Chapitre 1

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    C'est 1975 qui marquera la fin de cette première partie de mon parcours existentiel. Mai 68 demeure alors tout frais dans ma mémoire. Un mai de sept ans, l'âge de raison d'un môme qui s'envole vers la vie plein d'espoir et d'illusions. Moi, je ne suis pas encore trentenaire. Je débarque en cette fin d'année dans un centre hospitalier spécialisé (CHS) de la banlieue parisienne pour entamer mon second internat en psychiatrie. Rien, mais vraiment rien, ne me prédisposait à me retrouver là, dans un asile gigantesque, desservant deux arrondissements de Paris dont les dispensaires, vétustes et peu accueillants, se situent derrière l'opéra et à deux pas de l'hôtel Matignon. Un peu perplexe et désorienté, au bout de sept heures de route, je sors de ma 204 Peugeot bleu-clair le manteau et l'imperméable étendus sur les sièges arrière, la valise, les trois cartons de livres déposés dans le coffre, et je monte dans le petit studio que la direction a gracieusement mis à ma disposition. Il est plutôt coquet et confortable, juste au-dessus d'un service d'enfants, juste en face de la gare, et juste fort sombre et bruyant pendant la journée. Pour l'atteindre et le quitter je dois utiliser pas moins de quatre clés aussi lourdes que celles d'un gardien de prison.


Paris ! Je me vois dans la peau de «Un idiot à Paris » de René Fallet. Fils d'un pauvre mineur de fond, marqué par le charbon extrait d'un bassin minier du centre de la France aussi triste que ceux du Nord, seul bachelier d'une fratrie de cinq, élevé dans un bourg de quatre-mille âmes et guère avec, je n'en menais pas large. Un fils de basse extraction en quelque sorte, pas intrépide pour un sou, qui ne se sent pas de taille à crâner dans le genre : « Paris, à nous deux ! »


Paris ! et les « parigots têtes de veau » brocardés pendant toute mon enfance et adolescence par les membres de ma famille et les habitants du patelin, qui se marraient comme des bossus quand ils pouvaient égarer ceux qui demandaient respectueusement leur chemin, qui les singeaient en « parlant gras », c'est-à-dire sans rouler les r, alors que leur patois et sa phonétique les rendaient aussi fiers que des imbéciles heureux accrochés à leur terroir. Il a fallu que je sympathise et devienne ami avec un collègue parisien, ayant rejoint mon internat provincial après avoir échoué au concours des hôpitaux de la Seine, pour que je m'installe ici. Ce bougre d'animal, aussi beau que le cow-boy de la pub de Marlboro, loin d'être idiot, a réussi à me convaincre de repasser ce fameux concours avec lui, car il se mourait d'ennui dans mon cher pays natal que je comptais bien ne jamais quitter. Mais vu que j'avais malencontreusement déclaré à maintes reprises qu'il fallait être idiot pour ne pas donner suite à une admission à l'internat des hôpitaux de Paris, j'ai courageusement assumé mes assertions. Et me voici donc au pied du mur... de l'asile parisien.


Pourtant, avec mon ami inséparable, nous étions comme des coqs en pâte. Toutes les filles de la ville nous faisaient les yeux doux. Nous n'avions que l'embarras du choix. Certaines commençaient la romance avec mon pote pour le sex-appeal et la terminaient avec moi pour la sensibilité affective. Elles ne se faisaient pas prier pour participer aux fêtes et orgies que nous organisions. Je crois qu'elles choisissaient plutôt l'un que l'autre, parfois au détriment de nos envies, mais qu'elles appréciaient également notre complicité, notre complémentarité, notre bonne humeur et aussi... nos bonnes façons. Car nous étions carrément romantiques, nous les aimions vraiment. Chez nous la drogue était interdite. Nous n'avons jamais organisé de parties fines, de soirées sado-maso, nos aventures, certes nombreuses et éphémères, se vivaient en duel et les relations sexuelles dans l'intimité de nos appartements ou de ceux de nos partenaires. Étant tous les deux fraîchement divorcés, nous ne promettions pas le mariage ni la fidélité. D'ailleurs nombre d'entre elles étaient mariées et faisaient avec nous la fête et l'amour pour le plaisir.

Nous avons eu quand-même chaud le jour où un mari s'est procuré un fusil de chasse pour descendre celui qui avait couché avec sa femme, ce qu'elle a évidemment refusé de lui dire, d'autant qu'elle nous avait essayés, sans regrets ni remords, tous les deux. Dans le doute, ne souhaitant pas tuer un innocent, il a finalement abandonné son projet criminel. Comme quoi la vie tient à bien peu de chose.

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