XII

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Dehors, il régnait une obscurité presque palpable, et l’orage, pourtant grondant, ne lui parvenait plus que par de brefs échos étouffés, pénétrant difficilement l’air devenu épais. Le vent même paraissait plus calme.

L’écho d’un cri perça les ténèbres, long et déchirant, qui déclina bientôt jusqu’à se perdre totalement. Matteo hurla :

« Sarah ! Sarah ! Où es-tu ? »

Elle le suivait de près dans les escaliers, elle avait sûrement eu le temps de sortir de la maison avant que la porte d’entrée ne se referme. Elle devait être là, dans le noir, à chercher son chemin.

« Sarah ! ».

Pas de réponse. Il fallait maintenant rejoindre le camion. Ils s’y retrouveraient. Il avança au hasard, dans la direction qu’il supposait la bonne. Autour de lui, un monde n’attendait que de se refermer, de l’engloutir. Il entendait les murmures, les ricanements, et dans ses mouvements parfois brusques, il était sûr d’apercevoir déjà des silhouettes aux membres effilés, plus noires que l’éther lui-même.

Il avait piétiné, désorienté, sur plusieurs mètres quand il buta sur la table de jardin. Au moins il savait où il était. Reprenant en confiance, il bifurqua vers la droite et reprit sa marche.

« Sarah ! Tu m’entends ? »

Cerné par la brume désormais broussailleuse, presque impénétrable, il avança encore, au centre d’une orbe de lumière qui tenait le danger à faible distance. Toujours ces chuchotements ; patients, ils fomentaient, guettant le bon moment ; ils avaient faim.

Ses pas froissèrent soudain des herbes plus hautes, trop hautes. Il s’éloignait de la maison, le fourgon était dans son dos. Dans un grognement, il fit volte-face et reprit son errance.

« Matteo ! », discerna-t-il imperceptiblement dans le presque silence de la nuit.

C’était la voix de Sarah, derrière lui, à distance. Il se retourna à nouveau et sonda de tous ses sens, tel un chien à l’arrêt.

« Matteo ! Je suis là ! ».

C’était elle. Il s’élança en crevant l’obscurité butyreuse ; la clameur de ce monde enfla, excitée par l’imminence d’une maladresse, mieux, d’une chute.

« Sarah, où es-tu !, hurla Matteo. J’arrive !

– Mon amour, je suis là ! ».

Sa voix était déjà plus proche. Il parvint à l’orée de la forêt et, griffé par les ramures épineuses, ralentit sa course. Le couvert des arbres épaissit un peu plus la pénombre et atténua encore le grondement de l’orage, qui ne descendait plus entre les frondaisons que dans l’écho d’une vague rumeur. Un déluge tempêtait sur la canopée, une radée coléreuse qui noyait la forêt. Pourtant, Matteo errait à l’abri d’un sous-bois rendu hermétique par le brouillard qui l’entourait et cherchait à le dévorer lui aussi. Il avançait prudemment désormais, à mesure que la voix de son amante se rapprochait.

« Sarah !, relança-t-il.

– Je suis ici », perçut-il en retour, à quelques mètres au-devant.

À chaque pas, il balaya le halo lumineux, qui faiblissait lui aussi et n’éclairait plus que sur une longueur de bras, s’apprêtant à la rejoindre à tout moment. Il buta soudain sur une paroi rocheuse, qu’il longea par la droite. Plutôt qu’une paroi, l’obstacle prit l’aspect d’un chaos de gros blocs gréseux, comme il en émerge tant dans les contreforts vosgiens.

« Où es-tu ?, s’enquit-il. Parle-moi ma chérie.

– Ici, je te vois. »

Elle était tout près, juste là. La faible lumière de la lampe ne trouva soudain plus le rocher et s’enfuit dans la béance d’une cavité. On semblait pouvoir y entrer sans se baisser.

« Sarah ?

– Je suis là », murmura-t-elle.

Et elle lui prit la main.

Il fut saisi d’un soulagement immense. Il l’avait enfin retrouvée. Ils allaient pouvoir fuir ensemble et oublier cette horrible maison et cette horrible histoire. Ils avaient été plus forts. Il l’aimait tellement.

Il s’était senti tellement vulnérable sans elle et avait tellement souffert de la savoir en danger. Mais ils étaient de nouveau unis et, s’il ne la voyait pas encore, il reprenait déjà confiance au contact de sa bien-aimée, de sa main vigoureuse et pourtant froide, pourtant si froide.

Et douloureuse.

Il eut un hoquet quand il comprit soudain.

La lampe de Matteo rendit alors son dernier soupir.

Il voulut crier, mais un air de coton s’insinua dans sa gorge et emplit ses poumons, quand cette main glacée et chétive l’entraîna dans les profondeurs des ténèbres souterraines.

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