lever de ma chaise. Leurs visages suivirent mon mouvement. Je lus de la curiosité, du dédain chez certains et quelques sourires encourageants. Je vis aussi un majeur chez Will, mais je pris cela pour un signe d’encouragement.

« Je vais vous décevoir, mais je ne connais pas grand-chose de ma spécialité, avouai-je. Je suis atteinte d’hallucinations depuis l’enfance, mais j’avais mis ça sur le compte de… D’autres choses. Mais j’ai appris récemment qu’en réalité, je voyais des morts. J'en ai eu la conviction il y a quelques jours en rencontrant l’esprit d’une personne que je connaissais. »

Pensant voir du scepticisme, je ne vis que des regards intéressés.

« De quoi ont-ils l’air, ces fantômes ? Demanda une jeune fille aux cheveux noirs.

- Ils sont pâles, un peu translucides et… tristes. Ils ont toujours cette expression triste et parlent parfois de façon énigmatique. Ils viennent parfois dans mes rêves, avouai-je en tripotant les manches de ma veste.

- Tu n’en as jamais invoqué ? Demanda Jason à son tour.

- Quand on passe une grande partie de sa vie à penser qu’on est fou, on n’a pas envie de s’en persuader. Non, je n’ai jamais tenté d’en invoquer, mais... »

Je laissai ma phrase en suspens, hésitante. Je voyais bien qu’ils attendaient la suite, mais j’avais peur de passer sincèrement pour une folle. Du coin de l’œil, je vis Tyson m’inviter à continuer. Il agitait sa main posée sur sa cuisse.

« J’ai déjà relevé des cadavres. »

J’entendis les murmures s’élever. La curiosité dans leur regard mua en surprise, en peur et en intérêt chez certains.

« Comment as-tu fait ? Me questionna un homme en croisant les bras sur son torse.

- Je n’en sais rien. Quand je le demandais, ils revenaient. La première fois était à la mort de mon chien, il avait été écrasé par un chauffard. Lorsque nous l’avions emmené chez le vétérinaire, ils m’ont laissé un moment, seule avec lui. Et j’ai souhaité très fort qu’il revienne et… il s’était relevé. Mais il n’avait plus cette vitalité. Comme si l’enveloppe de son corps bougeait, mais que son esprit était parti. »

Les images de mon chien et des cadavres de Delilah et Lucien me revinrent en tête. Les yeux vides et patientant après mes instructions. J’en étais devenue malade. Peut-être avais-je rêvé de tout cela. Voyant qu’aucune personne n’intervenait, je me rassis, espérant m’enfoncer dans le sol comme ils devaient le faire avec les corps de Lucien et Delilah à cet instant.

Cally se redressa enfin, ouvrant la bouche avec un ton plus léger que le mien.

« J’ai découvert ma capacité à l’âge de douze ans, expliqua-t-elle. Je m’amusais à projeter des petits objets sur loin de moi et à les ramener. Je ne les contrôlais pas, je les repoussais et les amenais à moi. Comme des espèces de champs de force, je ne pouvais pas les garder en lévitation, ces objets. Je n’ai pas osé en parler aux autres, pas même à June. Je m’entraînais dans mon coin pour ne pas alerter les autres. Mais dernièrement, j’ai perdu le contrôle. Ils deviennent plus forts et plus grands.

- Tu veux bien nous faire une démonstration ? Demanda Mason. »

Cally hocha la tête avant d’écarter sa frange sur le côté. Elle se tourna vers sa chaise vide puis recula de plusieurs pas à l’intérieur du cercle. Je me décalai légèrement vers mon voisin avant d’assister à son œuvre. Ses mains luisaient d’une couleur écarlate. Un demi-cercle enfla devant elle, aspirant de l’énergie magique qui picotait dans l’air. Mes yeux passèrent du champ de force à la chaise qu’elle visa. Un rapide calcul se dessina dans ma tête. Si elle lançait un champ de force à l’aide de ses deux mains, elle enverrait la chaise jusqu’au mur, mais emporterait aussi la chaise de Joy, de l’autre côté.

