Le secret de mamie Yvonne

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Mamie Yvonne était morte quelques jours plus tôt. La cérémonie fut fabuleuse. Il y avait énormément de monde, beaucoup de fleurs. Elle était très appréciée dans le village. Jusqu'à ses quatre-vingt dix ans elle cultivait un potager immense, et donnait des légumes à tout le monde. Elle était très serviable et modeste. Elle avait l'habitude d'esquiver les remerciements en disant : " N'importe qui aurait fait de même."

Elle avait des idées bien à elle sur la façon de mener sa vie. Jamais il n'a été question de la placer dans une maison de retraite. Personne ne pouvait s'occuper de sa maison à part elle ou sa petite fille chérie. C'est pour cette raison que je me retrouvais à habiter sa maison. Elle me l'a léguée car selon elle, j'étais celle qui lui ressemblait le plus. Ma famille n'a pas fait d'objection. Tous avaient une maison, et le reste de l'héritage était assez gros pour contenter tout le monde.

Je me retrouvais donc seule dans cette maison pleine de souvenirs d'enfance, à ranger et trier les affaires de ma défunte grand-mère. Chaque objet que j'attrapais m'évoquait quelque chose, comme par exemple les épingles à chignon sur la tablette de la salle de bains. Elle avait toujours coiffé ses longs cheveux blancs en un chignon très strict. Cela lui donnait un air sévère, mais je me souviens de sa gentillesse et de sa douceur. Elle prenait tout son temps pour m'apprendre les choses de la vie, et quand mes expérimentations se terminaient en bobos, elle savait les soigner mieux que personne. Elle me manquait déjà.

J'avais rangé le salon et la cuisine. Je n'avais presque pas touché à l'agencement des pièces. Le salon restera avec ses étagères pleines de bibelots de vacances que la famille ramenait pour mémé. La bibliothèque gardera ses livres de Christian Signol ainsi que les dictionnaires de langues étrangères avant d'en accueillir de nouveaux. La salle de bains a été facile à vider des médicaments périmés et autres produits dont je ne me servirai pas. Je m'attaquais à la chambre. J'avais décidé de donner aux bonnes œuvres les habits démodés. J'ai vidé l'armoire et découvert une petite boite cachée sous une pile de draps. À l'intérieur se trouvaient quelques photos en noir et blanc de mémé et d'autres visages que je ne connaissais pas. C'est en retirant le reste du linge, que quelque chose tomba sur le plancher. C'était une clef en fer forgé de la taille de ma main.

Je ne fis pas le rapprochement tout de suite. Il n'y avait aucune porte avec une serrure qui correspondait. Sauf la porte de la cave. J'avais presque oublié cet endroit, où personne n'était autorisé à entrer. Cette porte se trouvait au fond du cellier dans la cuisine. Lorsque j'étais petite, j'avais peur de cette pièce, car des bruits étranges en provenaient. En plus, grand-mère ne manquait pas de nous rappeler l'interdiction d'une façon sèche, qui ne lui ressemblait pas. Il y a même un jour où mon cousin avait eu droit à une bonne fessée pour avoir posé la main sur la poignée de la porte.

J'avais cette clé dans les mains, et mon cœur balançait entre angoisse et curiosité. Les yeux rivés sur le sésame, mes pas me conduisirent dans la cuisine, jusque devant la porte de la cave. Je restai figée devant le vieux panneau de bois, la main suspendue devant la serrure. Un bruit feutré derrière la porte me donna des frissons, réveillant les vieux monstres de mon imagination d'enfance. Malgré mes tremblements, j'insérai la clé dans la serrure. Je pris une bonne inspiration et tournai l'objet qui émit un grincement métallique. Avec lenteur, je fis tourner la poignée et poussai la porte. Derrière, je découvris une cage d'escalier avec une lampe au plafond, un interrupteur à ma gauche, et une autre porte en bas des escaliers.

