L'évasion

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— Je suis ton obligé, répondit Zarhan en inclinant légèrement le buste.

— En attendant, je ne veux pas que tu risques de te faire repérer. Je vais demander à mon fils et quelques-uns de mes hommes de t’accompagner dans un lieu où tu seras plus en sécurité. Je t’y rejoindrai dès que possible. Et je t’en prie, ne tentes rien d’ici là. Si comme tu le dis le prince n’est plus de ce monde, alors nous aurons un besoin vital de chaque homme à même de commander. Que les anciens nous viennent en aide.

Zarhan regarda son imposant ami s’éloigner rapidement. Rien de tout ceci ne serait arrivé s’il avait renoncé à ramener le Tout Puissant à la capitale : sa femme serait peut-être encore en vie, sa fille n’aurait jamais rencontré Hakim et son beau père n’aurait pas dû se sacrifier pour lui. Quel destin avait bien pu guider ses pas dans cette direction ? Pourquoi, alors qu’il n’avait accompli que son devoir, se trouvait-il dans une telle situation ? Mais qui pouvait prévoir que le Massaké n’était plus lui-même ? Maintenant que le Prince était mort, qui pourrait s’opposer au souverain et les préparer au grand départ ? Il était insensé de penser qu’il en soit autrement. Il s’en rendait pleinement compte aujourd’hui. Si son peuple voulait avoir une chance de survivre, il leur fallait partir au plus vite.

Plongé dans ses réflexions, il sursauta quand le pan de la tente se souleva brusquement. Le fils de son ami venait pour le conduire à un autre campement un peu plus isolé. Sans ménagement, il lui demanda de se hâter. Zarhan n’avait pas l’habitude qu’on le traita avec si peu de respect. Toutefois, il avait pleinement conscience de mettre en danger toute la tribu par sa seule présence et ne pouvait en vouloir au fils de Jobuloni. Il ajusta son turban pour ne laissait paraitre que ses yeux et suivi le jeune homme. Alors qu’il s’éloignait de la capitale sur une des montures qu’on lui avait dévolu, Zarhan se tourna en direction du Grand Palais et pour la toute première fois il s’adressa aux Anciens avec ferveur.

— Sage et Oracles de l’ancien temps, gardiens des portes et Tout Puissant, entendez la prière d’un père pour sa fille unique. Protégez Adila. Quoi qu’il puisse m’en couter, si elle me revient, je fais le serment de renouer avec le passé.

Sur cette promesse lancée aux vents, il talonna son destrier pour rejoindre le reste du groupe qui commençait déjà à s’éloigner.


L'évasion


Le lendemain, la terre se mit de nouveau à trembler cette fois un peu plus fort. Cette secousse souleva une partie du terrain entourant les murailles de la ville, créant une nouvelle brèche qui permit à l’eau des douves de s’écouler. Jobuloni envoya aussitôt un messager à Zarhan pour lui expliquer comment il devait s’y prendre pour délivrer sa fille si elle était encore en vie ; tout ce que son informateur avait pu lui apprendre était l’endroit où elle avait été enfermée la veille.

— Nous devons agir vite car le Massaké a ordonné que les douves soient réparées demain à la première heure. Nous irons ce soir la chercher. Jobuloni pense qu’il est plus prudent que vous restiez caché.

— J’apprécie qu’il se préoccupe de mon sort mais c’est à moi, son père, d’aller la délivrer. Moi seul désormais l’aime suffisamment pour avoir le courage d’en finir si nous n’arrivons à en réchapper, affirma-t-il en brandissant un couteau.

— Mais…

— J’insiste !

— Comme vous voudrez. Mon Chef s’attendait à ce que vous réagissiez de la sorte. Je vous accompagnerai jusqu’à la lisière de la capitale. De là, nous attendrons la tombée de la nuit et vous agiterez une torche. Nous avons une alliée dans le palais. Elle se tiendra à une des fenêtres donnant au sud et attendra notre signal. Elle vous rejoindra alors à l’entrée du soupirail qui a été suffisamment élargi par un des gardes pour que vous puissiez enlever les barreaux et entrer sans problème.

— Peut-on vraiment compter sur elle ?

— Je m’en porte garant. Une fois sorti, vous n’aurez plus qu’à revenir vers le campement par le même chemin. Je vous attendrai avec votre cheval derrière la colline.

. profite de cela pour pénétrer dans la prison par ce moyen.

 

Dans la salle des gardes, depuis les événements dramatiques survenus pendant la cérémonie, les rires et les bavardages avait cédés leur place à une morosité et une nervosité constantes. Les rondes nocturnes, alors qu’une pluie intermittente tombait, étaient ce que les gardes rebutaient le plus. Lorsqu’on lui proposa d’échanger son tour de garde, Faoul n’en crut pas ses oreilles. Il s’empressa d’accepter et de rentrer chez lui. Les deux hommes marchaient côte à côte et Toulza essayait de distraire l’attention de son coéquipier en lui racontant des histoires. Malgré tout ce dernier s’exclama :

— Qu’est-ce-que c’est que cela ? Tu as vu cette lumière ?

