Les chiens de garde - Nizan

5 minutes de lecture

 Il y a quelques années, un documentaire tonitruant, porté par le rédacteur en chef du monde diplomatique sortait. Les nouveaux chiens de garde offrait un portrait sale, amer et poussiéreux de la France, c'était un film à charge contre les collusions entre industriels, journalistes et politiques, un terreau de réflexion (parfois biaisé) sur notre rapport à l'information. Et pour appuyer son œuvre, Hallimi s'appuya sur un livre du début du siècle dernier. Les chiens de garde de Nizan.

Voici le résumé de Wiki

Il s'agit d'un essai pamphlétaire dirigé contre quelques-uns des philosophes français les plus connus de l'époque – notamment Bergson, Émile Boutroux, Brunschvicg, Lalande, Marcel, Maritain. Pour Paul Nizan, lui-même alors jeune philosophe communiste, ces penseurs incarnent une « philosophie idéaliste », en ce sens que tous ne font qu'énoncer des vérités sur l'homme en général, et de ce fait ne tiennent aucunement compte du réel quotidien auquel chaque homme en particulier se trouve confronté : la misère matérielle, la maladie, le chômage, les guerres, etc. Pour l'auteur, qui fonde son argument en s'appuyant sur la notion marxiste de lutte des classes, ces philosophes n'ont d'autre but, au fond, que de justifier et de perpétuer les valeurs morales et socio-économiques de la classe bourgeoise. Selon lui, leur idéalisme leur interdit toute analyse de l'exploitation de la classe prolétarienne par la bourgeoisie.

Le livre se clôt par un appel aux jeunes générations de philosophes à lutter contre la bourgeoisie et ses « chiens de garde » que sont, pour Paul Nizan, les penseurs en question, et à mettre la réflexion philosophique au service du prolétariat.

 Intrigué par les extraits, je me procurai l'oeuvre assez rapidement. Je suis tombé sur un livre poisseux, rempli de colère et de tristesse, c'était un essai accablé sur le monde, un aveu de désespoir et un cri de rage. Ces mots étaient un pamphlet à charge contre les chiens de garde du capitalisme selon l'auteur : les intellectuels. Trop bourgeois, trop détachés des choses matérielles, trop éthérés en fait. Il charge dans ces phrases une haine non feinte contre Kant, Spinoza, Aristote. Il remet en cause tant leur pensée que leur mode de vie.

 Nizan était un communiste, léniniste de surcroit, et son oeuvre est avant tout une provocation, un hurlement suintant de révolte et de colère. Si je n'ai jamais adhéré à ces idées, ce livre fut toutefois un tournant majeure dans ma conception du monde : pour la première fois, je compris par sa colère le but des communistes. Par ce livre, j'ai réussi à saisir les subtilités de comportement dû aux conditions matérielles, à l'intelligence, à l'éducation... j'ai en fait absorber une partie de sa vision du monde, sans pouvoir y apporter les même réponses.

 Cet essai est la pièce maitresse de sa bibliographie. C'est un auteur majeur du siècle dernier, fondateur dès 1932 de cette république politique des lettres que le monde connu sous le règne du communisme (on peut au moins reconnaitre un truc de bien à la révolution russe outre Nestor Makhno). Et il a été assez tristement oublié parce que trop acide et trop lucide à la fois, trop empêtré dans une idéologie et en même temps trop visionnaire.

 Si je vous parle de lui aujourd'hui, c'est parce qu'en ces temps de luttes sociales, alors que le monde tourne autour de sa propre apocalypse, Nizan est toujours aussi tristement d'actualité si vous savez simplement absorber sa pensée en pondérant ces propos. Et c'est un auteur à lire pour mieux comprendre le siècle dernier et foncièrement, pour mieux nous comprendre nous.

 A mon habitude, je vous laisse sur quelques extraits qui j'espère vous montreront tant la substance de l'oeuvre que vous donnera envie de la lire

La bourgeoisie travaillant pour elle seule, exploitant pour elle seule, massacrant pour elle seule, il lui est nécessaire de faire croire qu’elle travaille, qu’elle exploite, qu’elle massacre pour le bien final de l’humanité. Elle doit faire croire qu’elle est juste. Et elle-même doit le croire. M. Michelin doit faire croire qu’il ne fabrique des pneus que pour donner du travail à des ouvriers qui mourraient sans lui

***

 Nous n'accepterons pas éternellement que le respect accordé au masque des philosophes ne soit finalement profitable qu'au pouvoir des banquiers

***

 Qui donc combattra la domination des bourgeois si tout le monde est d’abord persuadé que leur pensée saura résoudre à son heure et en son lieu l’un de ces inquiétants problèmes, toujours possibles, toujours pendants ? Mais les clercs ne feront pas éternellement illusion : dans la lumière sans pitié de la terre, tous les hommes sauront que leur pensée est une pensée pauvre et une pensée vaine, qui ne peut pas produire de fruits, parce qu’elle est nécessairement une pensée lâche.

***

 On rencontre cependant tous ces gens, tous ces jeunes gens qui croient que tous les travaux formellement philosophiques amènent un profit à l'espèce humaine, parce qu'on leur a persuadé qu'il en va ainsi de toutes les tâches spirituelles. Avoir de bonnes intentions, c'est d'autre part, et pour parler gros, vouloir précisément ce profit. On a appris à tous ces gens depuis la classe de septième, depuis l'école laïque que la plus haute valeur est l'esprit et qu'il mène le monde depuis l'éloignement de Dieu. À seize ans, qui donc n'a pas ces croyances de séminaristes ? J'eus par exemple ces pensées. Sous prétexte que je lisais tard des livres en comprenant plus facilement qu'un ajusteur n'eût fait le divertissement de Pascal et le règne des Volontés Raisonnables, je ne me prenais pas pour un homme anonyme, je croyais docilement que l'ouvrier dans la rue, le paysan dans sa ferme me devaient de la reconnaissance puisque je me consacrais d'une manière noble, pure et désintéressée à la spécialité du spirituel au profit de l'homme en général, qui comprend, parmi ses espèces, des ouvriers et des fermiers. Mes maîtres faisaient tout pour m'entretenir au sein d'une illusion si agréable pour eux-mêmes.

***

 Vérité univoque exige un Dieu tout puissant..

***

 Il y a d'une part la philosophie idéaliste qui énonce des vérités sur l'homme et d'autre part la carte de la répartition de la tuberculose dans Paris qui dit comment les hommes meurent.

***

 D'autres part, il existe des oppresseurs et des opprimés. Et des gens qui profitent de l'oppression et d'autres qui ne sont pas tranquilles lorsqu'ils savent qu'elle existe. [...]

 Il est l'heure de dire simplement qu'il y'a une philosophie des oppresseurs et une philosophie des opprimés, sans aucune ressemblance réelle, bien qu'on les puisse toutes deux nommer philosophie.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Ragne ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0