Le Nagspa (suite et fin)

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Il ôta alors la peau de chèvre qui lui barrait la poitrine et la déposa sur les épaules de Philippe. Celui-ci se mit à gémir faiblement. Installant ce dernier sur ses épaules massives, comme si Philippe ne pesait pas plus lourd qu’un sac de grain, il reprit le chemin de son habitation. Le géant ne paraissait pas le moins du monde souffrir du froid malgré son torse nu que la brise cinglante venait lécher. Le souffle glacial détachait parfois quelques flocons de neige du sol virvoltant autour d’eux.

Alrick remarqua alors que son dos présentait plusieurs cicatrices, d’anciennes blessures ressemblant fort à une série de coup de griffes. Il ne put s’empêcher de se demander si ce n’était pas justement des griffes d’onces qui avaient provoqué pareilles entailles.

Une fois revenu dans la demeure, l’inconnu déposa son fardeau par terre, près du feu. Alrick s’effondra alors sur le sol à quelques pas de son ami. Il devait se ressourcer avant de faire quoi que ce soit et fut soulagé de constater que l’inconnu sembla vouloir prendre soin de Philippe à sa place. Après avoir mis une petite bûche dans le feu, ce dernier prit longuement son pouls. Lent et faible, il était à peine perceptible sous les doigts experts du vieil homme qui secoua la tête de mécontentement. Il s’empressa de le déshabiller pour le débarrasser de ses vêtements désormais trempés par la glace et la neige fondue. Ce faisant, il remarqua aussitôt le pendentif que Philippe portait autour du cou. Bien qu’Alrick ne le quitta pas des yeux et observait chacun de ses mouvements, il ne remarqua pas l’infime mouvement de recul que le sorcier fit en découvrant le bijou. Une fois qu’il eut terminé d’ausculter Philippe, il se dirigea vers le fond de la masure. Sur la paroi était posé un bahut en bois encombré de toutes sortes d’objets hétéroclites : bocaux, bols, ficelles, pierres, livres et bien d’autres encore qu’Alrick ne connaissait pas. À l’intérieur d’un des bocaux qui encombraient une des étagères, il choisit une sorte de cigare brunâtre constitué de feuilles séchées qu’il alluma au brasero. Il approcha la pointe rougeoyante entre les deux yeux de Philippe si près de sa peau qu’il risquait de le brûler. Alrick bondit sur le bras de l’inconnu pour l’empêcher de blesser son ami. Ce dernier le repoussa sans ménagement et le toisa avec colère.

— Si vous voulez que j’aide votre ami, laissez-moi faire !

Alrick obtempéra presque à regret mais se tint sur le qui-vive.

— Je ne fais que réveiller ses centres vitaux, expliqua l’inconnu plus calmement tout en continuant ses soins. Il est très faible en ce moment et si je ne l’aide pas, il est condamné et ne passera pas la nuit.

Il appliqua ensuite le moxa sur l’intérieur de ses poignets et de ses chevilles pendant quelques secondes. Une fois tous les points stimulés par la chaleur, il posa ensuite ses mains sur le cœur de Philipe puis parcourut le reste de son corps glacé vers les extrémités en prenant soin de reposer préalablement les deux mains jointes l’une sur l’autre sur le cœur de Philippe. Cette technique parut augmenter la circulation car, peu à peu, les extrémités reprirent une couleur plus naturelle.

Satisfait du résultat, il prépara alors du thé auquel il ajouta du sel et une bonne mesure de beurre. Il se tourna vers Alrick attendant visiblement quelque chose.

— Avez-vous un bol ? demanda-t-il, légèrement exaspéré que son invité imprévu ne comprenne pas.

La surprise qu’il lut sur le visage d’Alrick le renseigna mieux qu’un discours. L’homme soupira et alla chercher deux bols faits d’argile.

— Vous prétendez être des voyageurs mais aucun ardjopas ne voyagerait sans son bol et sa cuillère. C’est très mal vu dans cette région de manger dans le bol d’un autre. Vous l’ignoriez car vous n’êtes pas tout à fait des pèlerins, n’est-ce pas ?

Alrick ne prit pas la peine de répondre car visiblement il était inutile de chercher à mentir.

Le vieil homme ajouta une mesure de tsampa, sorte d’orge grillé, pour Alrick. Ensuite, il fit boire quelques gorgées de thés à Philippe qui avait entre temps repris une respiration plus régulière.

Alrick, affamé, ne s’attarda que très peu pour finir ce breuvage pourtant au goût rance et salé.

— Que cherchez-vous au juste si loin de chez vous ? insista l’inconnu abruptement.

Puisque cet homme possédait sans l’ombre d’un doute une magie considérable, il sembla inutile à Alrick de s’inventer une excuse. Il décida de lui confier une partie de la vérité. Après tout, qui mieux que lui pouvait connaître celui qu’ils étaient venus rencontrer ?

— Nous sommes venus parler à Celui qui touche les étoiles.

Le nagspa se mit à ricaner.

— Tout le monde le cherche mais il n’est qu’une légende ; un mythe qui a été construit pour les élèves de l’école de la Sagesse Suprême. Qui vous a parlé de lui ?

