Vertikal[7][2] { I : The weapon }

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<S3L> Le bruit du canon explose comme le tonnerre dans la salle étroite. La multitude de billes en plomb vient fendre brutalement l’air et déchirer les morceaux de chairs et de bois sur son chemin. Le choc de la crosse contre mon épaule a été rude, celui du bruit contre mes oreilles encore plus. Je me relève en toussant, ma jambe encore blessée manque de me jeter de nouveau par terre, je l’ai eu. Il n’y a pas moyen que je l’ai raté. Pourtant je remets l’arme contre mon épaule. Le canon tremble, toujours pointé sur le bout du couloir, j’avance lentement, ignorant la douleur qui me perce l’épaule à chaque pas. Et si je l’ai raté, il se passe quoi ? Je ne veux pas y penser, je ne peux pas me laisser douter, je gueule de toute mes forces :

— T’en veux encore ? Hein ? T’en veux encore salope, j’en ai plein en rab !

Remplacé la peur par la colère, c’est le seul truc qui me vient à l’esprit. Gueuler trop fort des cordes vocales pour ne pas entendre la petite voix qui te crie de te tailler en vitesse. Le doigt sur la seconde gâchette, j’accélère, ma jambe boiteuse me donne une démarche chaloupée, de toute manière ce n’est pas comme si j’avais besoin de viser. Elle est là, je le sens, il y a quelque chose. Je vais la buter, je vais les venger. En tout cas ça, c’est ce que je crie pour me donner du courage.

Qu’est ce que je fous avec ce bout de fer dans les bras ? Ou plutôt, qu’est ce que je fous là tout court? Je pourrais être à des lieux d’ici, rentrez chez moi. Je leur dois rien aux macchabés, ni à Charlotte. Je la connais à peine.

Le verre craque sous mes bottes.

Un mouvement, une forme vague s’est jetée devant moi. Je presse immédiatement la détente. Je ne prends pas le temps de remarquer les yeux verts derrière ses verres, la joie qui se transforme en surprise sur le visage de Charlotte. Je regarde sans pouvoir rien faire les flammes qui sortent par la bouche de l’arme et propulsent les projectiles vers la petite journaliste, je regarde avec effroi les billes d’acier dévorer l’air entre nous deux.

Qu’est-ce que je fous là ?

<CL4> Je suis de retour dans mon corps de nuage. Aussitôt un sentiment d’euphorie grisante s’élance dans mes veines-filaments, fait voleter les fils brillants. J’effleure du bout de mon mouvement le monde gris de couleur, terne et amer de vitesse. Puis je vois un cœur qui bat, enchevêtrement chaotique de fils multicolores qui brûlent et noient de leurs couleurs l’air aux alentours.

Un peu plus loin, un mouvement se traîne, des projectiles d’aciers peint d’une colère haineuse percent le décor et se dirige vers un corps… mon corps ?

Je reprends enfin conscience de ma chair qui se trouve sur le chemin de la chevrotine. Alors je l’agrippe de mes bras brumeux, je me glisse à l’intérieur et le force le mouvement à travers les muscles immobiles. Lentement, mes membres s’activent, lentement l’acier s’approche. Plus vite. Plus vite.Plus vite !

<S3L> Ça y est, je suis devenue folle.

La chevrotine s’est enfoncée dans un nuage de poussière violet avant de poursuivre son chemin. Puis le visage de Charlotte a surgi devant le mien, je crois que c’est la première fois que je la vois d’aussi près.

Elle qui avait si peur de moi. Un beau parleur comme Delarocha était plus de son rayon. Entre gens de lettres qu’il disait. Il la trouvait jolie. Avec ses cheveux châtains toujours décorés de ruban et autres noeuds, ainsi que son nez un peu remonté. Je n’aimais pas la façon qu’elle avait de me fixer avec ses grands yeux verts bouteilles, ni ses oreilles décollées et encore moins son corps maigrelet et chétif. Elle m’avait toujours paru trop fragile.

Pourtant, elle s'était embarquée avec nous, armé d’un crayon et d’une ténacité redoutable. Elle nous avait suivis partout, posé question sur question, remplissait des lignes et des lignes sur son calepin, interrogeant le monde entier de sa voix bégayante. Sauf moi.

Mais celle que j’ai en face de moi est différente. Elle a sur son visage une expression que je ne lui ai encore jamais vue. Elle… elle me fait peur. L’image de la sorcière se superpose à celle de la petite journaliste, la même impression de danger, les mêmes yeux violets…

Violet ?

