Chapitre 18

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   Parvenu en fin de parcours secondaire, sur le point de quitter le nid familial, je dois avouer en toute franchise, que j'étais à l'époque un abominable crétin prétentieux, un parfait con glorieux, et pour comble de bêtise... fier de l'être. Je me camouflais sous la panoplie du cynique désabusé et cruel, du désillusionné abouti, du vieillard qui avait tout vu, tout vécu et plus rien à apprendre. Je me servais de mon savoir et de mon orgueil pour me faire admirer des humbles. Je jouais à l'inculte avec les érudits et au savant avec les ignares. Je prenais un malin plaisir à balancer des vannes qui cognaient là où ça faisait mal. Tout ce qui touchait à la mode, à l'élégance vestimentaire, à la décoration des intérieurs, aux signes extérieurs de richesse pour les maisons, les meubles, les bijoux, ne m'intéressait en aucune façon. Je me sentais tout-à-fait bien dans le mal où j'étais. Je ne regardais pas à la télé les vieux films muets que je trouvais ringards, les sous titrés qui me semblaient sous traités. Ma culture ne s'étalait plus, elle se débinait à toute vitesse. Ma richesse culturelle je la devais à Albert Raisner pour « âge tendre et tête de bois », à Guy Lux et Léon Zitrone pour les jeux « Intervilles ».


Mais l'ironie du sort a voulu m'admettre au baccalauréat, avec la mention peu glorieuse de passable et 10,75 de moyenne, grâce en fait aux épreuves sportives. Mais oui ! Le seul mâle bachelier de la saga Bonamant avait réussi cette épreuve non pas du fait de son intelligence mais de par ses performances physiques. Un tel destin réel se moquait gaillardement de toutes les fictions qu'on eut pu imaginer. Mon père, aux anges, nous sortit de derrière les fagots une bouteille de champagne Moët et Chandon, qu'il réservait pour les grandes occasions. Tu parles !


Ce n'était pas le tout. Il fallait que je pense sérieusement à mon orientation. Comme promis, mon prof de maths m'avait réservé une place au lycée du Parc à Lyon. Mais je fis ma petite enquête auprès de mes amis qui terminaient leur première année de prépa. Le bilan ne s'avéra guère alléchant, du boulot par-dessus la tête, peu d'autorisations de sortir du bahut, la mine pâlichonne, des valises sous les yeux, bref... pas la joie de vivre. Par contre les carabins offraient un spectacle beaucoup plus attrayant, le sourire avenant, l'allure décontractée, ils me dirent que certes il fallait bosser la première année, mais qu'ensuite c'était plus calme, qu'on se payait du bon temps, que le folklore était au rendez-vous. Et l'argument qui fit mouche c'était qu'avec un bac math élem on ne risquait guère de redoubler, car la plupart des étudiants en médecine ne possédaient qu'un bac science ex, voire un bac philo. Il va sans dire qu'au terme de cette scrupuleuse enquête, je décidai de me lancer dans les études médicales. N'avais-je pas toujours déclaré que je voulais devenir médecin. Là au moins, je demeurais logique avec moi-même.


Seulement il y avait un hic, mon prof de maths. Courageusement j'ai demandé à mon paternel d'aller, seul, le trouver pour lui expliquer l'orientation que je venais de choisir. Le pauvre ne s'était jamais pointé devant mes enseignants durant toute ma scolarité. Cependant il accepta de me rendre ce service et prit rendez-vous juste à la veille des vacances d'été. Je l'imaginais, tout timide, triturant son chapeau des deux mains, essayant de parler correctement, craignant de déranger. En réalité, il a fort mal vécu l'entretien éclair et glacial qu'il a subi. J'avais omis de le prévenir que mon prof pouvait se montrer froid et mal aimable :


- Vous êtes le père du jeune Bonamant ?

- Oui...

- Il est vraiment brillant en maths, il réussira sûrement à entrer dans une grande école d'ingénieurs.

- Euh...c'est à dire...

- Oui ? Quoi ?

- Ben... il a plutôt envie de faire Médecine.

- Faire médecine ! Tiens donc !

- Vous pensez qu'il pourrait réussir...

- Évidemment qu'il peut réussir médecine ! C'est pas un problème ! Allez ! Au revoir Monsieur !


Il m'a chaudement remercié le pater, pour la honte que je lui ai causée. Il s'est demandé ce qu'il était allé faire dans cette galère, lui qui avait en plus une dent contre les pédagogues de l’Éducation Nationale. Il a juré que je ne l'y reprendrai plus, je l'ai rassuré sur ce point, en lui faisant la bise et en lui disant qu'il était un papa formidable.


Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, au cours de ces mêmes vacances d'été, j'eus la chance de vivre un nouveau grand Amour.

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