Chapitre 9

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   J'ai passé rapidement le cap pubère, sans dommages, et à seize ans j'atteignis quasiment ma taille adulte, de un mètre soixante-et-onze, cinq-cents. Mes superbes cheveux blonds frisottants étaient plus longs, peignés avec une raie sur le côté. Mon meilleur atout. Dans la rubrique « j'aime » j'inscrirais aussi, toute modestie mise à part, des yeux bleus aux reflets tantôt durs comme l'acier, tantôt apaisants comme la brise des mers du Sud, et un corps harmonieux, vif et alerte grâce à la gym puis au football, enduit d'un placo-derme blanc et doux au toucher, virant au rouge écarlate sous les u.v, mais accessible au teint de pêche. Par contre, dans la rubrique « j'aime pas », je dois avouer, pour être honnête, mes deux terribles complexes : un que je ne pouvais pas cacher, un que je ne voulais pas montrer. Le premier, un nez trop gros, épaté à la base, que j'avais essayé, sans succès, de réduire en loucedé avec une pince à linge. Une voisine, amie de la famille, plutôt sexy et attirante, qui avait une fille de mon âge, tentait de me réconforter : « tu sais... un beau clocher n'a jamais défiguré son village. » C'était sympa. Pas efficace, mais sympa. Mon oncle, genre tonton Nestor, lui, me lançait en riant aux éclats ses trouvailles comme : « Ben toi ! Te t'donnes une sacrée poignée de main quand te t'mouches ! » ou encore : « Teins ! T'as pas besoin de sac, prends ton mouchoir et dedans, rapporte-nous dix kilos de patates. » Drôle, n'est-ce pas ? Mon second complexe, un pénis trop petit à l'état flasque, mais encombrant à l'état rigide, quand les lumières, dans les bals, se rallumaient brusquement après une longue série de slows.

En gros, je me trouvais moche et l'adolescence, pour moi, était bel et bien une crise. Je tombais des nues lorsque des dames me considéraient comme « un beau jeune homme ». Il me semblait que la beauté était un cadeau des Dieux, qu'elle ouvrait tous les passages vers les plus belles aventures sentimentales. J'ai mis du temps à comprendre que beauté et séduction n'allaient pas obligatoirement de pair.


 Se nommer Bonamant compensait largement mes désavantages. Le sempiternel « vous avez un très joli nom. » m'offrait des entrées en communication favorables chez les commerçants, dans les services administratifs et ailleurs. Combien de fois j'ai rougi sans pouvoir répondre, quand ces dames bien installées dans leur magasin, derrière leur bureau, ajoutaient avec un clin d’œil coquin et gourmand « j'espère que vous le portez bien. ». Oh ! Là on est mal ! On sourit bêtement, on baisse la tête et on a le visage aussi rouge qu'une pivoine. Par la suite, en sortant du labyrinthe de l'adolescence, on finit par être capable de rétorquer du tac-au-tac : « Ah ! Pour ça, faut venir voir ! » On a beau naître Bonamant, c'est un long apprentissage pour le devenir.


 Nous vivions une époque faste et créatrice pour les ados, animés par le fantasme de construire un monde de paix, de fraternité et de prospérité. Un monde épuré des idéologies fascistes, racistes, assassines, destructrices. Un monde de créativité et de liberté. Notre village ne fut pas violemment secoué par les événements en Algérie, j'étais trop jeune pour en saisir toute la portée, pour comprendre les risques de guerre civile, l'angoisse des adultes, le silence de nos aînés qui en sont revenus traumatisés. Je sortis lentement mais sûrement de mon enveloppe de Zinzin insouciant et immature. Toujours porté sur le rire, l'humour et la dérision, on me prenait cependant de plus en plus au sérieux. Au lycée, mes copains et copines appréciaient ma serviabilité en différents domaines. Par exemple ils, et plus souvent elles, sollicitaient volontiers mon aide quant à leurs devoirs de maths, matière dans laquelle j'excellais.


 En dessin également je réalisais des prouesses, surtout dans le style hyper réaliste, et des camarades en profitaient pour me demander d'imiter la signature de leurs parents, en sachant que nul ne serait capable de distinguer mon imitation de l'original. Ils préféraient éviter des soucis supplémentaires à leurs vieux, à cause de broutilles qui n'eussent pas prêté à conséquence, ce qui partait d'un bon sentiment et en plus, leur évitait une engueulade. Je dois ajouter, à propos du dessin, qu'en fin de parcours secondaire, je rosissais d'aise sous les félicitations d'une nouvelle jeune et ravissante prof, adorable de surcroît, qui m'accueillait lors de ses autres cours, dans sa salle pendant mes heures d'études, pour terminer mon travail sur la reproduction du coq de Lurçat. Elle en tirait profit car ma présence suffisait à calmer les ardeurs de ces fichus bizuts du collège. Les copains, tous amoureux fous d'elle, même les plus coincés, m'enviaient d'être si proche de la belle, me jalousaient quelque peu. Mon pote Nono, rugbyman fringant et voyeur impénitent, un jour en cours, tandis qu'elle était penchée sur la table de notre voisin d'en face, occupée à retoucher un futur chef d’œuvre pictural, fit mine de récupérer un crayon malencontreusement tombé par terre, glissa un miroir sur le sol, juste derrière les chaussures de la prof, ce qui nous permit d'apercevoir l'intérieur de sa jupe et ses fort jolies jambes. Malheureusement, la curiosité étant un vilain défaut, le manque d'éclairage à cet endroit et l'inconfort de notre position, ne nous permirent pas d'avoir une vue sur sa petite culotte. Mais j'étais encore trop timide pour lui avouer que je l'aimais. Et si ça se trouve, elle aussi.

 Enfin... ce fut un bel amour impossible, comme tant d'autres, que seul un beau roman pourrait revisiter. Justement en parlant de roman, il m'arrivait aussi de rédiger, ou peaufiner, des lettres d'amour, voire des poèmes, pour les nuls en français draguant des premières de classe. Outre le nez, il devait y avoir en moi autre chose de Cyrano de Bergerac.

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