Chapitre 4

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Je sentais de nouveau l’envie de détruire cette chambre. Je voulais tout réduire en pièces, déchaîner ma haine sur quelque chose de palpable. Je n’arrivais pas à se résoudre à l’idée que j’allais passer l’éternité ici avec ces vermines. J’ai pesté un long moment avant de me laisser retomber sur le canapé. C’était encore le milieu de la nuit, je n’avais qu’à dormir. Oui, dormir pour toujours, ce serait une bonne idée !

Je suis retourné investir le lit rond et j’ai rapidement sombré dans un sommeil profond. On pouvait dire ce qu’on voulait, j’étais épuisé. Toutes les choses qui m’arrivaient me mettaient dans un état de stress intense. Jamais je ne m’étais retrouvé dans pareille situation et ne pas pouvoir m’en sortir me démoralisait. Ma vie au royaume céleste me manquait tant. Mes camarades aussi, ma maison, ma vie, j’avais tout perdu. Alors, au final, je n’avais plus rien à perdre. Autant en finir immédiatement.

Je n’ai ouvert les yeux que tard dans la journée. En me levant, je trouvais un vaste plateau rempli de nourriture sur la table basse. Je le dardais d’un air dégoûté, hors de question que je mette ça dans ma bouche ! J’ai fait quelques fois le tour de la chambre, puis, m’ennuyant au plus haut point, je suis retourné me coucher.

Dans les jours qui ont suivi, je n’ai fait que dormir. Je refusais de toucher à la nourriture et faisais semblant de dormir quand Estia entrait.

En me réveillant ce matin, je me sentis extrêmement faible. Mon ventre avait cessé de grogner deux jours en amont, me privant enfin de ce bruit et cette vibration si désagréable. Je n’eus même pas le temps de me redresser que ma tête se mit à tourner. J’appliquais une main dessus et me laissais retomber sur le matelas. Peut-être allais-je enfin mourir. L’agonie était une chose que j’avais imaginé plus violente, plus douloureuse qu’une simple perte de force. Dans mon esprit, elle ressemblait au supplice du sel.

Alors que je gémissais de malaise, je perçus la porte s’ouvrir. Comme à mon habitude, je feignais d’être en plein sommeil, pourtant, je n’entendis pas les bruits devenus familiers d’un plateau qu’on pose avant d’emporter l’autre. J’ouvrais donc un œil et vis Esteban, les bras croisés sur son buste, devant le lit. J’ai grogné avant de me tourner sur le côté pour ne plus le voir.

J’ai fermé les yeux, espérant qu’il repartirait sous peu. Je n’avais, de toute façon, pas la force de lui hurler dessus. Pourtant, à mon grand désespoir, je l’ai entendu s’approcher. Il s’est assis sur le matelas, dans mon dos, et m’a parlé d’une voix paisible.

- Fen, qu’est-ce que tu fais ? Tu veux mourir ?

Je ne répliquai rien. Dans mon esprit, il n’y avait que deux choix possible, rentrer chez moi ou mourir. Une de ses mains se posa sur l’arrière de mon crâne, atténuant un peu la douleur puis il caressa mes cheveux et mes cornes.

- Fen, tu nous inquiètes grandement. Estia en devient malade. Elle est convaincue que c’est de sa faute si tu te laisses dépérir. Et moi aussi, je m’inquiète énormément.

Tout en parlant, il s’est allongé derrière moi et une de ses mains s’est retrouvée sur ma taille. Sa tête s’est posée contre l’arrière de mon crâne et je me suis retrouvé blotti contre son corps. Je détestais cette sensation. Nos peaux qui se touchaient, son souffle qui glissait sur moi, ses mains qui m'effleuraient. J’avais l’impression de me retrouver dans cette maudite salle de bain. Du désir pour lui, mon cul ! Comment quelqu’un pourrait désirer un démon ? Ils ne s’aiment même pas entre eux !

- Dis-moi ce que je dois faire pour que tu sois heureux, me dit-il dans un murmure.

- Renvoie-moi chez moi.

Je l’entendis soupirer longuement. Je m’attendais à recevoir un savon ou une remontrance, voir même une punition. Mais il agrippa mon épaule et me fit doucement basculer sur le dos. Il me domina, prenant place sur mes cuisses et se pencha vers moi. Je tournais la tête, incapable de soutenir son regard et plaquais une main sur son torse pour le tenir éloigné. Mais mes pauvres forces ne le firent même pas ralentir. Une de ses mains saisit délicatement la mienne pour la maintenir contre son torse tandis que la seconde guida mon menton et me tourna vers lui.

