Le nagspa (suite 2)

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Quand finalement il rejoignit le village, la nuit était presque tombée. Il frappa à la première bâtisse en pierre qu’il trouva sur sa route et fut accueilli par les aboiements de trois chiens visiblement mécontents qu’un intrus osât s’approcher de leur territoire. Ils tentaient de lui mordre la main en passant leurs museaux par les fentes des planches de bois qui constituaient la porte. L’odeur de fumier fit comprendre à Alrick que les propriétaires devaient se trouver à l’étage, alors que le bas était dévolu aux bêtes. Ne se laissant toutefois pas impressionner par les chiens, il frappa de nouveau à la porte de l’étable, cette fois un peu plus fort. Au bout d’une minute ou deux, le volet du premier étage s’ouvrit enfin. Une paysanne aux longues tresses grisâtres l’apostropha :

— Allez-vous-en, nous n’aimons pas les étrangers par ici.

Avec ses yeux bleus et ses cheveux blonds, Alrick contrastait avec ce peuple à la peau foncée, aux yeux presque aussi noirs que le charbon.

— Mon ami est blessé ! lança Alrick en désespoir de cause.

Même si cette langue lui fut étrangère quelques instants auparavant, il trouva les mots sans difficulté et ne s’étonna pas de la facilité avec laquelle il avait compris ce qu’elle lui avait dit. Le pouvoir que lui avait donné Towanbé de comprendre toutes les langues s’étendait apparemment à plusieurs mondes et il ne pouvait que s’en réjouir.

Tout en criant une nouvelle fois « allez-vous-en ! », la vieille femme referma violemment le volet.

Alrick retenta sa chance aux différentes habitations qu’il trouva sur son chemin, mais la réponse qui lui fut donnée fut identique, le laissant chaque fois un peu plus abattu. Alors qu’il allait renoncer à trouver du secours, un peu en dehors du village, il aperçut une petite masure dans un état encore plus délabré que le reste des habitations. Se couvrant un peu plus le visage à l’aide de sa capuche dans l’espoir de ne pas être reconnu dans la pénombre, il frappa à la porte d’entrée. Personne ne répondit et, espérant que cette habitation fut abandonnée, Alrick ouvrit lentement la porte. La pièce était faiblement éclairée par un braséro dans lequel brulaient des copeaux de pins. Quelques chèvres regroupées dans le fond de la pièce constituaient la seule source manifeste de chaleur. Toutefois, le contraste avec l’extérieur était suffisant pour que la pièce lui sembla être une sorte de havre de paix. Alrick appela de nouveau au seuil de la porte pour être certain que le propriétaire ne fut pas dans les alentours. En l’absence de réponse, il osa enfin s’approcher du petit foyer pour profiter de la maigre chaleur dispensée par les flammèches. Alors que du regard il faisait le tour de l’habitation à la recherche de quelque chose qui put lui servir à réchauffer ou transporter son ami, la porte s’ouvrit brusquement derrière lui, laissant entrer un tourbillon d’air glacial. La stature massive de celui qui venait de franchir le seuil ne rassura pas Alrick quant à ses chances de remporter un éventuel corps à corps avec le probable propriétaire des lieux.

— À qui ai-je l’honneur ? s’enquit-il, pas tout à fait surpris de trouver un inconnu chez lui. Le ton n’était pas franchement hostile et l’homme parut surtout agacé de trouver quelqu’un chez lui à une heure aussi tardive.

— Je suis Alrick, je viens humblement solliciter votre aide pour transporter mon ami qui est transi de froid à quelques centaines de mètres d’ici.

L’homme s’avança au milieu de la pièce en repoussant la capuche qui lui couvrait le crane, laissant Alrick entrevoir ses traits à la lueur du feu.

Son visage paraissait taillé à la hache : carré et sec comme un bout de bois que l’on n’aurait pas pris le temps de dégrossir. De ce visage peu ordinaire, Alrick remarqua surtout ses petits yeux noirs, mobiles et transperçants. C’était un large gaillard qui portait un étrange collier constitué d’un assemblage de ce qui semblait être des morceaux de crânes. Alrick se demanda aussitôt de quel animal pouvait bien provenir ses bouts d’os qui s’entrechoquaient à chacun de ses mouvements. Ce détail vestimentaire indiquait clairement que cet homme devait être un sorcier, probablement aussi le guérisseur du village.

Ce dernier suspendit alors sa cape qui gouttait à un crochet près du brasero. Il détailla brièvement Alrick à son tour.

— D’où venez vous ? demanda l’inconnu sèchement en fronçant les sourcils comme s’il cherchait à percer l’identité d’Alrick.

— Du sud, hasarda Alrick, peu sûr que ce fut la réponse attendue.

Après tout, ce n’était pas tout à fait un mensonge puisqu’ils avaient parcouru un bout de chemin dans cette direction.

— De quelle région ? Insista le propriétaire des lieux en reniflant sceptique. 

—  « Lambo »

L’inconnu le dévisagea encore quelques instants et, même s’il ne parut nullement convaincu par la réponse, il opina du chef.

Par courtoisie, Alrick attendit une autre question qui n’arriva pas. Peu à peu, le malaise procuré par le regard insistant du propriétaire de la maison devint si oppressant qu’Alrick demanda :

— Avez-vous une peau ou quelque chose pouvant réchauffer mon ami ?

— Inutile, fut la seule réponse qu’il lui accorda et il sortit de la chaumière après avoir allumé une torche.

Alors qu’Alrick se rapprocha de l’homme pour lui indiquer le chemin, ce dernier le somma de rester derrière lui.

— Je crois être meilleur pisteur que vous. Je suivrai les traces que vous avez laissées dans la neige en venant ici et, selon toute probabilité, elles me porteront directement à lui. Inutile d’embrouiller les pistes par d’autres traces.

Effectivement, la neige réfléchissait le faible éclat de la torche. Ses précédentes traces de pas étaient très nettement visibles.

Tous deux rejoignirent Philipe assez rapidement. Son corps était entouré d'empreintes de pattes. Alrick imagina aussitôt qu’un peu plus tôt l’once avait dû les suivre et rejoindre Philipe pour le réchauffer de nouveau. Qu’avait donc senti cet animal qui l’ait poussé contre toute attente à porter secours à des humains ?

Le regard de l’inconnu s’arrêta lui aussi sur les petites marques rondes si caractéristiques et huma l’air tout en se penchant pour vérifier son hypothèse à la recherche de quelques poils. Il parut très surpris de reconnaître les traces d’un tel mammifère si près d’un humain encore en vie mais ne fit aucun commentaire.

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