Chapitre 4

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Cible verrouillée

Après quelques mots échangés, nous nous mîmes en route jusqu’à Hurtlepool. Je les suivais avec la voiture de Lucien, Tyson sur le siège passager. Il me racontait comment se déroulait le quotidien à l’institution. Les volontaires pouvaient y élire domicile et bénéficiaient d’entraînements physiques et de cours spécialisés pour certains. L’institution travaillait de façon indépendante et dans le secret le plus total malgré une étroite collaboration avec l’État. Cela m’évoquait vaguement une école d’agents secrets comme dans ce film avec Hailee Steinfeld et Samuel Jackson.

J’emmagasinais toutes ces informations en conduisant. Il me décrivit même sa particularité. Tyson avait la particularité d’avoir une mémoire infaillible sur tous les points. Il m’en avait fait la démonstration. Je lui avais demandé de retenir les visages ou tenues des conducteurs qui nous dépassaient et il me les décrivait au détail près. Je le croyais déjà, mais cela m’amusait de le voir se tordre par la fenêtre pour retenir l’apparence des conducteurs.

Nous arrivâmes après une ou deux heures de trajet. Je me garai devant l’orphelinat désormais fermée. Mais je possédais la clé de l’immense maison depuis que j’avais embarqué le trousseau de Lucien. En poussant la lourde porte, je fus surprise de voir que le corps de Delilah ne reposait plus sur les escaliers. Je me rappelai son corps inerte et en mouvement qui me fixait d’un air vide. Je grimpai les escaliers vides et nettoyés de toute trace de sang jusqu’aux dortoirs des filles. Les lits avaient été remis en place et les rideaux refermés assombrissaient la pièce mais on distinguait encore clairement la chambre entière grâce aux filets de lumières qui échappaient au contrôle des tentures.

Je me dirigeai sur une table de chevet contenant encore mes effets personnels dont mon téléphone. Encore chargé, il comprenait plusieurs appels manqués de Cally, des messages écrits et vocaux. Je voulus les écouter, mais quelque chose attira mon attention.

Lucien se tenait devant moi. Il portait les vêtements dans lesquels il était mort, mais aucune trace de sang. Juste de la tristesse dans son regard. Les battements de mon cœur s’accélérèrent subitement. Il paraissait pâle et livide, mais son expression était bien humaine. Lentement, je me relevai avant de rompre le silence :

« Serais-je en train de rêver ? Me demandai-je.

- Tu aimerais que c’en soit un ? Me demanda-t-il.

- Pourquoi reviens-tu ? Tu devrais être...

- Mort, acheva-t-il. Je le sais. Je venais te prévenir.

- Au sujet de mes parents ? Devinai-je. On m’en a parlé. Tu le savais, n’est-ce pas ?

- J’ai voulu te le dire, mais…

- Mais ? Le pressai-je.

- Mais tu étais heureuse. »

La colère qui montait en moi s’apaisa légèrement à ses paroles. Il continua donc, probablement encouragé par les traits de mon visage qui s’étaient détendus.

« Lorsque tu es arrivée ici, tu étais malheureuse. Tu as mis des semaines entières avant de t’ouvrir et de t’épanouir. Lorsque j’ai appris la nouvelle, tu avais pris tes marques et tu allais de l’avant. C’est une réelle qualité chez toi et je ne voulais pas tout gâcher.

- C’est trop tard, murmurai-je. Tu es mort. Est-ce que ça a un lien avec moi ? Ces gens venaient bien pour moi ?

- Pour toi et pas que, répondit-il.

- Qui d’autre est concerné, Lucien ?

- Elle. »

Il pointa mon téléphone. J’arquai un sourcil dans sa direction avant que mon téléphone ne sonne entre mes mains. Le numéro de Cally s’afficha sur l’écran. Lorsque je relevai mon regard sur Lucien, son esprit avait disparu. Je décrochai donc.

« Cally ?

- Toujours vivante ? Je te pensais morte, ricana une voix à l’autre bout du fil. »

Je reconnus immédiatement la voix de Félix à l’autre bout du fil. Mon sang ne fit qu’un tour.

« Qu’est-ce que tu lui as fait, fils de pute ?

