Chapitre 59

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     Dès ma naissance, ma mère, sans être férue d'astrologie, savait que le cher garçon qu'elle parvint enfin à mettre au monde, serait bourré de contradictions, parce que né sous le signe des gémeaux. Ce qui se vérifia durant tout mon parcours existentiel.

Or, ce que je pus constater, en embrassant la carrière de psychiatre, c'est qu'en ce domaine les contradictions représentent le socle sur lequel on érige la statue thérapeutique. On ne peut appréhender chaque observation, proposition, ou interprétation, qu'en l’accolant à son contraire. Ce que, des années plus tard, en d'autres lieux, la maman d'une de mes jeunes patientes avait bien compris, en signalant, dans un courrier qu'elle m'avait adressé : « vous avez l'art de dire la chose et son contraire, sans jamais vous contredire. » Cette formulation résume magistralement l'essence même de tout engagement dans la psychiatrie. Il m'aura fallu de longues années de pratique pour comprendre le « sans jamais vous contredire ». Pour comprendre qu'il est possible de dépasser le stade de la pensée binaire pour accéder à la pensée ternaire, de trianguler les dualités, transformer la dialectique en trialectique, de ne plus affirmer « oui ou non » mais « oui et non, plus autre chose », alors, et alors seulement, on peut dire la chose et son contraire sans jamais se contredire.


Toutefois, à cette époque je me contentais d'identifier mes contradictions, de les assumer en déclarant à ceux qui me les reprochaient que j'avais bien le droit de les posséder. Parmi elles, les gardes et les astreintes constituaient un élément de déplaisir permanent qui s'opposait radicalement à mon plaisir de thérapeute.


Dieu merci ! Elles n'étaient pas nombreuses. Une en semaine, de treize heures à neuf heures le lendemain, plus un week-end tous les mois et demi, du samedi treize heures au lundi neuf heures. Elles me plongeaient dans les affres de l'angoisse, du stress, de la peur et de l'inconfort. Je n'en dormais pas de la nuit. Je demeurais cloîtré chez moi, mort d'inquiétude, collé à mon bip et à mon téléphone. Liquéfié dans l'attente, mais reconstitué une fois rendu sur place car, face à la situation d'urgence je ne ressentais plus la peur ni l'angoisse. Je voyais, non sans surprise, les entrants agités se calmer assez vite, la plupart du temps, en raison peut-être, de mon attitude posée, bienveillante, empathique, et accepter mes négociations et propositions. Comme si la seule présence du médecin apportait en soi un soulagement immédiat, s'accompagnait d'un effet quasi magique.


L'exemple le plus illustratif de l'efficacité de ce « remède médecin », comme disait Michael Balint, se trouve dans cette anecdote lorsque, une nuit, quatre pompiers amenèrent à l'hôpital un jeune homme très excité et agressif, qu'ils tenaient fermement parce qu'il se débattait comme un beau diable. Pour l'accueillir, une jeune infirmière se présenta dignement devant eux, une gamine, frêle et courageuse mais quand même pas tranquille. Une fois appelé, je me précipitai sur les lieux. Dès mon arrivée les pompiers partirent précipitamment en me disant : « Docteur, il faisait le souk dans un café de la ville, on vous le laisse. » Après un bref temps d'hésitation et d'observation, l'impétrant s'est calmé, a raconté ce qui l'avait poussé à s'énerver, puis, a accepté un court temps d'hospitalisation, s'est laissé conduire dans sa chambre sans opposer de résistance, pour s'endormir du sommeil du juste.


Forcément, toutes mes gardes, ou plutôt mes astreintes car je les effectuai à mon domicile, ne se déroulèrent pas de manière aussi paisible. Il y eut sûrement des anicroches, des grincements de dents, mais je dois reconnaître que les mauvais moments, je les ai ai surtout passés chez moi, seul ou avec des amis, à imaginer le pire, la catastrophe, à l'affût de mon téléphone. D'ailleurs, les interventions qui furent alors compliquées et difficiles, je les ai oubliées. En tout cas une chose est certaine, la catastrophe n'est finalement pas survenue.

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