- J’ai deux conditions. Premièrement, je veux que tu manges, tu ne partiras qu’en bonne santé. Deuxièmement, je veux passer ces derniers jours en ta compagnie et tu n’auras rien le droit de me refuser. Laisse-moi te faire découvrir mon monde, laisse-moi prendre soin de toi. Si dans deux jours, tu n’as toujours aucune envie de rester, je te renverrai.

Sa phrase m’avait fait me concentrer.

- Ça fait trois conditions, ça.

- Non, répondit-il d’une voix mielleuse. Car les deux dernières sont indissociables. Alors, tu acceptes ?

Je grognais, n’aimant assurément pas devoir obéir à un démon. Il allait se gaver de ma présence pendant trois jours et qui sait ce que je devrais endurer avec cette interdiction de lui refuser quoi que ce soit. Je l’ai regardé dans les yeux. Je sais que les démons sont fourbes et manipulateurs, je voulais déceler une once de mensonge, un soupçon de malice. Je voulais une raison de lui dire non.

- Est-ce que tu me renverras vraiment chez moi ?

Il a caressé l’ovale de mon visage et m’a regardé sérieusement.

- Je te le jure. Je ne veux pas être responsable de ta mort.

Entendant ça, j’ai tout de même baissé les yeux. Alors, j’allais pouvoir rentrer chez moi ? Je devais uniquement passer trois jours à jouer les bon pantins souriant ? Pas de problème ! Je savais faire ça !

- Est-ce que tu acceptes mon offre ?, me demanda-t-il.

Je fronçais les sourcils. Il restait quand même un souci, je n'avais aucune confiance en lui. Il demeurait un démon, et nous savions tous que les démons étaient indignes de confiance. Nous avions déjà, nous les dieux, proposés des ententes, des cessez-le-feu, mais à chaque fois, nous nous sommes faits avoir par leur malice. C'était à croire que les démons ne s'épanouissaient qu'en brisant le peu de choses que nous mettions en place.

J'ai fermé les yeux avant de soupirer longuement.

- Va pour deux jours. J'accepte. Mais si tu ne me renvoies pas, cette fois, je me laisserai mourir.

Un sourire discret se dessina sur son visage, il frôla le mien délicatement, du bout des doigts.

- Je vais t’installer une rune, me dit-il soudain.

Je haussais un sourcil.

- Non. Je ne veux pas que tu souilles mon corps plus que tu ne l’as déjà fait.

Il ricana puis il se pencha vers la table de nuit pour entrouvrir le tiroir. Il en sorti une pierre blanche que je reconnus instantanément.

- Tu as un morceau de glace éternelle ?, demandais-je, mêlé entre admiration et haine féroce.

- Quand j’ai su que tu serais à moi, j’ai essayé de convenablement étudier les choses. J’ai organisé ton arrivée, me dit-il avec fierté. Je vais placer cette rune sur ton buste, elle te maintiendra en forme. Tu n’auras pas besoin de dormir, si tu ne le veux pas. Tu n’auras pas non plus besoin de manger, si tu n’en as pas envie. Avec elle, tu pourras aussi m’appeler. Si tu as le moindre souci, tu n’auras qu’à penser à moi et je viendrais.

Mes sourcils se sont froncés. J'examinais la pierre, en amande, ou je voyais de l’eau pure bouger à l’intérieur. C’était un morceau de chez moi.

- C’est une surveillance plus qu’une protection.

Il ricana de nouveau.

- On peut dire ça. Allez, ne bouge pas.

À la hâte, il logea le morceau de glace sous mon sternum et le logea dans le creux qu’il formait. Puis, il parla en langue démoniaque. La pierre se mit à briller avant qu’il n’applique ses mains dessus, puis une douleur vive traversa mon corps.

- Stop !, hurlais-je en tentant de me débattre. C’est douloureux, arrête !

Je tentais d’enlever ses mains de mon buste, mais il ne bougeait pas d’un millimètre. Puis, aussi soudainement qu’elle était venue, la douleur reflua et disparue totalement, me laissant un peu essoufflé et le corps tendu. ça n'avait duré qu'une infime seconde. Il se redressa et caressa mon buste. En baissant les yeux, je vis la pierre incrustée dans ma peau. En passant mes doigts dessus, je la sentis à peine.

- Ce n’était pas si terrible, pas vrai ?, se moqua-t-il.

- Tu ne m’avais pas dit que ça faisait mal ! Tu aurais dû me prévenir !

- Si je t’avais prévenu, tu en aurais fait toute une histoire. Alors qu'à présent, s'est terminé. Tu vois que ce n’était pas grand-chose. As-tu encore faim ou sommeil ?

Je remuais la tête pour couper le contact visuel.

- Sommeil, oui.

Il se redressa et s'éloigna un peu du lit.

- Dans ce cas, repose-toi. Tout à l’heure, je te ferai visiter la maison.

