Chapitre 71

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    L'heure des adieux, de la séparation de notre trio convivial, allait bientôt sonner. Louis R. fut nommé chef d'un SPIJ (Secteur de Psychiatrie Infanto-Juvénile) à une heure de route de la capitale. Aksel choisit de quitter Seglas pour un HP à la montagne, histoire d'avoir les pistes de ski sous la main, et je m'apprêtai à rejoindre le C.N.I.E.O.R.S.S. (Centre National d'Instruction des Élèves- Officiers de Réserve du Service de Santé) à Libourne.


Louis me rappela une fois de plus combien il avait apprécié notre collaboration et qu'il m'appellerait, pour me proposer un poste d'assistant ou de médecin-chef-adjoint dans son nouveau service, dès qu'une opportunité se présenterait. Quelque temps auparavant il m'avait relaté une anecdote qui l'avait fortement intrigué lors d'une de ses consultations au DHM (Dispensaire d'Hygiène Mentale) proche de mon village natal.
- Une mère m'a raconté que son fils était peut être perturbé parce qu'on lui avait fait peur à propos de la « Mère-en Gueule »... ça m'a branché sur l'étude des mythes. Est-ce que toi, tu connais cette croyance ?

- Oh ! Que oui ! Je l'ai même subie, vois-tu !

- C'est marrant, tu as la même réaction émotionnelle que tous les gens que j'ai interrogés à ce sujet et dont j'ai noté par écrit leurs réponses. Tu as rougi, tu as eu un moment d'hésitation avant de me répondre sur un ton gêné et un peu honteux. En as-tu reparlé depuis que tu es adulte ?

- Ben... non... jamais...

- Tu trouves cela un peu ridicule ?

- Oui.

- Souvent ce sont les grand-mères qui en parlaient à leurs petits enfants, c'était ton cas ?

- Non. Ce sont mes parents qui nous ont dit, quand nous puisions de l'eau au puits, de ne pas nous pencher au-dessus de la margelle car un monstre s'y trouvait enfoui, la « Mère-en-Gueule », qui pouvait nous attirer vers elle et nous dévorer tout cru. En me tenant fermement, ils inclinaient ma tête afin de me montrer, tout en bas, des reflets inquiétants à la surface de l'eau qui me prouvaient qu'ils ne disaient pas des bobards. Et les bruits du seau en claquant au contact du liquide me signifiaient à l'évidence que la bête n'aimait pas être dérangée.

- Tu y croyais vraiment, tu en avais peur ?

- Ah ça oui !

- Cette croyance est sur le point de disparaître. Nous sommes à un époque rationnelle où il ne faut plus inventer des histoires qui font peur aux enfants. J'avoue que je ne connaissais pas ce mythe, j'ai effectué des recherches et je n'en ai trouvé de trace nulle part. Van Gennep, dans son histoire détaillée du folklore français n'en dit pas un mot. Le mythe ne se transmet que sur un mode strictement oral.

- Cela ne m'étonne pas. On a un peu honte d'avoir cru en ces sornettes.

- Ce ne sont pas des sornettes. Il y a là un intérêt indéniable sur le plan de la psychologie individuelle et sociale. Freud a écrit que les mythes sont les rêves de l'humanité et que la mythologie est une psychologie projetée sur le monde extérieur. Donc tu vois, ça nous intéresse.

- En effet... je vois...

- Et comme tu cherchais un sujet de thèse où il n'y avait pas à compiler des tonnes d'ouvrages, car je sais que tu n'aimes pas lire les auteurs psys, que tu ne le fais que par nécessité, et bien... tu devrais prendre la « mère-en-Gueule » comme sujet de thèse. D'ailleurs je suis en train d'écrire un article là-dessus.

- L'idée est géniale ! Merci ! Je n'y aurais assurément pas pensé.

- Je vais t'aider pour le plan et dans tes recherches.


Une fois de plus, Louis allait se charger de ma destinée professionnelle. Ce dont je lui voue une reconnaissance éternelle. Mais il ne fut pas le seul, Aksel y contribua également.

- Jean-Paul, je me suis inscrit pour l'internat de Paris, et tu sais quoi ?

- Ben non.

- Tu pourrais t'y inscrire toi aussi. On y irait ensemble et on ferait un peu la fête avant de passer les épreuves.

- Bah... je ne suis pas très chaud... si jamais je suis admis je me sentirais obligé d'accepter un poste et d'aller vivre là-bas, ce qui me fout la trouille.

- Mais non, tu pourras toujours refuser. Et si tu t'inscrivais en plus à deux autres concours, par exemple Lyon et Marseille, ça te ferait des permissions à l'armée, ajoutées aux lundis pour suivre ta troisième année de CES de psychiatrie.

- Là, je dois reconnaître que ça mérite réflexion. Tu as l'argument qui porte.

Effectivement, l'argument a si bien porté que je posai ma candidature aux trois endroits indiqués par Aksel.

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