Chapitre 39 : Entre peur et impuissance

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Mes pieds me font atrocement souffrir et mon visage me pique à cause du froid. J’ai l’impression que mes pommettes partent en lambeau et que je cours à même mes os. Il faut à tout prix que je m’arrête et vite !

Dans le hall d’un immeuble désert, je me cache quelques minutes et tends l’oreille afin d’être certaine que Daegan n’est pas dans les parages. Je ne perçois aucun son de moteur à proximité alors, je vérifie l’état de mes pieds et voyant qu’ils sont juste un peu rouges et égratigné, je me rechausse en vitesse. La douce semelle de mon talon qui caresse ma voûte plantaire me fait un bien fou inimaginable. Après avoir laissé mes mains posées sur mes joues pour leur donner un minimum de chaleur, j’extirpe mon smartphone de mon sac à main et le déverrouille aussitôt. Tout en reprenant mon souffle, je pianote sur l’écran tactile de mon portable et, sur Google Maps, j’entre mon adresse afin d’avoir un itinéraire précis d’où je me trouve. C’est alors que je me rends compte avoir courue dans le sens inverse de mon chez-moi. Quelle gourde je suis !

Je n’ai aucunement envie de refaire tout ce chemin en sens inverse, au risque de croiser Daegan dans la rue ou au pied de son appartement ! Enfin, s’il daigne au moins chercher après moi, mais sur ce point, je doute fortement...

Qui sait, peut-être était-il content que je prenne la fuite et à l’heure qu’il est, il doit sans doute être rentré chez lui, sous un plaid bien chaud allongé dans le canapé, un film d’action à la télé et une délicieuse bière blonde dans la main. Sans oublier la fameuse tarte aux pommes que je n’ai même pas eu la chance de déguster jusqu’au dernier morceau.

Mais qu’importe, là n’est pas le problème !

Sans réfléchir plus longtemps, je compose le numéro d’Alizée, en espérant qu’elle ne dorme pas encore ou ne soit pas occupée. Heureusement pour moi, ma sœur décroche presque à la première sonnerie. C’est étonnant de savoir à quel point je peux compter sur elle depuis notre escapade à Arras !

— Alicia ? Est-ce que ça va ? me questionne-t-elle immédiatement, la voix suraiguë et chevrotante.

— Oui, je vais bien, ne t’inquiète pas…

A l’autre bout de l’appareil, je l’entends expirer l’air qu’elle avait emmagasiné en décrochant son portable à la vue de mon numéro.

— Tu m’en vois soulagée ! Je peux faire quelque chose pour toi ma chérie ?

— Oui… Je sais qu’il est tard, mais j’ai un service à te demander…

— Je t’écoute, me répond-elle tendrement.

— Est-ce que tu peux venir me chercher et me ramener chez moi ?

— Bah, oui, mais où te trouves-tu ?

— Pas très loin en fait, mais à pied, j’en ai pour plus de trente minutes de marche et… disons que ma tenue n’est pas vraiment adaptée à cette heure tardive…

Un moment de silence se fait entendre. J’entends simplement ma sœur s’affairer dans le combiné, puis elle m’annonce :

— J’arrive tout de suite, envoie-moi l’adresse par message, je prends la route immédiatement. Surtout, tu restes où tu es. Tu te caches ! Tu m’as entendue ?

— Oui, merci beaucoup… Je t’attends, je ne bouge pas, je réponds, quelque peu angoissée.

Alizée raccroche et aussitôt, je lui transmets l’adresse pas SMS. En attendant son arrivée, je me dandine d’un pied sur l’autre pour tenter de me réchauffer, en vain. L’air glacial se faufile par-dessous ma jupe, se propage entre les boutons de mon chemisier et me congèle de l’intérieur. Pour couronner le tout, une fine neige se met à tomber, rendant le paysage un peu plus beau que nature, mais bien plus froid. Je resserre les pans de mon manteau autour de mon cou et prie pour qu’Alizée arrive rapidement, mais sans grande conviction. Son appartement se trouvant déjà à plus de vingt minutes du mien en voiture, j’estime qu’elle ne sera pas là avant au moins une heure !

Pleine de doute et la peur au ventre, je me demande si je ne ferais pas mieux de retourner chez Daegan ou bien même de lui envoyer un texto pour qu’il vienne me tenir compagnie le temps que ma sœur arrive. J’ai une trouille phénoménale de rester seule dehors à cette heure tardive de la nuit et les souvenirs désastreux de mon passé refont surface et me terrorisent.

Une fois n’est pas coutume, une boule d’angoisse se forme dans ma gorge au moment même ou j’entends des pneus crisser sur la fine couche de neige qui s’est formée sur la route désertique. Même si ce n’est pas possible qu’Alizée soit arrivée aussi vite, je ne peux m’empêcher de passer la tête au mur afin d’avoir une maigre visibilité. Évidemment, ce n’est pas la voiture de ma sœur, mais le modèle m’interpelle. Je ne suis pas certaine à cent pour cent, mais je crois que c’est le véhicule de Daegan. Finalement, peut-être qu’il tient à moi et qu’il me cherche ?

La voiture s’arrête au stop et attend bien plus longtemps que l’arrêt préconisé, puis tourne à droite, prenant la direction de là où je me trouve. À cet instant, mon coeur s’emballe et tout mon corps se crispe.

On ne doit pas me voir, pas m’entendre alors, je tente de me faire toute petite.

Le véhicule roule lentement, très lentement sur la chaussée enneigée et, comme si le destin voulait me punir de m’être enfuie de mon rencard, la lumière automatique du bâtiment s’allume alors que la voiture passe juste devant. Mes yeux s’arrondissent et menacent de sortir de leurs orbites tellement le timing est immonde, imparfait et ne jouant pas le moins du monde en ma faveur.

L’Audi s’arrête immédiatement et temporise devant le hall où je suis littéralement tendue comme un piquet. La seule chose qui fonctionne encore chez moi est ma tête qui scrute d’avant en arrière, guettant la voiture et le hall illuminé à tour de rôle.

Soudain, alors que mon visage est tourné vers l’Audi, les grognements d’un chien se font entendre dans mon dos, suivi par une voix rauque et menaçante d’homme éméché. Le coeur au bord de l’explosion, les mains et les jambes tremblantes comme jamais, je me tourne, non sans crainte, vers la source de ma terreur intempestive. Comme je l’imaginais, bien contre mon grès, un mastiff de catégorie dangereuse me montre les dents derrière la barrière vitrée tandis que son maître, un imposant barbu salle et alcoolisé explore mon corps sans vergogne, le faisant saliver. Cet homme s’empresse de mettre laisse et muselière a son chien avant d’appuyer sur le bouton qui permet d’ouvrir la lourde porte en verre.

— Tiens-toi tranquille salle bâtard ! hurle-t-il contre son animal de compagnie d’une voix pâteuse et répugnante avant de lui donner un coup de pied violent.

Je suis tétanisée, incapable d’ouvrir la bouche, incapable de poser mes yeux ailleurs que sur cet homme alors que la porte s’ouvre, le laissant apparaître juste devant moi. Une forte odeur de vin se dégage de sa bouche qui remue silencieusement et me donne des hauts le coeur insupportable. La fragrance est tellement immonde et puissante que je retiens ma respiration pour ne plus à y faire face.

— T’es bien en beauté, toi ! me lance-t-il avec un coup d’haleine répugnant en me dévoilant ses dents noires et ciselées.

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