Et sans un mot de plus, il est parti. Depuis le début, ce démon me rendait perplexe. On m'avait toujours dit qu'ils étaient tyranniques, sans cœur, que la douceur et la tendresse étaient des choses qu'ils ignoraient. Pourtant, lui me faisait douter. S'adonnait-il à un jeu sordide ? Me faisant espérer pour mieux me briser ? Mais, dans l'immédiat, il avait seulement pris soin de moi, et puis... Il m'avait fait ça...

Certains souvenirs me remontant en mémoire, je fermai les yeux et tentai de dormir. J'y parvenais d'ailleurs sans mal et sombrai profondément dans un sommeil pas réellement réparateur.

Après m'être réveillé alors que le soleil déjà haut dessinait de belles arabesques sur le lit, je me suis levé pour trouver Esteban sur le canapé. Il prenait connaissance d'un document avec un froncement de sourcils prononcé. Quand il m’aperçut, il posa le papier sur la table basse et me tendit les bras. Je m'immobilisai, grattant ma nuque pour dissimuler ma gêne, ce qui le fit rire à voix basse.

- Dois-je vraiment t'obéir pour ce genre de chose ?, questionnai-je d'une voix ténue.

Il se contenta de sourire. Je soupirai en me répétant comme un mantra que je faisais ça pour rentrer chez moi. Je m'avançai vers lui et il attrapa ma main pour me faire asseoir sur ces genoux.

Je prenais place sur ses rotules, le plus loin possible de lui. Ce geste me valut déjà de me mettre mal à l'aise. Mais ça ne représenta rien, comparé au moment où ses mains se sont refermées sur mon ventre pour me tirer jusqu'à lui. Dans un réflexe, j’ai maintenu mes jambes l’une contre l’autre et les ai toutes les deux basculées d’un côté des siennes pour ne pas les écarter. Je sentais sa peau fraîche s'étendre contre la mienne, mon maigre habit ne me protégeant en rien.

Je me mordais l'intérieur des joues, trop gêné pour oser parler. Il ne s'en offusqua pas, à l'aise pour nous deux. Sa main appuya sur mon torse, me faisant basculer en arrière pour retomber sur lui. Je serrai les poings sur mon ventre, ne sachant pas trop quoi faire de mes membres supérieurs, tandis que son visage plongeait dans mon cou. Il ne fit qu'y déposer son front, alors que je me tendais.

Il est resté quelques secondes ainsi, juste à me tenir contre lui.

- Mange, ou si tu préfères, nous pouvons manger dans le jardin.

Je me retournai légèrement vers lui, intrigué, il ricana.

- Je t'ai dit qu'aujourd'hui, j'allais te faire visiter la maison, le jardin en fait parti. Alors, où veux-tu manger ?

- Dans le jardin, dis-je tout bas.

J'avais besoin d'air. Besoin de ne plus me sentir enfermé, de pouvoir sentir la brise sur mon corps. Je me suis relevé de ses genoux et je me suis écarté de lui. Il s'est levé à son tour et s'est dirigé vers la porte. J'allais le suivre quand j'ai baissé les yeux sur moi. J'étais toujours à moitié nu et je n'avais aucune envie de me montrer ainsi.

J'ai élevé les yeux vers lui, qui m'envoyait un regard interrogateur.

- Je... Je ne veux pas sortir comme ça. Je voudrais au moins avoir un pantalon. Cette tenue est gênante et dégradante.

Il m'a souri et est reparti dans la salle de bain. Je l'ai suivi et il m'a tendu un vêtement.

- C'est un sarouel, m'indiqua-t-il. Tu seras couvert jusqu'aux genoux. Essaie-le.

Je pensais qu'il allait me laisser quelques instants pour me changer, sortant de la pièce. Mais non. Il me fixa.

- Tu pourrais s'absenter le temps que je me change ?

- Pourquoi ?, me demanda-t-il, l'air réellement surpris. Je t'ai déjà vu nu, tu n'as rien à craindre de moi.

Je fis la moue.

- Je n'ai pas l'habitude de me changer devant d'autres personnes. C'est humiliant.

Un long rire, se voulant discret, sorti de sa bouche. Il s'approcha de moi et passa un bras dans mon dos puis, sans que je m'y attende, il se pencha vers moi pour m'embrasser.

Je gardai les yeux ouverts de surprise, alors qu'il s'éloignait déjà de moi.

- Change-toi et rejoins-moi ensuite.

Il ébouriffa ma tignasse blanche et sorti de la pièce. Après qu'il ait disparu, je laissais sortir un long soupir et regardai autour de moi avant de m’essuyer la bouche. Au centre du bassin, Estia n'était plus sur sa pierre. Quelque part, elle me manquait et je m’en voulais un peu de lui avoir parlé si durement.

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