Le livre des morts

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La nuit était encore noire lorsque Philippe réveilla Alrick en lui secouant gentiment le bras. La faible lueur du brasero rendait le visage tiré de Philippe effrayant et Alrick sursauta quand ses yeux encore lourds de fatigue s’ouvrirent enfin sur son ami. Il lui fallut le dévisager un moment avant de reconnaître Philippe sous le déguisement dont il était affublé : le crâne rasé, il portait une longue robe colorée et des bottes de peau qui montaient à mi-mollets.

Alrick s’assit en tailleur et frotta ses bras nus pour se réchauffer. Philippe paraissait particulièrement de mauvaise humeur ce qui n’augurait rien de bon pour la suite du voyage. Le nagspa quant à lui n’était visible nulle part.

— Comment te sens-tu ? osa Alrick pour sonder son ami sur la raison de son apparent malaise.

— Vivant, enfin je crois… répondit Philippe mal à l’aise tout en se caressant la tête à la recherche de ses cheveux perdus.

— Qu’est-ce qui t’a pris ? lui demanda Alrick en indiquant la tête de son ami.

— Ce n’est pas toi qui m’as fait ça ? Philippe parut à la fois inquiet et rassuré.

— Non, bien sûr que non voyons.

— Je me suis réveillé comme ce matin. J’avais la désagréable sensation que quelque chose clochait, mais c’est seulement quand j’ai touché ma tête que j’ai compris ce qui m’arrivait. J’ai trouvé ces vêtements en tas à côté de moi et je me suis dit que tu les avais mis là pour moi. Les miens ont disparu et j’ai bien l’impression qu’ils ont été brûlés. J’ai retrouvé un bout de tissu carbonisé dans le feu quand j’ai fait mon inspection ce matin.

Mécaniquement, Alrick porta la main à son cou pour s’assurer que sa chaîne s’y trouvait toujours. Par contre, la chemise et le pantalon qu’il avait mis à sécher étaient eux aussi introuvables. Le regard interrogateur de Philippe lui appris que pour cela non plus il n’y était pour rien. Il leur fallait attendre le retour du nagspa pour en apprendre davantage. Sans un mot supplémentaire, son ami lui tendit une tasse remplie de thé épaissie selon la coutume locale.

— Tiens, bois ça. J’espère que tu me raconteras comment on a bien pu finir ici. J’ai vu des trucs dans cette cahute qui me donnent la chair de poule, murmura-t-il à l’oreille d’Alrick comme s’il avait peur que l’on puisse les entendre. Je ne serais pas fâché de partir d’ici au plus vite.

Ce dernier essayait de remettre ses idées en place. La veille, il n’avait pas vraiment eu l’occasion de prêter attention à la chaumière et n’avait rien remarqué d’étrange. Il avait dû s’endormir vraiment profondément pour qu’il ne se rende même pas compte de ce qu’on avait fait à Philippe durant la nuit. Surtout, il ne comprenait vraiment pas ce qui avait pu motiver son hôte à se comporter de la sorte.

— Ces vêtements sont apparemment pour toi, ajouta Philippe en indiquant du menton des oripeaux qui gisaient sur le sol derrière son ami.

Lorsqu’Alrick enfila la robe, une forte odeur de chèvre et de crottin l’enveloppa. Par endroit, elle était tachée et semblait même souillée.

Contre toute attente, devant le dégoût d’Alrick, Philippe se mit à sourire.

— N’est-ce pas toi qui prétends qu’il ne faut pas être trop regardant avec les cadeaux des autres ?

— Tu as raison. Dès que possible, je rincerai tout ceci dans un ruisseau, répondit Alrick décidé à faire contre mauvaise fortune bon cœur.

Il était trop heureux que leur mésaventure de la veille se soit aussi bien terminée pour se laisser contaminer par l’humeur chagrine de Philippe. Alrick enfila les chaussons de peau et ce qui devait être une veste de laine dans un lointain passé.

Une fois les deux amis habillés de vêtements locaux, ils se dévisagèrent presque pris d’un fou rire. Leur apparence serait sans doute bien moins étrange pour les habitants de ce monde et c’est ce qui comptait. Le nagspa pénétra dans la pièce à cet instant précis.

Alrick l’apostropha aussitôt :

— Que signifie tout ceci ? demanda-t-il en constatant l’air satisfait du Nagspa devant ce qu’il voyait.

— J’ai longuement réfléchi au meilleur moyen de vous rendre à la capitale. La seule et unique façon est, comme je vous l’ai mentionné hier, de vous faire passer pour des élèves. Je vais vous enseigner ce qu’il vous faut connaître des coutumes locales pour que vous passiez plus ou moins inaperçus jusqu’à votre arrivée au temple. De plus, il fallait que votre apparence soit la plus proche possible à celle des pèlerins qui voyagent vers le temple.

— On aurait quand même apprécié en être informés avant que vous ne décidiez à notre place…

— Veuillez m’excuser, je pensais bien faire et le temps nous manque, répondit aussitôt le nagspa en l’interrompant d’une main levée.

L’explication parut convaincre les deux amis même si Philippe comprenait à demi-mots et semblait contrarié qu’on ne lui ait pas demandé son avis surtout pour ce qui concernait ses cheveux. Mais après tout, comme il était redevable vis-à-vis de son hôte, il n’osa pas trop se plaindre.

Le nagspa les inspecta une fois de plus, mais cette fois il fronça les sourcils à la recherche de ce qu’il manquait pour parfaire la transformation. Finalement, il se rendit compte qu’il leur fallait une Ambag pour transporter les quelques objets qu’ils devaient emporter.

— Toutefois je vous préviens, si vous pouvez faire illusion auprès des paysans, ne croyez pas berner les maîtres aussi facilement.

Tout en parlant, il rassembla toutes sortes d’objets qui pouvaient leur être utiles pendant leur périple : briquet et mousse, farine d’orge, quelques abricots secs, du thé, deux tasses et deux cuillères faites de cornes de yak. Enfin, un drap de coton qui leur servira de tente. Une fois l’ambag rempli, Alrick ressemblait presque à un habitant de la région, Philippe aux cheveux noirs et à la peau olivâtre semblait méconnaissable et, s’il n’ouvrait pas la bouche, la ressemblance était presque frappante.

— Comment puis-je vous remercier ? demanda Alrick à leur hôte inespéré.

— Vous ne me devez rien. Nous avons l’habitude de dire que, d’une façon ou d’une autre, ce que nous donnons nous reviendra sous une forme ou sous une autre. Aussi, ne vous en faites pas pour ces humbles présents.

— En tout cas, vous avez toute notre gratitude.

Alrick donna un petit coup de coude dans le flan de Philipe qui se força à sourire pour remercier.

Le regard du nagspa faisait des aller et retours entre Alrick et Philippe à la recherche d’une explication sur le fait que seul Alrick semblait comprendre et parler sa langue. Il avait mis le silence de Philipe sur le coup des événements de la veille mais le nagspa comprit alors qu’il y avait autre chose.

Tout à coup son visage s’illumina d’un pâle sourire.

— Voilà ce que je vous suggère : il est courant pour un élève de faire vœu de silence pendant son chemin vers l’école afin de se concentrer au mieux sur les enseignements de ses maîtres. Il vous sera ainsi possible d’expliquer que vous êtes son serviteur et que s’il ne peut pas parler, il est toutefois autorisé à lire les prières sacrées sur requête de voyageurs que vous serez amenés à rencontrer en chemin. Avec un peu de chance cela vous permettra de recevoir des offrandes pour survivre. Vous-même parlez suffisamment bien notre langue pour que votre histoire à tous deux soit crédible.

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