Chapitre 8

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   Douze ans. Ma communion solennelle le dimanche de la Pentecôte. Sa préparation. La confirmation avec la tapette de l'évêque sur la joue droite et la bise sur sa bague. La cérémonie religieuse, ma première bouchée du corps de Jésus, l'hostie collée au palais, qui ne semblait pas vouloir en démordre. Le repas de famille, qui réunissait trente personnes, se prolongeait jusqu'à dix-huit heures, où le curé était invité à boire le café. Un repas comprenant plusieurs entrées, trois plats de viande, un brochet entier, des desserts, des vins blancs, rouges, champagne et liqueurs. Un repas qui signait mon autorisation de goûter à l'alcool, au tabac, de porter le costume-cravate, et désormais des pantalons, que je nommais auparavant « culottes à manches longues ». Et les cadeaux. Le vélo chez les grands-parents maternels. La montre chez les grands-parents paternels. Des livres qui sentaient bon le papier encré, dont le missel, relié sous sa couverture marron en cuir souple, aux pages aussi fines que du papier à cigarette. Un stylo haut de gamme muni d'une plume en or, et l'encrier pour le charger. Et d'autres babioles.


Mais un mois plus tôt, sous l'influence du perfide, lubrique, Satan, la relation entre le prêtre incorruptible et mes parents a frôlé la rupture. Ma sœur aînée, dix-huit ans, brune comme Gina Lollobrigida, contraste frappant avec la blondeur des autres membres de la famille, belle comme un cœur, travaillait chez un vendeur de vêtements à la ville. Elle déjeunait le midi chez un couple âgé de cousins éloignés, dont le mari était président de l'amicale de la boule lyonnaise de la ville. Lequel n'a trouvé rien de mieux que de l'inscrire comme candidate à l'élection de « la miss Bassin Minier. » Le bal devait avoir lieu le samedi soir, juste un mois avant la Pentecôte. Quand elle annonça cette heureuse nouvelle, qui validerait les soins qu'elle consacrait à sa beauté, mon père entra dans une colère effroyable :

- Pas question qu'tu te montres en maillot de bain devant toute une salle de danse !

- Non.. c'est en robe qu'on va défiler.

- Encore heureux !

Ma mère ajouta son grain de sel :

- Et que va penser le curé ?

- Bon... c'est quand-même pas lui qui commande ici !

- Alors... j'y vais ou j'y vais pas ?

- On va réfléchir...

Nous autres, les frangins-frangines, nous étions enchantés par cette perspective d'aller voter pour notre héroïne, qui fréquentait les bals de campagne, avait un amoureux et un fan club. Finalement le père se laissa fléchir et nous avons tous débarqué, sauf lui, habillés comme des princes, propres comme des sous neufs, ce fameux samedi à la salle du syndicat des mineurs. La soirée était animée par Marcel Azzola et son orchestre. La salle était comble. J'en avais plein les mirettes, plein les oreilles. Grandiose ! Je risquais mes premiers pas de danse avec ma cousine préférée. Le bonheur ! Mon goût pour la batterie me poussait à admirer le facétieux « Popaul », batteur virtuose qui chantait et lançait des vannes à tue-tête dans le micro, scandait « Chauffe, Marcel ! » au chef du groupe qui gesticulait dans tous les sens en étirant son accordéon. Quel souvenir !


Évidemment, Véronique fut élue « Miss Bassin Minier ». Elle eut les honneurs de la presse locale, des cadeaux, une table et quatre chaises en formica vert, un peu d'argent et d'autres bricoles. Elle se plia de bonne grâce, pendant un an, à ses devoirs de représentation aux manifestations sportives et festives organisées par la ville. Sa carrière de miss en resta là, sur ordre de l'autorité légale, vu qu'elle n'avait pas vingt-et-un ans. Elle avait pris de la distance avec la pratique religieuse, me décrivait ses émois amoureux, et moi les miens. Le compromis établi communément, consistait à tout faire en amour sauf l'amour, à savoir, sauf la pénétration génito-génitale. Moins pour établir un consensus avec le dogme catholique, que pour éviter la honte d'une grossesse et un mariage par obligation sociale. Toutefois, elles n'étaient pas rares, celles qui franchissaient le Rubicon, soit pour officialiser une union passionnelle et sacrée, soit pour forcer la main à un fiancé hésitant, peu pressé, voire récalcitrant. Chez nous le compromis était respecté. Et les secrets bien gardés.

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