Elle me rentre dedans sans ménagement. Aussitôt mon corps se raidit, le cauchemar continue, un frisson me parcourt l’échine alors que mes poumons vidés d’un seul coup par le choc pompent un maximum d’air pour relancer mon coeur. Les bras enlacés autour de moi me font l’effet de pince que la sorcière aurait jeté contre moi, ils brûlent et me gèlent en même temps. Je vais rejoindre les cadavres à côté. Puis mon corps prend la relève, les années de combats, de défaites et victoires imprégnées dans mes muscles ressortent. Je ne vais pas me laisser faire, pas cette fois-ci.

Rapidement, j’évalue ma position. Dos au mur, il m’a empêché de tomber et aide à porter mon corps. Sa nuque fait une cible de choix, le tout est de se libérer suffisamment de son étreinte pour utiliser ma hanche pour balancer le coude. Ça peut le faire, je prends une inspiration, force le souffle à passer dans mon corps, puis j’entends Charlotte sangloter.

Le vent s’est levé au dehors, il siffle en s’introduisant par les fissures, lance dans les flaques quelques dunes mouvantes et éphémères, soulève les voiles de peau volage et cheveux flottant, il se glisse dans les tunnels de chairs creusés à l'intérieur des corps avant de finalement s’enroule autour de mon coude levé, immobile.

Elle lève la tête vers moi, ce que je vois est le contraire de la figure dangereuse d’il y a quelques instants. Ses yeux, bien verts cette fois-ci, sont inondés par les larmes qui coulent en abondance sur sa peau couverte d’un mélange de noir poussiéreux et de rouge sanguin. La bouche agitée au rythme des sanglots laisse échapper un flot de babillements incompréhensibles, interrompus de temps en temps par des reniflements bruyants qui peinent à ramener dans ses narines la morve qui court sous son nez.

Tout un coup privé de motivation guerrière, mon dos glisse contre le mur, mes bras s’accrochent à la chaleur en face de moi, la première depuis trop longtemps. Pas un cadavre, pas une sorcière, pas le béton glacé. Un autre être vivant.

Elle me dit qu’elle s’appelle Claire, pas Charlotte. Honnêtement, je m’en moque, je suis trop occupée à récupérer un peu de sa chaleur, de sa vie. Comme s’ils étaient enfin dégelés, mes muscles se relâchent. Toute la tension qui habitait chaque fibre de mon corps se détend, pendant un instant, j’oublie. J’oublie le charnier juste à côté, je ne fais pas attention à la puanteur infâme de la décomposition, j’ignore l’air chargé de miasmes poussiéreux et dérangeants. Pendant un instant, il n’y a que ce corps vivant dans mes bras.

<n1l> Je tombe encore une fois. Mes genoux heurtent durement le carrelage, je crois que ça fait mal. Une sensation étrange m’envahit, mes membres ne m’obéissent plus. Pourtant je veux encore bouger ! Autour de moi, le monde est désespérément vide de mouvements, pendant un court instant, j’ai pu m’amuser. Ils étaient deux, et ils s’aimaient, je pense. En tout cas, quand le premier, le plus fade, a éclaté, le second a redoublé de mouvements. Du coup j’ai regretté d’avoir fini aussi rapidement le premier, peut être que j’aurais dû détruire le plus mouvementé d’abord ? Est-ce que le plafond a toujours été aussi bas ? Allongé sur le sol dur, le froid commence à me gagner, les graviers qui s’enfoncent dans ma peau sont douloureux. Comment ? Quand est-ce que je suis tombée ? Les murs commencent à tanguer autour de moi, faux mouvement désagréable et sans saveur.

— Laisse-moi, j’en ai assez. Je veux rentrer.

Non. Pas encore. Je force mes bras à me soulever, l’un se lève à geste lent, puis, appuyé contre le sol, tend ses muscles. Une décharge de couleur me parcourt le corps tout entier. J’ai l’impression que mon squelette est brisé en morceaux. Les larmes aux yeux, j’essaie de reprendre mon souffle, l’air saturé de poussière me rentre dans les poumons. La quinte de toux qui suit me déchire la gorge. Je n’ai plus de voix pour crier.

— S’il te plaît.

Petite voix douce et suppliante. Ce n’est pas suffisant. Tu n’es pas suffisante !

— C’est fini.

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