Prologue

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Ma chambre n’a pas changé.

Cela me surprend presque.

Un calme olympien règne dans toute la pièce. Aucun bruit ne me parvient du dehors, nulle voisine envahissante ne piétine le plafond de ses vertigineux talons aiguille. Le calme après la tempête.

Les murs blancs, qui me rappellent brutalement ceux d’une chambre un peu moins accueillante, sont noyés sous les posters et photos à moitié décollés. Le plafonnier illumine les visages de papier glacé de sa lumière artificielle et aveuglante.

Je fais un pas pour me rapprocher du lit. Couette impeccable. Aucun pli sur les draps. Mon oreiller comporte encore les traces de mon menton, laissés lors de ma dernière nuit ici où j’ai dormi d’un sommeil profond que je ne retrouverai plus jamais.

Plus jamais.

Je ne dormirai plus jamais.

Ou en tous cas, plus comme avant.

Mes Doc. Martens font couiner le parquet, et mes pieds pourtant fins me semblent maintenant peser une tonne. Mon talon paraît lourd sur le sol ciré. Mon cœur l’est encore plus, et ma tête est remplie à ras bord. Elle me fait mal, ma tête, elle hurle, déchire mon corps d’un cri strident et interminable. Les souvenirs me font mal. Chaque seconde me paraît être une éternité.

Je tente de refouler les larmes qui me montent soudain aux yeux. Je dois me calmer. Dans quelques secondes, Bastien ou Jules va m’appeler et la réalité se manifestera à nouveau, comme une sonnette d’alarme. Je dois profiter de ces derniers moments seuls avec moi-même, loin des regards appuyés et des reproches incessants de ma conscience.

Mon bureau.

Mon bureau aux teintes pastel. Les cartes postales posées dessus. J’en prends une et la retourne, c’est trop dur de la regarder.

La pile de livres en équilibre. L’attrape-cœurs, Ruy Blas, Madame Bovary et bien d’autres.

Et surtout…

Surtout…

Mon cahier de maths ouvert. La feuille d’exercices sur laquelle je travaillais lorsque c’est arrivé. Dans ma hâte, je n’ai même pas pris soin de la ranger.

Je saisis la feuille d’une main tremblante. Racines carrées. Calcul de delta. Et dire que tout cela me paraissait plus difficile que quoi que ce soit d’autre.

Ma plus grande préoccupation était le DS de maths de la semaine suivante. Si j’avais su, putain, si j’avais su !

Je repose la feuille d’un geste rageur et m’apprête à faire demi-tour lorsque j’aperçois ma trousse.

Ouverte.

Et mes stylos.

Mon Bic quatre couleurs. Mon surligneur jaune qui sent la banane. Gomme. Ciseaux. Règle. Tout ça, tant d’objets qui me paraissaient tellement futiles que je les saisissais sans m’en rendre compte. Quand j’ai su, je me suis levée, brusquement, le cœur battant, sans y croire vraiment. Et j’ai tout laissé. En vrac. En bordel, là, sur mon bureau de lycéenne.

Alors, tout cela n’est pas un rêve.

Rien  n’a changé, dans cette chambre. Malgré tout ce qui s’est passé depuis une semaine, malgré le chaos et les larmes et l’incompréhension et la douleur, rien n’a changé. Rien n’a changé, à part moi. Rien n’a changé, à part tout.

Mon portable vibre brutalement, m’arrachant à mes pensées. Je le sors de la poche de mon jean. C’est Bastien.

J’appuie sur la touche verte et porte l’objet à mon oreille.

-Allô ?

Ma voix tremble.

-Alexia ?

La sienne aussi.

-O…Oui ?

Je sais ce qu’il va m’annoncer. Je le sais. Qu’il le fasse, alors. Qu’il le fasse maintenant. Qu’on en finisse. Qu’on en finisse avec cette merde pour qu’une autre commence.

Les yeux secs, le cœur lourd et brûlant, j’articule :

-Dis-le, Bastien. Dis-le.

Silence. Puis il répond :

-Dans une heure. Dans une heure, c’est fini.

Je ferme les yeux. Soudain, tout me revient. Bac à sable. Couettes. Projecteurs. Coquillages. Cigarette. Toutes ces images défilent si vite que je ne parviens pas à m’attarder sur l’une d’entre elles. De toute façon, je les connais toutes par cœur.

-Alexia, murmure Bastien à mon oreille.

J’ouvre les yeux et réponds :

-J’arrive.

 

 

 

 

 






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