Vertikal[7][1] { I : The weapon }

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<CL4> Recroquevillée dans un coin, la radio tout contre l’oreille, je ne peux pas m'empêcher de sourire, pour de vrai cette fois-ci. Les sons de la radio ont déchiré les filaments violet.

Je ne suis pas toute seule. La voix qui a surgi des écouteurs fatigués a été comme un miracle, j’ai tout de suite reconnu le ton rocailleux de Séli. Je lui balance tout, la sorcière, la mort des autres, Hassane et Édouard qui m’ont abandonné, la sorcière, encore.

Puis elle m’appelle Charlotte. Elle ne sait même pas qui je suis, mais ça n’a pas d’importance, elle pourrait m’appeler de n’importe quelle façon que cela ne me poserait aucun souci. Seli m’est toujours apparu comme antipathique, agressive, brute, trop soldat. Mais en ce moment, elle m’apparaissait comme un ange.

Ensuite, elle m’a demandé ou était les autres et mon coeur a arrêté de battre pendant un moment. J’ai ouvert et fermé la bouche plusieurs fois, incapable d’en sortir le moindre mot. “Ils sont morts.” Trois mots qui scellerait pour de bon la réalité, je me recroqueville encore un peu plus dans mon coin, assailli par les souvenirs et le sang, je réalise vraiment, pour la première fois, ils sont tous morts, et moi pas. Je n’ai pas pu lui répondre.

Delarocha était son meilleur ami.

<S3L> Le canon tremblant de mon arme en avant, je franchis l’entrée du restaurant.

L’endroit me semble irréellement paisible, comme indifférent à la bataille qui s’est déroulée devant sa vitrine, ses murs extérieurs ont l’affront de présenter leurs briques vides d’impacts, seulement teinté par les années et les vents. Mes bottes laissent des empreintes boueuses sur le sol carrelé. Pendant une demi-seconde, je m’imagine grondé par le propriétaire, puis je réalise qu’il est probablement parmi les ossements derrière le comptoir.

À travers une vitre brisée, un vent tiède s’introduit dans la pièce pour venir me caresser la nuque, refroidir la sueur qui me coule sur la nuque. Effrontément, il s’élance ensuite sur les tables recouvertes de poussière et en fait tomber des dunes noires et grises, qui cascadent jusqu’au sol, noie leurs grains dans le liquide rouge qui coule depuis les trous béants qui parsèment le corps de Mehdi.

Sur son visage, le sourire qu’il portait si souvent est resté figé, comme si c’était sa position naturelle. Le khôl qui entourait ses yeux a tracé des sillons dans le sang qui couvre ses joues. Je titube, glisse sur le tapis de douilles vide jusqu’à heurter le mur, le choc m’ôte le souffle qui restait dans mes poumons. Elle avait raison, la plumette avait raison. La crosse de l’arme contre mon épaule, j’essaie de me maîtriser, les deux chiens de mon arme sont relevés, je n’ai pas peur, je n’ai pas peur.

J’ose un pas vers le corps de Medhi. Une légère brise imprime des vagues dans l’épaisse couche de poussière qui recouvre le rouge bordeaux qui décore les banquettes alignées contre le mur. À travers la large baie vitrée, une faible lumière bleue éclaire les graviers et débris qui jonchent le sol, ainsi que des bras arrachés. À leur extrémité, une mare rougeâtre stagne, dérangée seulement par un timide courant d’air. Pas de coupure nette, pas de trace d’explosion, ils ont été arrachés. Pendant un moment, je reste planté là, les jambes tremblantes, la respiration saccadée, c’est seulement maintenant que je respire les effluves de mort qui émane de l’endroit tout entier. Mêlée à l’odeur de poudre brûlée, la puanteur glisse depuis les marches de l’escalier, en même temps que le sang qui s’écoule, telle une rivière morbide. Je sais ce qu’il y a au bout de ces marches, je veux m’en aller, mais comme un automate, ma jambe encore boiteuse de douleur se pose sur la première marche. Alors je suis, comme si mon esprit s’était enfermé au plus profond de mon crâne, je fais ce que je faisais toujours, j’avance. Ce n’est pas du courage, ni du devoir, simplement le seul moyen que j’ai de ne pas devenir folle.

