Chapitre 28

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   Nous avons une formidable capacité à oublier l'intensité de nos douleurs qui ne se renouvellent pas trop souvent, et à survivre à nos malheurs en vertu de ce que Boris Cyrulnik nomme « la résilience ». Aujourd'hui, de la douleur, je me souviens qu'elle était certes particulièrement forte, aucune position ne pouvait la soulager, elle commençait au niveau du rein droit puis suivait le parcours de l'uretère, jusqu'à rendre la miction pénible et brûlante. Mais comme elle n'est plus qu'un lointain souvenir, le temps en a considérablement écorné la réminiscence. Les crises ont débuté avant mon départ pour l'université. Le médecin de la Mine fit rapidement le diagnostic de coliques néphrétiques. Son traitement me soulagea et je pus par la suite, échapper aux suivantes sans reprendre les comprimés de spasfon, juste en absorbant de grandes quantités d'eau pour déclencher une diurèse aqueuse, et en supprimant les excitants dans mon alimentation.


Cependant, le stress, les préoccupations anxieuses et inquiétudes multiples n'ont pas arrangé les choses. Au milieu de ma première année de médecine je ne pus rien faire pour enrayer une méga crise qui me parachuta illico dans mon CHU, en tant que malade, dans un service approprié. Et là, franchement, pendant trois semaines j'étais au paradis. Régression totale. Mon sort ne dépendant plus de moi, Dieu merci ! mais de personnes attentionnées et compétentes. Une chambre commune avec deux hommes pas trop âgés, pas trop mal en point, pas trop bavards, donc plutôt de bonne compagnie, et si peu dérangeants le jour que je supportais volontiers leurs ronflements la nuit. Des infirmières aux petits soins. Janine qui me soutenait et s'inquiétait de mon désir de prolonger mon hospitalisation. Les copains qui débarquaient à cinq ou six en blouse blanche et stéthoscope autour du cou, chahutant comme des gamins. Même qu'une fois, d'un geste malencontreux, ils ont décroché mon flacon de perfusion, quasiment plein, qui s'est fracassé par terre. Ils étaient gênés les bougres, mais en même temps pas décidés à lâcher la rigolade. Sauf que le sérum glucosé hyper à 10 se collait sous leurs pompes et que ça les a quand même un peu embêtés.


Durant ce séjour il y eut toutefois un moment fort désagréable, l'urographie intra-veineuse (UIV). Allongé sur le dos, on a comprimé mon abdomen, à l'aide d'un petit ballon en caoutchouc, fixé sous une sangle et gonflé à un point inimaginable. Cela a duré des heures, le temps que le produit de contraste injecté dans une veine chemine jusqu'aux reins, tandis qu'à intervalles réguliers on effectuait des radiographies. Cette compression abdominale me fut insupportable.
Finalement, au bout des trois semaines, n'ayant pas trouvé de calculs, les reins paraissant fonctionner normalement, les médecins m'ont viré de leur Service, à mon grand regret. Je repris mes études avec l'aide de mon pote, le p'tit Hugo, qui se fit fort de me faire rattraper mon retard. Ma relation de couple avec Janine se poursuivait de loin en loin et de rapprochement en rapprochement.


La maladie ne me laissa cependant pas tranquille. Le premier avril de mes vingt ans, ça ressemble à un gag, alors que j'étais en week-end chez mes parents, le soir, brutalement je ressentis une effroyable douleur, qui ne me semblait pas être liée à mes coliques néphrétiques. Elle s'était cantonnée au testicule droit, et seulement à lui. Le médecin, un remplaçant, me demanda en cherchant à prendre des gants, si j'avais eu des rapports sexuels, si je m'étais masturbé. « Ben... non... ». Il n'a pas semblé convaincu par ma réponse, la glande n'avait pas triplé de volume, n'était ni bleue, ni violette, ni noire, mais le praticien savait qu'il ne devait pas passer à côté de l'urgence médicale par excellence, à savoir la torsion de testicule. Qu'il faut opérer dans les plus brefs délais sinon l'organe est irrémédiablement perdu. Il ne fit ni une ni deux et m'envoya à l'hôpital de la Mine avec ce mot pour le chirurgien : « suspicion de torsion de testicule ». Vers une heure du matin je passai sur le billard et me réveillai tranquillement le lendemain dimanche, dans la matinée, curieux de savoir ce qu'il restait de mes bijoux de famille, et fort inquiet de ressentir à nouveau ma douleur intacte. Deux hommes vinrent alors dans ma chambre, un jeune, l'interne remplaçant qui m'avait opéré, et un vieux, le chirurgien en titre de l'hôpital.

- Ce jeune homme est arrivé cette nuit pour une torsion testiculaire. J'ai ouvert et n'ai rien trouvé d'anormal, j'ai refermé et c'est tout...

- Il a quoi comme antécédents ?

- Des coliques néphrétiques...

- Ne cherchons plus... c'est ça qu'il nous fait... qu'on le perfuse sans tarder...


Effectivement, quelques heures après, je pus rentrer chez mes parents, soulagé de ma douleur, mais un peu ennuyé de ne plus avoir un poil sur le pubis, et d'attendre que cicatrisent les points de suture à un endroit que la pudeur m'interdit de montrer. Mais ensuite, mes copains au cours des fêtes, faisant fi de cet interdit, me présentaient au public en déclarant : « Allez ! Paulo, montre leur ce qu'ils t'ont fait là-bas dans ton bled du charolais sous développé ! » et je préférais m’exécuter avec un sourire contrit, plutôt que de leur offrir l'occasion de me déculotter. Fallait pas gâcher la fête.


Ma tante, bonne commère, m'a dit en me souhaitant un prompt rétablissement : « Jean-Paul, de toute façon, même si on t'avait enlevé une couille, ç'aurait pas été une catastrophe. Regarde mon père qui en a perdu une à la guerre de 14, ça l'a pas empêché de faire neuf enfants ! ».

Ma convalescence s'est déroulée sans anicroches car j'étais bien entouré. Depuis ce moment-là je n'ai eu que de rares alertes vite maîtrisées, mais plus aucune récidive de mes coliques néphrétiques.

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