- C’est méchant de proférer des insultes. Ton amie est entre de bonnes-mains actuellement, mon ami Donald s’en occupe très bien. »

Je pus entendre le rire gras de Donald en fond sous les plaintes de Cally qui lui jetait des noms d’oiseaux au visage.

« Arrêtez ça immédiatement, ordonnai-je. Je ferai ce que vous voudrez, mais relâchez-la.

- C’est embêtant, fit-il d’un ton las. Nous avons besoin de vous deux en réalité. Donald a l’air d’apprécier le gros bonnet de ta copine.

- Je jure de les lui couper, ses putains de mains.

- Tu es consciente d’être super mignonne quand tu profères des menaces ? On dirait une petite fille.

- Va te faire enculer. Qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour que vous la laissiez tranquille ?

- Que tu te rendes ? Proposa-t-il. Je m’engage à retenir mon ami le temps que tu viennes. Ce sera dur parce que, pour une gamine, elle est plutôt bien roulée.

- C’est une fille, grognai-je, pas un morceau de jambon. »

Cally avait été gâtée par la nature, physiquement parlant. Mais je détestais lorsque les hommes parlent d’elle comme d’un objet. D’elle comme de n’importe quelle femme.

« Où êtes-vous ?

- Retrouve-nous dans l’autre côté du champ à trois cents mètres de l’orphelinat. Nous serons là, dans notre véhicule. Je te menacerai bien pour que tu n’appelles pas la police, mais toi aussi, tu es recherchée ! Allez, bisous ma belle.

- C’est ça. »

Lorsque j’eus raccroché, je saisis le reste de mes effets personnels avant de me ruer hors de la chambre. Une fois dans le hall, je tombai sur les trois hommes qui m’accompagnaient. Je n’attendis pas une seconde avant de leur expliquer la situation. J’omis volontairement le passage du spectre de Lucien. Chuck et Jason se tournèrent alors vers Tyson. Le blondinet prit une moue de réflexion avant de m’interroger :

« Tu es sûre de leur position ?

- Ils me veulent, pourquoi me mentiraient-ils ? Ils ne sont pas très courageux ni très intelligents.

- Comment sais-tu cela ? Demanda Chuck.

- Ceux sont eux qui ont attaqué l’orphelinat et je suis avec vous, réfléchis. Ils en ont après Cally et moi.

- Ils ont donc Cally et n’attendent que le second colis, marmonna Jason. Il faut trouver un moyen d’empêcher ça. »

Le regard de Tyson s’alluma alors. Je vis presque une ampoule s’allumer au-dessus de sa tête.

« On va devoir les coincer. J’ai un plan infaillible, marmonna-t-il en tapotant sur son smartphone.

- Pourcentage de réussite ? Demanda Chuck.

- 99,9 %.

- Tu es sûr de toi ? Demandai-je.

- Oh oui. »

Le plan mis en place, nous l’exécutâmes sans attendre.

Je m’étais rendue jusqu’au point de rendez-vous à pieds. J’avais traversé le champ en courant presque. Mon couteau était toujours accroché contre ma hanche, mais Chuck avait insisté pour que je porte une arme à feu.

Derrière le champ, la route s’étendait sur plusieurs centaines de mètres et était assez étroite. En cette fin d’après-midi, elle était déserte à l’exception d’une camionnette noire à une dizaine de mètres. La camionnette klaxonna lorsqu’elle me vit arriver. Je vis la silhouette de Félix sauter hors du siège passager. Ses cheveux bruns taquinaient sa nuque en mèches graisseuses. Il s’approcha en écartant les bras.

« Ma petite ! Lança-t-il comme s’il accueillait une vieille connaissance. Une nouvelle coiffure en plus, tu es trop craquante.

- Où est-elle ? Demandai-je sans freiner malgré ma furieuse envie de détaler comme un lapin.

- Tout va bien, assura Félix. Elle est à l’arrière et Donald est à l’avant, là. »

Je regardai par-dessus son épaule, Donald me fit un signe de la main comme si nous étions de vieux amis qui se retrouvaient. Je reconnaissais sa grande main et son crâne chauve. Mon attention revint sur Félix qui s’approchait toujours de moi. Sa veste ouverte montrait l’arme qu’il portait à la taille. J’hésitai à sortir la mienne désormais.