Une autre porte ! Je ne savais pas ce que mamie Yvonne cachait dans cette cave, mais je commençais à me poser de sérieuses questions. Cette seconde porte était beaucoup plus récente. Elle semblait épaisse, presque étanche, et la serrure était, bien entendu, moderne. Alors je fis demi-tour pour chercher la clé. J'ai cherché dans toute la maison. J'ai retourné chaque bibelot du salon, ouvert tous les livres, j'ai quasiment tout retourné sans rien trouver. J'étais dans la chambre, à récupérer mon souffle, quand l'évidence se révéla à moi. Au-dessus du lit se trouvait une croix en bois. Ma grand-mère était une personne très pieuse : ce ne pouvait être que là ! Après l'avoir décroché avec précaution, je retournai l'objet, et je découvris une petite clé enchâssée dans le bois.

D'un pas rapide, je retournai face à la deuxième porte tout en serrant fort la clé dans ma main. Ce qui était caché derrière devait tenir à cœur à mamie Yvonne. Elle m'en avait confié la garde en me léguant la maison. Il fallait que je sache ce que je devais protéger. J'ouvris la porte avec prudence et détermination. La pièce était déjà éclairée, partagée en deux, par un long et épais rideau bleu nuit, qui m'en cachait l'autre moitié. Entre la porte et le rideau se trouvaient pleins de photographies encadrées, accrochées aux murs. Les premières étaient en noir et blanc. Sur l'une d'elles, des jeunes gens étaient assis autour d'une table, un sourire fatigué sur les lèvres, des armes devant eux, posées sur la table. Debout derrière eux se trouvait une jeune femme, un plat à la main, surprise par le photographe. C'était ma grand-mère, âgée surement d'à peine vingt ans, entourée de ce qu'il semblait être des résistants de la Seconde Guerre mondiale.

Les autres clichés étaient en couleur, toujours pris dans la même pièce avec au fond un rideau bleu nuit. On voyait clairement que les années étaient différentes d'une image à l'autre. Les personnes étaient, elles aussi différentes à chaque fois et on voyait bien qu'il s'agissait d'étrangers. Je me tournai vers le rideau bleu nuit, pour découvrir enfin la pièce secrète.

Une famille se trouvait là, assise sur un canapé, inquiète de me voir entrer. Ils étaient trois, un homme, une femme, et une petite fille âgée d'à peine dix ans. L'endroit était aménagé en studio assez spacieux. Il y avait très peu de lumière naturelle qui filtrait à travers une seule petite lucarne, mais quelques bouches d'aérations permettaient de garder l'atmosphère saine. Au fond de l'espace, je distinguais un passage, qui semblait conduire vers le jardin. L'enfant me regarda un instant puis parla dans une langue que je ne connaissais pas à ses parents. Elle descendit du canapé pour aller chercher un cadre photo et un paquet sur une commode. Elle montra la photo à ses parents qui acquiescèrent, et elle m'apporta le petit paquet. Il y avait un téléphone portable à l'intérieur et une lettre qui m'était adressée :

" Ma Chère Petite-fille,

Je ne suis plus là aujourd'hui pour continuer ce que j'ai entrepris il y a fort longtemps. J'ai commencé par héberger des résistants pendant la guerre, car cela me semblait juste. À la fin de la guerre, j'ai eu mes enfants qui ont grandi et puis la maison fut tellement vide à la mort de ton grand-père. J'ai alors travaillé comme bénévole dans des centres pour réfugiés de guerre. Je voulais fournir à manger pour tout le monde, mais les bras me manquaient. C'est alors que j'ai hébergé une famille de réfugiés qui m'a aidée au jardin. Ils en ont tellement fait que j'ai décidé de leur apprendre le français. Puis il y a eu d'autres familles qui ont pu chacune retrouver une vie normale, soit en France, soit à l'étranger.

Je te confie ma maison, et j'espère que tu poursuivras la mission que je me suis donnée. Dans le téléphone se trouvent tous les contacts dont tu auras besoin. Si tu ne souhaites pas continuer mon travail, je ne t'en voudrai pas, mais aide au moins cette famille.

Merci, ta mamie Yvonne qui t'aime."

Je levai les yeux de la lettre, fis un sourire à cette magnifique petite fille, et je mis le portable dans ma poche. Je m'accroupis à sa hauteur : " Bonjour, moi, c'est Sarah et toi ? "

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