— Non, répondit Toulza en haussant les épaules. Un éclair sans doute. Continuons notre ronde avant d’alerter les autres pour rien.

Son compagnon s’attarda encore quelques instants à scruter l’horizon puis se résigna à poursuivre sa marche.

Une fois la lueur de la torche éloignée, Zarhan courut vers les remparts avant qu’un autre duo de gardes ne s’approche. Le fond des douves était gluant et glissant, Zarhan dérapa et s’étala de tout son long, face contre terre. Sans le vouloir, cette maladresse fut sans doute ce qui le sauva car un des soldats passa près des douves à ce moment là pour les inspecter. Recouvert ainsi de boue, il passa inaperçu. Il entendit alors la voix du garde parlait des événements et de sa surprise à ce que le sort sembla s’acharner contre la capitale. Les voix des gardes s’éloignèrent et Zarhan se décida enfin à bouger. Cette fois, il s’assura que le sol ne se déroberait pas sous ses pieds avant de continuer à avancer. A quelques pas de là, il repéra la petite ouverture et, comme indiqué dans la missive, le mortier qui scellait le soupirail s’effritait sous ses doigts comme de la farine. À l’aide d’un petit poignard, il gratta tout autour et les barreaux cédèrent facilement quand il les arracha. Il se faufila à l’intérieur et bondit agilement sur le sol.

Falda l’attendait patiemment munie d’une torche. Elle sursauta malgré tout à sa vue car, recouvert ainsi de boue, elle ne le reconnut pas de suite. Elle indiqua à Zarhan de la suivre sans bruit. Ils empruntèrent une volée d’escalier et débouchèrent sur un long couloir sombre. L’humidité des cachots et le manque d’hygiène des occupants rendaient la touffeur nauséabonde. La cellule de la jeune fille se trouvait un peu plus loin sur la droite. Zarhan préférait ne pas regarder dans les autres cellules et ignorer si elles étaient occupées ou non. Il ne voulait pas avoir à regretter de ne pas aider un autre prisonnier. Il savait que s’il rencontrait le regard des autres suppliciés, il ne réussirait pas à partir et à sauver sa fille. Falda ouvrit le loquet de la lourde porte et se mit de côté pour faire place à Zarhan.

Quand il s’approcha de sa fille, les bras tendus vers elle pour l’embrasser, elle ne le reconnut pas. Elle se mit à couiner en se repliant sur elle même, effrayée à l’idée qu’il essaye de la frapper. Il recula horrifiée. Sa propre expérience des cachots et des traitements qu’il avait subis était encore bien trop récente pour qu’il en eut oublié le moindre détail. Zarhan tenta une nouvelle fois de venir près d’elle, cette fois en écartant légèrement les mains de son corps, les paumes vers le ciel pour lui faire comprendre qu’il ne lui voulait aucun mal. Il lui parlait tout bas, répétant sans cesse les mêmes mots comme une litanie apaisante.

Sa fureur n’avait d’égale que sa douleur de voir sa fille réduite à l’état de bête. Vêtue de haillons, décharnée et recouverte de terre et de souillures, elle ressemblait à un animal traqué et apeuré, grelotant de fièvre. Son poignet, auquel était attaché un bracelet lié à une chaine, n’était plus qu’une plaie qui commençait à pourrir. Il n’osa pas le détacher de peur d’abimer davantage son bras et se contenta se couper la chaine un peu plus loin. Il prit le petit corps sans défense de son enfant et ses mots apaisants semblèrent opérer de leur charme car elle se blottit enfin contre son torse. Zarhan sentit des larmes coulaient le long de ses joues. Il se jura toutefois qu’elles ne tariraient pas la source de la haine contre celui qui avait consenti à réduire ainsi sa fille.

Quand ils sortirent de la cellule, Falda approcha la torche et ne put contenir un cri d’horreur. Elle tenta toutefois de l’étouffer à l’aide de sa main posée sur sa bouche. Le visage de Zarhan ressemblait à un masque de cire, son regard perdu dans les profondeurs de sa peine. Falda ôta le long turban, qui couvrait ses cheveux, et l’entoura autour du torse de Zarhan et de la jeune fille formant une sorte de cocon qu’elle noua solidement. Elle le précéda en éclairant du mieux qu’elle put l’étroit passage visqueux et nauséabond qui servait de dévidoir aux déjections des prisonniers. Ce trou aboutissait dans les douves. Zarhan se laissa glissait le long de la paroi et ils débouchèrent enfin à la l’air libre. Falda imita le cri de la chouette et un autre cri lui répondit aussitôt sur leur gauche. Tous trois se dirigèrent à la hâte dans cette direction. Quelqu’un lança une corde que Zarhan utilisa pour se hisser hors du fossé. Un petit groupe d’hommes les attendait un peu plus loin avec des chevaux.

Sans prendre le temps de leur parler, sa fille toujours solidement attachée contre son torse, Zarhan grimpa sur la selle et lança son cheval au galop.

Sur les hauteurs de la muraille de la ville, Toulza regarda avec soulagement le petit groupe s’éloigner en silence.

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