Une explosion nous fit sursauter. Le son provenait de la camionnette. La portière coulissante sur la gauche venait de se détacher avant de se perdre dans les champs de blés. Cally sortit de la camionnette, le regard dur. Donald s’extirpa du véhicule afin de reculer, mais Cally s’approchait de lui. Assistant au spectacle, Félix vociféra :

« Mais c’est quoi ce bordel ?! »

Son attention se porta sur moi.

« Tu apportes le malheur partout où tu vas ! »

Cette phrase sonnait familièrement. Je me rappelais l’avoir entendu tant de fois. Elle résonnait dans ma tête quotidiennement. Ce fut la phrase qui mena Félix à sa perte. Sans attendre, je tirai le pistolet que Chuck m’avait prêté. Après l’avoir chargé, je le pointai sur Félix et tirai alors qu’il écarquillait les yeux. Le canon fut si proche que lorsque la balle traversa son crâne, sa boîte crânienne explosa et laissa des morceaux de cervelle éclabousser ma veste ainsi que le bitume sur lequel son maigre corps s’affala.

Lorsque je tournai la tête, Donald se faisait balayer par une étrange énergie. Une énergie magique rouge qui l’envoya jusqu’à mes pieds. Je ne pris pas le temps de poser des questions puis tirai dans sa poitrine. Une fois, deux fois puis vidai le chargeur sur lui jusqu’à savoir le chargeur vide et son corps en train de se vider de son sang.

J’appuyai encore sur la détente lorsque Cally s’approcha. Désormais, son visage exprimait un mélange de peur, d’inquiétude, de fatigue, mais aussi du soulagement. Sur le point de parler, je sentis un haut-le-cœur me prendre. Je titubai légèrement afin de m’éloigner puis me penchai en avant. Alors que je recrachai mes tripes, je sentis les mains de Cally ramener mes cheveux en arrière.

À cet instant, j’entendis les voitures des renforts arriver. Les voitures devaient barrer la route de la fourgonnette pour l’empêcher de partir, mais j’avais modifié le plan malgré moi.

« June, marmonna Cally d’une voix faible. June, on doit s’en aller. »

Je me redressai, prête à lui dire qu’ils étaient avec moi, mais je vis son visage blême. Son corps bascula alors, mais je la rattrapai contre moi afin de la retenir. Chuck arriva à la rescousse, venant saisir son corps afin de la porter dans ses bras.

« Vérifie son pouls. »

Je m’exécutai en glissant trois doigts contre sa gorge.

« Il est régulier.

- Essuie ta bouche, marmonna-t-il, je vois les restes de ton dîner au coin de ta bouche. »

Après un signe de tête, je le laissai la porter jusqu’à sa voiture. Pendant ce temps, Jason et Tyson tentaient de reconstruire la scène en voyant les deux corps de nos agresseurs. Tyson les observait avec un professionnalisme exemplaire pendant que Jason avait du mal à les fixer plus de dix secondes.

« Que s’est-il passé ? Demanda Jason. Le plan était de les interroger, pas de les tuer ! »

Je baissai la tête, légèrement honteuse. Mes lèvres se pincèrent avant de grommeler :

« J’ai paniqué, murmurai-je. Je ne voulais pas faire ça, mais…

- Tu en avais envie. »

Je levai les yeux vers lui sans lui répondre. Il devina ma réponse assez vite, mais il ne me blâma pas, préférant changer de sujet.

« Comment la portière s’est-elle retrouvée sur le trottoir ?

- Il faudra le demander à Cally, je n’en sais pas plus que toi. »

En montant dans l’une des voitures, je me surprenais à n’éprouver aucun remords après avoir tué Félix et Donald. Ils étaient les premiers. Les premières personnes que je tuais dans ma vie, mais je considérai que leurs vies valaient celles qu’ils avaient volées à Delilah et Lucien. Une part monstrueuse de moi était même extrêmement fière de les avoir vengés, mais la part rationnelle ne voulait plus que je recommence.

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