Profitant de la distraction de la rouquine, je pivotai puis poussai du pied la chaise vide de Cally. Je mis assez de force dessus pour qu’elle bouscule la chaise de Joy. La rouquine était si légère que son fessier se décolla de son siège. Par chance, elle retomba sur son voisin. Une demi-seconde plus tard, le champ de force de Cally balaya les deux chaises vides. Elles s’écrasèrent contre le mur derrière elle avant que les débris ne s’effondrent au sol.

Les yeux écarquillés, Cally baissa les mains avant de murmurer :

« Merci. »

Remise de ma panique, je levai un pouce dans sa direction. La gymnastique m’avait appris à réagir au quart de tour en plus d’être souple et agile.

« Joy, gloussa Will, enfin pas devant tout le monde. »

Elle avait atterri sur les cuisses de Will, l’abdomen en travers de ses jambes. Elle se redressa en grommelant quelque chose que je n’entendis pas.

« Quelle démonstration explosive ! S’exclama Chuck, impressionné. »

La salle entière applaudit Cally qui soupira en secouant la tête.

Jason mit fin à la session avant d’aller ramasser les morceaux de chaises. Pendant ce temps, une fille aux cheveux méchés de rose s’approcha de Cally.

« Salut, lança-t-elle en levant la main. Je ne sais pas si cela serrait concluant, mais dans la session d’entraînement des élémentaires de feu et de vent, ils utilisent le même genre de techniques. Si cela t’intéresse, nous pouvons te venir en aide et te montrer quelques exemples.

- Ce serait génial, marmonna mon amie en hochant la tête.

- On se retrouve les mardis, jeudis et vendredis après-midi dans la salle des entraînements magiques. Retrouve-moi demain dans la cuisine, je t’y accompagnerai.

- Merci, souffla Cally en souriant légèrement. »

La blonde s’en alla ensuite rejoindre son groupe. Tout le monde échangeait, se donnait des conseils, félicitait Cally, mais personne ne m’avait accordé le moindre mot. En fait, ils m’évitaient. Je le voyais dans leur regard, la façon dont ils baissaient la voix en passant près de moi ou même dans les conversations qu’ils entretenaient avec Cally. Ils me jetaient des regards en coin avant d’écourter la discussion.

« Alors ? Fit quelqu’un derrière moi. Tu as trouvé quelqu’un pour t’aider ? »

Je pivotai. Mason m’offrit un chaleureux que je ne pus lui rendre.

« Pas vraiment, répondis-je avant de prendre un air détaché.

- Ne leur en veux pas, ils ont juste un peu peur de ce qui touche à l’occulte. Nous y croyons tous, mais nous pensions en être éloigné avec nos pouvoirs.

- Est-ce qu’on est des mutants dans le type X-Men ? »

Mason accueillit ma question par un éclat de rire. J’étais vexée, mais je compris la dimension stupide de ma question.

« Non pas du tout, me répondit-il en essuyant une larme au coin de son œil. Non en fait, nos spécialités sont héréditaires. Certains ont peut-être raté une génération ou deux, mais tout est héréditaire.

- Tes parents ont ce genre de pouvoirs ? Le questionnai-je en m’adossant à un mur.

- Non mais l’un de mes ancêtres cow-boy l’était. Mais mes parents l’ont très bien pris, ce sont eux qui m’envoyaient ici pendant les vacances pour que j’apprenne à contrôler ma spécialité. »

Mon sourire dut manquer de conviction. Le sien se fit contrit avant qu’il ne presse son épaule contre le mur, près de moi.

« Excuse-moi de te miner le moral.

- T’y es pour rien, répondis-je. Je me disais juste que c’était une chance d’avoir de la famille pour t’aider.

- Alors tu n’as vraiment plus personne ? Demanda-t-il en rangeant son pouce dans la poche de son jean.

- Ce qui me reste comme famille est en train de planifier son emploi du temps de la semaine. »

Mes paroles sonnèrent trop amèrement à mon goût. Je ne devrais pas ressentir de jalousie vis-à-vis de Cally. Elle attirait naturellement les autres à elle. De plus, elle nouait des relations pour progresser et manipuler ses champs de force. J’étais heureuse pour elle, mais triste pour moi. Même dans cette nouvelle vie, je serai l’amie bizarre de Cally. Je quittai la pièce sur cette triste pensée.

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