Chapitre 3

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  S'appeler Bonamant, voilà qui frôle la fiction. L'amour est une nébuleuse qui se situe à l'intersection de trois ensembles : le réel, l'imaginaire et le symbolique. Forcément, avec un nom pareil on aime son prochain, et surtout sa prochaine. On ignore les petits malins qui fredonnent en boucle : "Bonamant, qui fait l'amour !... qui fait l'amour !...". Ma mère a toujours dit à qui voulait l'entendre qu'elle préférait avoir des garçons que des filles. Elle a d'abord donné naissance à ma sœur Véronique, puis à ma sœur Angèle, et ô bonheur ! Je fus le suivant. Elle n'en resta cependant pas là puisqu'elle offrit à Dieu une autre fille et un autre garçon. Je me suis élevé comme un vrai petit ange, ce qui lui faisait déclarer à ses copines : « J'ai ben mis du temps pour l'avoir, ce gars, mais y s'élève comme une fille ». Pas de chance ! On n'a jamais ce qu'on veut, comme on le veut.


Dès ma plus tendre enfance, je me présentai à l'extérieur avec tout ce qu'il fallait pour séduire les mamies et les mères. Mon courage et ma méticulosité, en toute tâche, donnaient aux parents de mes camarades des regrets que je ne fusse pas leur propre fils. Ma distraction maladive, mon côté farfadet, mes rires et bavardages incessants s'associaient fort bien à mon sérieux dans les travaux manuels et à ma réussite scolaire. Il n'en demeurait pas moins qu'à l'intérieur j'avais des idées impures, des désirs un tantinet pervers. Dans mon entourage, je me retrouvais souvent le seul mâle bienveillant, attentif, le confident de ces demoiselles. Je consolais leurs chagrins en les tenant chaleureusement dans mes bras, en leur soufflant à l'oreille des paroles apaisantes. Avec quelques spécimens rares, il m'est arrivé quelques fois, je l'avoue humblement, de jouer au docteur. Oh ! Ça n'allait pas bien loin, en tout cas pas jusqu'au touche-pipi, mais j'en perdais néanmoins le souffle et la régularité du rythme cardiaque. Et jusqu'à ce jour, le secret en fut bien gardé.


Lorsque j'atteignis ma onzième année, les choses sérieuses m'ont vraiment charcuté. Quelque temps auparavant, pendant la messe du dimanche, j'avais remarqué une jolie petite personne, derrière moi, à quelques bancs dans la rangée opposée. Fille de fermiers estimés, blonde comme les blés vénitiens, coiffée en spirales anglaises parfaitement ajustées, un visage illuminé par la bonté, et des yeux aussi bleus que la ceinture sur la statue de la Vierge. J'ai bien reçu des centaines de coups de coude de la part de mes voisins, qui me rappelaient d'un signe de tête éloquent que mes regards devaient s'orienter devant moi, vers l'autel où se déroulait la cérémonie, et non pas derrière. Ce fut mon premier grand amour que nous n'avons consommé que des yeux.


Toujours à l'église, pendant le mois de Marie, le curé nous demandait de jouer de petites scénettes. Nous apportions une couverture que nous drapions autour de notre corps, pour figurer les juifs. J'étais fou amoureux de la petite brunette aux yeux de braise qui jouait la mère de Dieu, tandis que dans mon aube blanche immaculée, je campais un Jésus fort convaincant. Malheureusement, Gilou le costaud lui avait mis le grappin dessus et ne la lâchait pas. Ce fut mon premier chagrin d'amour. Je ne pouvais que regretter que la Marie-Joseph soit un beau râteau.


La suite, cette année là, ne fut guère plus glorieuse pour un gamin qui ignorait alors tout de sa destinée donjuanesque. Néanmoins ma passion véritable, celle qui marque la première étape de ce parcours d'amours, venait de quitter l'Algérie en guerre, après avoir été hébergée quelque temps à Saint-Étienne. Elle séjournait, avec sa sœur aînée chez leurs amis, dans le sous-sol d'un pavillon de la nouvelle cité, construite à cinquante mètres de notre vieille maison entourée de prés. Durant quelques mois, tous les matins d’école, à 6h30, je frappai et entrai dans leur antre pour accompagner sa sœur jusqu'à l'arrêt du car scolaire. Ludivine dormait paisiblement sur son petit lit de camp et je la regardais, attendri et ému tel un amoureux transi. J'ai dû lui adresser quelques mots en de très rares occasions. Jamais je n'oublierai la charge affective que j'ai soulevée à chacune de mes visions de cette belle petite princesse au bois dormant.


Bien sûr, la testostérone ne perturbait pas encore la pureté de mes relations amoureuses. Je pouvais me consacrer à d'autres figures passionnelles, comme la course à pied, la gymnastique avec l'avant-garde Saint-André, ou le foot. Pourtant, au cours des vacances habituelles chez mes grands-parents maternels, qui habitaient un assez gros bourg à sept kilomètres du nôtre, j'ai vécu des épisodes surprenants, imprévisibles, et pour tout dire, inespérés.

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