Puis j’arrive en enfer.

Les cadavres recouvrent le sol, baignant dans leur sang, leur viscère et leurs merdes. Les torses éventrés font couler leurs intérieurs sur les jambes et bras esseulés et tordus. Les corps ont été mis en pièce, œuvre d’arts macabres et improbables, déchirés, détruits, saccagés, pillés. Chaque respiration jette au fond de ma gorge ce mélange d’odeur putride de mort, l’air saturé de poudre pique les yeux et les narines. Mais le pire reste encore le tableau qui se déroule sous mes yeux.

Mon regard passe, impudique, sur le spectacle grotesque, je n’arrive pas à ressentir quoi que ce soit. C’est trop absurde, bien trop pour mon coeur maintenant éteint. Là bile que je vomis vient rejoindre la flaque immonde déjà par terre. Son visage… la moitié inférieure du visage de Delarocha est manquante, ne laissant à la place qu’une ouverture béante et cramoisie dont s’écoulent des morceaux de chairs presque liquides. Je veux crier, mais une boule me bloque la gorge, la même qui presse douloureusement les poumons. J'ai la gorge en feu. Il faut que je m’éloigne, je ne peux plus voir cet endroit. Sans dévisager les cadavres, je boitille, trébuchant sur les douilles vides qui tapissent les rares endroits où il n’y a pas de corps.

Quand je pose ma main sur un mur pour m'empêcher de tomber, je sens sous mes doigts les restes de la bataille, des fissures, des impacts de balles, le sang visqueux qui dégouline en grosses gouttes sur le sol déjà souillé. En relevant la tête, je m’aperçois que tous les murs sont décorés de la même manière. La sortie est proche, je force mes jambes à avancer, tout en récitant dans ma tête mon objectif : trouver Charlotte.

C’est de l’autre côté de la salle que je trouve la tête de Livingstone, juste au-dessus de son cou déchiqueté, sa barbe grisonnante fume encore. Je l’ai toujours respecté, à défaut de l’apprécier. Vieillard misogyne et raciste, même en mourant il a gardé l’expression de rage intense qu’il portait quotidiennement, comme si le monde entier était son ennemi. N’empêche qu’il a toujours fait son travail correctement.

Il faut que le cliquetis résonne plusieurs fois avant que je ne le remarque. Je ne réfléchis pas une seconde, je me jette au sol, parmi les cadavres. Je sens mes vêtements refroidir et devenir humide alors qu’ils se gorgent de sang. Je suis dégoûtée, terrifiée également, pourtant je n’arrive pas à détourner le regard du couloir qui s’enfonce dans le bâtiment. Le plus lentement possible, je ramène la crosse de Lily contre mon épaule, j’espère de tout mon cœur que ce bruit ne viennent que de mon imagination que…

Le bruit, encore, des pas qui marche sur du verre.

Quelques pensées s’introduisent brièvement entre les élans de peur brute, la personne est seule. Mes mains moites de sueurs serrent un peu plus l’arme. Au bout de ma main, mon index tremble, mais se tient prêt tout contre la gâchette, il attend que la chose apparaisse. Encore un pas, démarche lente. Quelque chose, de la boue ou du sang rendu liquides par ma sueur se glisse devant mon oeil, je n’ose pas l’essuyer de peur de me faire repérer. Je me souviens de ce que racontait le commandant Jones. Comme quoi lui et sa fidèle Lily vidaient des pièces entières d’ennemie d’un seul tir. C’était probablement faux, mais je prie pour que ça ne soit vrai. Le plus silencieusement possible, je ramène le chien en arrière. Le canon posé sur le bras d’un des cadavres, l’acier attend sur son trône de chair.

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