Le Nagspa

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La neige formait autour de son corps inanimé une sorte de cocon. Si ce ne fut la morsure du vent contre son visage qui lui rappelait qu’il était encore en vie, il aurait pu s’imaginer dans une sorte de paradis. Comme plongé dans un brouillard cotonneux, son esprit était terriblement ralenti. Lutter pour rester éveillé lui paraissait futile et il referma les yeux. Une question lui effleura toutefois l’esprit : depuis combien de temps gisait-il là, presque assoupi ? Cette fois il tourna légèrement la tête et la vue du corps de Philippe à quelques pas de lui le rassura dans un premier temps. Son ami de toujours était près de lui. Toutefois, en l’observant un peu plus longuement, sa mortelle pâleur lui fit prendre pleinement conscience du danger qui les guettait tous deux et cette pensée le ramena un peu plus à la réalité.

Il tenta vainement de se lever. La torpeur engendrée par le voyage avait fini par glacer tout son corps, ce qui rendait chaque mouvement, même infime, presque impossible. Tétanisés par le froid, même ses doigts refusaient de bouger, comme si son corps était coupé de sa volonté.

L’once, qui se tenait tout près de lui, s’approcha davantage d’Alrick et vint se blottir contre son corps immobile, à moitié enfoui sous la neige. De sa fourrure épaisse et immaculée irradiait une douce chaleur qui ramena peu à peu les extrémités d’Alrick à la vie, créant de douloureux fourmillements. Bientôt, il put de nouveau se mouvoir. Se relevant péniblement, il se dirigea aussitôt vers Philippe. Après s’être agenouillé tant bien que mal à ses côtés, il vérifia que son ami était toujours vivant. Philippe respirait toujours mais ne semblait pas être conscient car il ne réagissait pas malgré les secousses d’Alrick.  Découragé, Alrick se laissa aller et tomba mollement dans la neige.

Face à lui, posés sur le flanc de la montagne enneigée, les maigres rayons du soleil couchant inondaient le plateau d’orange, de prune et de carmin. Dans cette féérie de couleurs, Alrick fut transporté par la beauté du site et tout le reste lui sembla soudainement vain. Au fond, peu lui importait de se fondre pour toujours dans cette nature si grandiose. La tentation était grande de fermer les yeux et de laisser la glaciale caresse qui l’encerclait l’étreindre et le conquérir. Il sombrerait peu à peu dans une douce léthargie.

Une petite voix intérieure se réveilla et lui exhorta de bouger, de ne pas renoncer et ne pouvant lutter plus longtemps contre elle, il ouvrit les yeux et regarda de nouveau son ami d’enfance.

Conscient de la gravité de l’état de Philippe et de sa propre faiblesse, Alrick se décida à se lever afin d’avoir un meilleur aperçu de l’endroit où ils se trouvaient. S’il pouvait renoncer à vivre, son amitié lui interdisait de laisser son ami subir le même sort.

L’animal l’avait temporairement sauvé d’une mort certaine, il savait ne pouvoir compter toutefois que sur lui-même pour sa survie. S’ils ne voulaient pas mourir congelés, Philippe et lui, il leur faudrait trouver rapidement une source de chaleur et de quoi se sustenter.

Alrick ignorait depuis combien de temps ils étaient arrivés là. La quantité de neige qui recouvrait en partie son ami laissait supposer qu’ils avaient au moins passés quelques heures, si ce n’était plus, dans ces montagnes. Alarmé par le temps qu’il lui avait fallu pour recouvrer ses esprits après le voyage, il se promit de réfléchir sérieusement aux conséquences d’avoir été transporté dans un autre monde si tôt, plusieurs fois de suite de surcroit alors qu’à plusieurs reprises on lui avait bien recommandé de ne pas le faire. Mettre en péril leur vie de cette façon n’était en aucun cas un bon moyen pour arriver à ses fins. Il secoua la tête, à la fois furieux contre lui-même d’avoir risqué la vie de son ami et conscient que s’apitoyer sur lui-même pour le moment ne servait à rien. Au contraire, il fallait vite décider de la marche à suivre s’ils voulaient survivre à la nuit qui serait là d’ici quelques heures.

Tout en sautillant sur place pour se réchauffer, d’un rapide coup d’œil, Alrick observa les alentours. Perdus au beau milieu d’une chaîne de majestueuses montagnes, il n’apercevait aucun bois, aucun arbre, aucun buisson pourtant indispensable pour faire du feu. Tout autour d’eux, à des kilomètres à la ronde, il voyait juste de vastes étendues de neige et de glace, pas même l’ombre d’une petite anfractuosité qui aurait pu leur servir d’abris contre une éventuelle tempête de neige.

Les mouvements réguliers d’Alrick semblèrent étrangement réconforter l’once qui se dirigea alors vers Philippe. Son souffle chaud sur son visage, comme s’il lui insufflait sa propre énergie, le sortit lui aussi peu à peu de son engourdissement. Il ouvrit les yeux et instinctivement chercha à s’éloigner du prédateur penché au-dessus de lui en reculant.

— Gentil le chat, tenta-t-il de dire.

— Ce n’est pas un chat.

— Merci, j’avais remarqué, susurra Philippe, les lèvres craquelées par le froid.

— Ne bouge pas pour le moment. Laisse-lui le temps de renifler ton odeur. Il ne nous veut aucun mal.

— Tu en as de bonnes…

À contre cœur, il se laissa approcher davantage et se surprit à apprécier la caresse de la douce fourrure de l’animal contre ses joues.

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