Vertikal[7][3] { I : The weapon }

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<CL4> Les coups de feu ont résonné jusqu’à nous. Étouffé par la distance et les quelques murs qui nous séparaient, le bruit sourd des détonations nous à toute les deux surprises. Le dernier acte n'était pas encore terminé.

Je dois avouer que j’y ai cru, pendant un moment, notre réunion aurait pu faire une jolie fin. Elles se retrouvèrent dans l’antichambre de l’enfer et, ensemble, s’échappèrent des griffes de la sorcière ! Accessoirement, elles devinrent les meilleures amies du monde.

— Tu as entendu ?

Question purement rhétorique que me lance Seli tout en se redressant. Elle fixe le bout du couloir, je fixe les mains tremblantes sur son fusil. Elle fait de son mieux pour contrôler sa voix, pour ne pas montrer qu’elle a la trouille.

— Est-ce qu’il y a d’autres gars de l’escouade encore en vie ?

Je n’ai pas envie de répondre à sa question. Hassane et Édouard, ils sont tombés sur la sorcière.

Quelle ironie, ils auraient survécu s’ils étaient restés avec moi, s’il ne m’avait pas laissé derrière. Je réalise avec horreur que c’est du soulagement que je sens gonfler dans ma poitrine. Ils sont morts, mais moi je suis encore en vie. Puis ce sentiment disparaît aussitôt quand je vois l’expression sur le visage de Seli. Espoir, attente, crainte. Elle a plongé son regard noir dans les miens, je préfère l’éviter, je préfère détourner les yeux et observer la figure devant moi : la sueur qui coule le long de ses tempes, les mèches de ses cheveux qui tombent désordonnées sur son front, le sang séché qui la macule. Ce dernier, ce n’est pas le sien, la peur qui transpire de chacun de ses pores est par contre bien à elle. Pourtant, je sais qu’elle se lancera à leur rescousse, comme elle s’est lancée à la mienne. Il ne suffit que d’un mot, une affirmative pour confirmer notre mort.

Est-ce que c’est du courage ? Elle n’a même pas l’excuse de l’inconscience, elle sait ce qui l’attend. Son corps tremblant la trahit. Ses jambes s’avancent lentement, le coin de ses lèvres tressaute, sa voix quand elle me pose de nouveau la question chevrote, ses phalanges deviennent blanches à force de trop serrer son arme. Mais son cœur n’écoutera pas, comme quand elle m’a sauvé des cercleux l’autre jour. Parce que c’est Seli.

Ma gorge est sèche, une boule se forme dans ma gorge. Maintenant que j’ai quitté ses bras, le froid s’est de nouveau emparé de moi. Le mot franchit finalement mes lèvres.

— Non.

Je fais ça pour elle, je la sauve, parce que c’est l’héroïne de cette histoire, parce qu’elle doit encore vivre un peu plus…

Si seulement c'était pour ça. Peut-être que maintenant, vous avez commencé à cerner mon caractère. Ce n’est pas moi l’héroïne. Je ne suis même plus sûr que cette histoire en a une, d’ héroïne. Et parce que je peux me montrer loquace par moment, j’ai continué sur ma lancée, de ma bouche est sorti tout un tas de raison justifiant ma lâcheté.

— On doit s’en aller, prévenir les autres. Leur dire que Nol nous a trahis, qu’on a rien pu faire.

J’ai écouté mon propre discours comme si j’étais un spectatrice externe. Je voyais d’ici, mon sourire faux se dessiner, ma langue s’agiter dans ma bouche, butant sur des bégaiements et autres reniflements. Il y avait également mes bras, qui se sont lancerdans une chorégraphie improvisée. J’espère qu’elle ne voit pas les relents de peur jaillir de chacun de mes pas nerveux, les fumets d’égoïsme qui dégouline de mes mots.

Pourtant, je n’ai rien fait pour m’arrêter et je vois avec horreur Séli céder peu à peu à ma rhétorique. Je n’aurais jamais pensé utiliser mes compétences d’écrivaines de cette manière. Mais alors que je m’efforce de me convaincre en même temps que ma dangereusement courageuse interlocutrice, la réalité me rattrape à gros coups d’évènement inattendu et réduit en miettes mon discours.

Cet évènement inattendu, c’est une massive vague de sensations brutes. C’est arrivé en plein milieu d’une phrase, un amas de sentiments projeté à pleine vitesse contre moi, violent, pur. Pendant un moment, il n’y a que cette explosion d’émotions, cette tempête qui arrache tendrement chaque fibre d’un corps, de mon corps, et l’avale amoureusement. Un maelstrom où la douleur devient couleur, la tristesse devient pinceau.

Alors je donne, tout ce que j'ai, tout ce que je suis, tout ce que je sens. Je n’existe plus.

<S3L> Elle s’est stoppée net, en plein milieu d’une phrase. Pendant un moment, elle ne faisait que dodeliner de la tête. Dansant d’un pied sur l’autre, un sourire s’était doucement dessiné sur son visage, puis elle avait soudainement fixé ses yeux devenus violet sur moi.

Instinctivement, je l’ai mise en joue. Je l’ai appelé. Une fois, deux fois, puis j’ai posé mon doigt sur la gâchette.

— Écoute, Char… Claire, je ne sais pas ce qu’il se passe, mais je n’aime pas du tout ça. Alors, dis-moi que tu vas bien.

« Par pitié », j’ai failli ajouter. Le bout d’acier dans mes mains ne m’a jamais semblé aussi lourd. Je revois le visage de mon père, on s’était retrouvé dans la même situation, chacun à un bout du canon. Moi, le doigt sur la gâchette et la tristesse dans le ventre, lui, l’âme détruite par le Mal Pourpre.

— Ne m’oblige pas à tirer, s’il te plaît.

Je ne pourrais pas tirer. Pas cette fois.

Puis, soudainement, l’expression de béatitude qui décorait son visage s’efface pour laisser place à un regard écarquillé par la terreur, une bouche tordue par l’horreur. Tout son corps se tord dangereusement, accompagné de craquements sinistres. Alors que ses doigts se déplient frénétiquement, sa bouche happe l’air à la recherche d’un souffle, puis finit par s’écrouler. Je la regarde se recroqueviller sur elle-même, prise de convulsion, un mélange de bile et de vomi transparent s’écoulant d’entre ses lèvres.

Sans réfléchir, je me précipite vers elle, sa peau est brûlante sous mes doigts, sa main se jette sur mon bras comme un nageur à une bouée. Je ne sais pas quoi faire alors je lui répète en boucle que ça ira, que tout se passera bien.

Dans ses yeux, le violet a disparus. Quand elle parvient enfin à fixer son regard sur le mien, c’est d’une voix rauque qu’elle me jette.

— Elle est partie.

— Quoi ? Qui est parti ?

Derrière les mèches de cheveux collées sur son front par la sueur, elle me lance un regard désespéré, confus. Elle cligne plusieurs fois des yeux, comme pour se réveiller d’un cauchemar, puis dans un murmure rauque qui peine à sortir, elle chuchote :

— Je ne sais pas.

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