Chapitre 70

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- Mes agneaux jolis... Le chef nous accostait souvent de cette façon quand, son autorité emportée par sa lunatique bonne humeur, il se la jouait paternaliste, convivial et un tantinet professoral.

- La java c'est bien joli, et je n'ai rien contre... mais ça ne nourrit pas son homme. Toi, Aksel, il va falloir que tu commences à préparer sérieusement ton concours des hôpitaux de la Seine. Pour l'anatomie et la physiologie cérébrales, la législation, la Médecine et Chirurgie, ce n'est qu'une question de mémoire et je ne peux que te conseiller de l'entretenir. Toutefois le style de rédaction est important, tu dois le travailler, un peu d'humour peut faire la différence mais point trop n'en faut.
- Là où je pense pouvoir t'être utile c'est pour la clinique psy. D'ailleurs ça peut te servir à toi aussi Jean-Paul, pour te blinder au niveau de ton CES de psychiatrie. Contrairement au concours que vous avez passé, l'épreuve clinique se présentera sous la forme d'une observation d'un cas singulier, rédigée sur papier, tout au plus en une page dactylographiée. Les candidats devront développer les symptômes caractéristiques et évidents, voire pathognomoniques, établir un diagnostic et proposer une thérapeutique appropriée. Prenez le temps de la lire consciencieusement, puis rédigez votre topo de manière clairement lisible, en évitant les phrases longues et alambiquées, les tournures prétentieuses et les formules absconses.


- En introduction, vous tâcherez de montrer au jury qu'il est intelligent, qu'il n'a pas choisi ce sujet au hasard, mais qu'il offre au contraire un réel intérêt qui ne vous a pas échappé.

- Puis votre développement devra suivre fidèlement un plan cohérent et parfaitement élaboré. Votre analyse livrera au jury un aspect de vos connaissances sur les différentes théories actuellement en vigueur, notamment sur la théorie psychanalytique. Vous ne poserez pas d'emblée un diagnostic unique, mais envisagerez plusieurs diagnostics différentiels. Il en va de même pour les traitements à mettre en œuvre, qui comporteront les volets, sociologique, psychothérapique, institutionnel, médicamenteux... avec leurs limites, leurs effets secondaires et collatéraux, ainsi que les risques d'inefficacité ou de refus d'acceptation par le malade. N'hésitez pas à employer le conditionnel car la Psychiatrie n'est pas une science exacte.

- Enfin, dans votre conclusion, vous émettrez un pronostic, donnerez votre opinion sur l'évolution de la maladie, tant sur le versus positif que sur le versus négatif. Vous imaginerez les complications et les risques qu'elle pourrait éventuellement faire prendre au patient, ainsi qu'à son entourage, quant à sa réadaptation socio-professionnelle et sa sortie de l'hôpital. Vous terminerez en remerciant ceux qui ont eu l'idée d'un si beau sujet et qui vous ont fait vivre un si agréable moment.


Nous applaudîmes ce superbe discours didactique, limpide et empreint d'un humour fort apprécié.


Je pris ensuite la parole et déclarai :

- Merci à toi ! Maintenant il nous reste à élaborer un plan détaillé et l'apprendre par cœur, car on ne nous a pas enseigné à l'université comment rédiger une observation qui pourrait se conclure, le cas échéant, par l'absence de pathologie avérée. On nous a décrit en long en large et en travers toutes les maladies mentales, or je suppose que le cas qui sera présenté au concours ne va pas correspondre point par point à l'une de ces descriptions.


- En effet... Tiens au fait, Jean-Paul, est-ce que tu as une idée pour ton sujet de thèse ?
- Ben non... j'ai encore le temps de m'en préoccuper.
- OK ! Mais faudra quand même y songer. Moi j'en aurais bien une, d'idée à te proposer... allez ! nous en reparlerons.
- Avec grand plaisir. Mais pour l'instant on va se consacrer à la préparation au concours de Paris, tant convoité par notre ami Aksel.

Ensuite, nous nous sommes mis, tous les deux, scrupuleusement à la tâche. Plusieurs nuits furent consacrées à la construction de ce fameux plan, qui ne devait rien laisser de côté concernant les antécédents du patient, son anamnèse et l'histoire socio-familiale, ses relations personnelles et professionnelles, ses centres d'intérêt, la sphère affective et intellectuelle, les productions pathologiques mentales, etc. Le résultat final s'étalait sur plusieurs pages, Louis R. le valida et nous complimenta.

Comme nous le possédions sur le bout du pouce Aksel se promit, pendant l'épreuve du concours, de le recopier intégralement sur ses feuilles de brouillon. Désormais soulagé, il n'avait plus qu'une seule crainte, que sa mémoire ne lui fasse défaut.


Pour ma part, le fruit de ce labeur deviendra un instrument précieux et indispensable pour conduire mes entretiens inauguraux avec les parents de l'enfant en souffrance psychologique, tout au long de mon parcours professionnel.

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