— Une vieille amie, éluda Alrick peu certain de l’existence des dragons en ce monde.

Le haussement de sourcil de son interlocuteur fit comprendre à Alrick qu’il en connaissait peut-être plus long à ce sujet qu’il ne le laissait paraître.

— Et cette « amie » ne vous a rien dit d’autre ?

La lueur d’intérêt qui passa dans le regard de son interlocuteur mit Alrick sur ses gardes. Faisant mine d’être plongé dans ses pensées et de ne pas avoir entendu la question, Alrick demanda alors :

— Une école de la Sagesse Suprême ? Peut-être devrions-nous commencer nos recherches par là.

— Elle se trouve au sommet de Kailash. C’est impossible de s’y rendre ou même de s’en approcher si vous n’êtes pas vous-mêmes un élève de la voie de la Suprême Sagesse. Pour cela il vous faut un maître, quelques années de travail et une solide lettre de recommandation d’un des membres de la congrégation des sages.

— Où pouvons-nous les trouver ?

— Ce n’est pas à moi de vous l’apprendre. Ce secret est jalousement gardé par la confrérie. Seuls les initiés en passe de devenir à leur tour maître sont à même de connaître de cette information.

Alrick avait l’impression d’avoir vu poindre une note d’amertume dans le discours de son interlocuteur même si ce dernier semblait avoir énoncé cela comme une évidence connue de tous.

— Peu importe, nous avons fait une longue route pour arriver ici et nous ne renoncerons pas si près du but. Il doit bien y avoir un moyen de trouver quelqu’un qui acceptera de nous renseigner ou tout au moins de nous aider à rejoindre cette école.

La tranquille assurance d’Alrick amusa le nagspa.

— Comme vous voudrez. Je puis au moins vous conduire sur la route de la capitale. Une fois dans la bonne direction, vous n’aurez qu’à suivre le chemin. Beaucoup de pèlerins s’y rendent pour y faire des offrandes au temple qui est au pied de la muraille qui coupe l’accès vers la Cité Interdite. Vous pourrez vous greffer à l’un de ses groupes. Aucun doute que là-bas vous pourriez rencontrer un des maîtres qui connaissent ce secret, si toutefois l’un d’eux accepte de vous parler. Je vous préviens que la tâche sera extrêmement ardue. Ils vivent reclus la plupart du temps et les rares fois où ils sortent de leur isolement, ils n’acceptent aucun contact avec le monde extérieur au village qui borde le temple.

— Je dois tout de même essayer.

— Très bien. Nous partirons demain avant le lever du soleil. Si les habitants du village vous voient ici, ils vont poser beaucoup de questions et je doute fort que vos réponses évasives ne les satisfassent. Je ne voudrais pas avoir à leur expliquer pourquoi j’ai accepté de vous aider.

Cette phrase en apparence innocente augmenta d’un cran la nervosité d’Alrick.

— C’est vrai que l’hospitalité n’est pas le fort de ce village. Vous avez toute ma gratitude pour votre aide mais pourquoi avoir accepté de sauver mon ami ?

— J’imagine que c’est tout simplement parce que contrairement aux villageois, je n’ai pas peur des étrangers. J’ai moi aussi beaucoup voyagé et je sais combien il est précieux de recevoir de l’aide quand on en a besoin.

Son sourire et son ton affable rassurèrent quelque peu Alrick. Après tout, quelles raisons pouvaient bien avoir cet homme de leur venir en aide mise à part la simple générosité ? Philippe semblait dormir paisiblement, lui-même avait été accueilli un peu froidement au départ mais tout de même avec courtoisie. Il se surprit à relâcher la tension nerveuse qu’il avait accumulée et il se mit à frissonner violemment. Le nagspa s’approcha alors et lui demanda d’ôter sa chemise mouillée. Sur son torse, il découvrit le pendentif en diamant que lui avait légué Tanaka. Cette fois, il ne put s’empêcher de vouloir faire mine de le toucher mais ses doigts ne l’effleurent même pas. Il se contenta de poser sa main juste en dessous et Alrick sentit une douce chaleur irradier de sa main vers son torse.

— Vous êtes très fatigué et votre énergie est faible. Mieux vaut nous reposer car la nuit va être courte.

Il hésita quelques instants avant d’ajouter :

— Le lieu où vous vous rendez est sacré pour mon peuple. Votre chemin sera long et périlleux, mais je vais essayer de vous aider au mieux de mes capacités si vous êtes d’accord.

— Votre aide est la bienvenue.

Il déposa une peau de chèvre près du brasero et s’allongea sans prêter la moindre attention à Alrick, décontenancé par ce brusque revirement de situation. Il remercia cependant sa bonne étoile de lui venir en aide encore une fois et de lui envoyer un guide.

Avant de s’abandonner tout à fait à la fatigue, il contrôla encore la respiration de Philipe et s’allongea à même le sol. L’odeur de chèvre mêlée à celles des excréments et du bois brûlé ne l’empêcha pas très longtemps de tomber dans les bras de Morphée.

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