Chapitre 22

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   Par un beau soir d'automne, mon ami Pierrot me proposa de l'accompagner à une petite sauterie organisée par l'Union des Étudiants Communistes. Je me fis un peu tirer l'oreille car je ne me voyais guère d'accointance avec les cocos, mais je finis par accepter dans l'espoir de trouver enfin l'âme sœur, ne supportant plus ma solitude hétérosexuelle. Derrière le bar, au milieu des serveurs, se tenait une jeune fille, mignonne, svelte, assez grande, les cheveux mi-longs d'un noir éclatant, un petit nez très légèrement retroussé, les yeux brun foncé en amande, et le regard pétillant d'intelligence. Je lui trouvais des faux airs de Nathalie Wood, soit, le contraire de Jayne Mansfield, mon idéal féminin par excellence. Toutefois, son accueil chaleureux, son sourire engageant, son charme indéniable, et mon état de manque, m’enjoignirent à ne pas me braquer sur sa quasi absence de poitrine, à oublier ma quête du Graal blond et pulpeux. Elle nous servit à boire du vin rouge en nous souhaitant, le sourire aux lèvres, de passer un agréable moment auprès « des camarades ». C'est à ce moment là que les boissons alcoolisées et notamment les bons vins commencèrent à m'intéresser.


Nous sympathisâmes plus avant avec notre militante de gauche. Je saisissais bien ses regards brillants et quelque peu aguicheurs vis-à-vis de Pierrot, mais cette fois je décidai de ne pas m'esquiver. Je possédais deux avantages non négligeables sur lui : la danse et le baratin. Ils se révélèrent particulièrement efficaces car, en fin de compte, c'est lui qui s'est esquivé. Je ne savais pas que, suite à cette rencontre, aux baisers échangés, au flirt engagé, la belle Janine et moi allions, en pensant combler nos besoins respectifs, constituer un couple excentrique, chaotique, pour ne pas dire pathologique, pendant plus de sept années.


Notre union s'est installée sur les bases inconfortables de la recherche mutuelle d'amour à donner et à recevoir. Deux âmes éperdues de solitude en quête d'un compagnonnage régénérateur. Terminé, le sentiment de déception et d'incomplétude, au contact de couples d'amis affichant ostensiblement leur bien-être relationnel et affectif. Nous allions enfin pouvoir suivre leur exemple qui symbolisait à nos yeux l'aboutissement d'un processus de maturation. Hélas, au terme de trois semaines d'un régime pré-nuptial, je me rendis compte que je faisais fausse route et proposai la séparation. Janine le prit très mal, sa réaction désespérée, au point de mettre en danger sa santé, et même sa vie, me bouleversa. Je paniquai, me jugeai coupable de provoquer autant de détresse chez une personne sensible, qui plaçait notre relation au-dessus de tout, et ne méritait pas un tel sort. Je me voyais incapable d'assumer cette culpabilité. Finalement, envahi par l'angoisse, ne sachant plus où donner de l'amour, je renonçai à mon projet de rupture, en acceptant l'idée d'une marche inexorable vers le mariage, alors qu'une voix intérieure me soufflait que c'était la pire des conneries à faire, que je devais sortir à tout prix de ce cercle vicieux.


L'attachement qui nous lia par la suite s'originait dans une complexité de sentiments, de besoins, de services, de soutiens, de conflits, de stress, d'attentes assouvies et non, réciproques, dans laquelle l'amour ne représentait qu'un prétexte à la survie de notre couple. Mais néanmoins il survécut. Elle m'a managé avec brio pour l'organisation de mes cours, la rigueur de mes révisions, ce qui me permit de réussir mon passage en première année d'études de Médecine. J'ai contribué efficacement à sa réconciliation avec ses parents, me suis impliqué dans ses recherches et découvertes en lettres modernes. Issue d'un milieu socio-professionnel plus que modeste, elle suivait brillamment son cursus universitaire, grâce à son ouverture d'esprit, ses capacités cognitives, ses connaissances et sa perspicacité. Intellectuellement notre entente s'est toujours avérée productive. Elle fut admise dans le cercle de mes amis et moi dans le sien. Pour le cinéma un contrat s'établit entre nous, instituant un tour de rôle quant au choix des films à voir ensemble. C'est ainsi qu'elle s'est coltinée, sans trop rechigner, beau nombre de navets, que pour ma part, j'ai découvert et aimé les œuvres de Charlie Chaplin, Ingmar Bergman, Luis Bunuel, la trilogie de Pagnol « César », « Marius », « Fanny », et les films de la nouvelle vague. Son engagement m'a, en quelque sorte, démontré que j'avais le droit de gravir des sommets culturels sans trahir ma condition de fils d'ouvrier. Pour elle, la lutte des classes passait, non par l'acceptation mais par l'émancipation des classes défavorisées, à commencer par nous-mêmes.

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