Vertikal[6][1] { In awe of }

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<R3T> L’humain est immense, beaucoup plus que la fille qu’on a rencontrée avant. Il fait trois pas dans ma direction, et l’instant d’après je me retrouve sur son épaule. Pas d’avertissement, pas un mot. Je commence par lui gueuler dessus, puis je finis par lui foutre mon genou dans la gueule. D’un coup je sens sa prise se relâcher, j’enchaîne avec mon coude derrière le crâne, ça suffit à me délivrer. L’atterrissage est plus douloureux que je pensais, je tombe mal, trop crevé pour bien faire. Les mains écorchées par le gravier et la pierre, je reste immobile, martelée par la pluie. Récupérer, souffler un peu. D’un rapide coup d’œil je repère Sara, son humain à l’air plus sympa que le mien, en tout cas il ne l’a pas foutu sur son épaule comme un sac de patate. J’entends les pas lourds de mon opposant s’approcher.


—  Allez, mon gros, deuxième round !


Pure bravade. Pour me faire plaisir.

Au dernier moment, je bondis sur mes pieds et lance une poignée de boue à la figure de l’humain. J'enchaîne immédiatement, mais mon poing s’enfonce mollement dans sa veste. Ma seconde attaque est déviée d’un revers de sa main, et la troisième frappe le vide. Déjà à bout de souffle, j’ai les muscles douloureux et surtout je n’arrive pas à concentrer l’éther. Je me sens gauche, vide, aveugle. Pourtant je ne peux pas m’arrêter, je balance ce qui me reste, jusqu’à ce que mon corps ne veuille plus bouger. Lorsque la poigne de l’humain se resserre autour de mon bras, je me débats à peine.


—  Lâche. MOI !


Sara est plus vive, sa barre de fer s’écrase avec un bruit inquiétant contre le genou de l’homme. Il laisse échapper un grognement, puis sa jambe blessée lâche sous son poids. Je sens sur mon bras son étreinte se desserrer, avec l’énergie du désespoir je me dégage. C’est sans compter sur mes guibolles fatiguées, le sol se rapproche vite de ma figure, encore. Mais cette fois, Sara est là pour me soutenir. Malgré sa blessure et la fatigue, elle se redresse autant qu’elle peut. Ses yeux ont repris de leur couleur bleu éclatant. Nos regards se croisent, elle ne dit rien, mais je sais qu’elle a choisi.


<S4R> Les deux humains sont proches, ils ne comprennent pas. Joy amorce un mouvement en notre direction, mais est aussitôt arrêté par son compagnon. D’un coup d’épaule, elle se dégage en secouant la tête. Elle fait un dernier pas vers nous, puis finalement s’arrête. Sur son visage une multitude d’émotions se succèdent, la pluie qui nous sépare en brouille la plupart, mais j’arrive à lire l’essentiel : regret.


—  Les gens, qu’est-ce que vous foutez ?


Le troisième humain, un homme au vu de sa voix. Son ton est enjoué, tremblant, mais enjoué. Insignifiant morceau de chair et d’os face au géant de métal. Pourtant, il garde son arme fixée sur son adversaire, courageusement, stupidement. Personne ne bouge. Pendant quelques instants, on peut entendre le bruit régulier des gouttes sur l’armure d’acier. Le bruit de l’eau qui ruisselle en cascade sur les épaules du colosse. Le claquement de la pluie sur les masques des humains. Personne ne bouge. Sur le champ de bataille, les feux perdent leur chaleur et crachent leurs dernières fumées noires vers le ciel. Et si aujourd’hui la pluie peine à diluer le sang qui peint la place, demain, tout aura disparu. Recouvert par la poussière et le soir, balayé par les vents et lécher par la pluie. Mais ça ce sera demain. Car aujourd’hui, le combat n’est pas fini.

Les projecteurs fixés aux épaules du Kabuto se sont allumés. Ébloui par la soudaine lumière, l’humain a eu un geste de recul. Dans un complexe jeu de câbles et de rouages, le bras de l’armure s’active bruyamment. Avec fracas et des mouvements saccadés, la main d’acier s’élève lentement. Elle reste suspendue dans les airs pendant quelques instants. À ce moment-là, les autres ont réalisé, moi aussi. J’entends un cri sortir de ma gorge.

La main du colosse s’abat subitement. En un instant l’homme est aplati sur le sol, sa colonne vertébrale réduite en miettes. Il n’y a plus qu’un amas de chair et de membre brisées qui s’empile sur un corps sanguinolent. Sa tête est affreusement tordue, un bout de sa cervelle coule depuis l’ouverture dans son crâne fendu. Oeuvre d’art grotesque et morbide.

Même à travers le bruit des rouages j’entends le cri déchirant de Joy. Lorsque l’acier se lève de nouveau, il est dégoulinant d’un sang rouge presque vif. Alors que Retori est en train de me tirer vers l’arrière, je n’arrive pas à détacher mes yeux de la scène. Les humains ont commencé à tirer. Joy est la première à mourir. Son corps a fait un bruit sourd quand il a heurté le métal du poing du Kabuto, il a rebondi contre le sol deux ou trois fois avant de s’arrêter quelques mètres plus loin, tordu et brisé. Éclaboussée par son sang, je passe ma main sur mon visage. Rouge. Je me demande si j’aurais pu être amie avec elle. Elle avait l’air sympa, un peu comme une grande sœur. Toujours prête à rigoler.

Poussé par une curiosité morbide, je n’arrive plus à quitter des yeux ma main cramoisie.

Même pas quand le corps de l’autre humain et s’élève au-dessus de nos têtes, et va finir sa course par la fenêtre d’un bâtiment à côté. C’est ce que j’ai choisi.

Un rugissement s’élève aussitôt. Remplis de peine et de colère. Des dizaines de gueules se mettent à crier, leur sang est la poudre qui s’enflamme, leurs gorges sont le tracé de la balle dans les airs, leur langue est le bruit de l’acier contre l’acier.


— Putain ça gicle sévère !  Fait les morfler Nihl ! Ils le méritent ces enflures !


<R3T> L’image de Nihiline crucifiée dans le Kabuto me passe sans arrêt devant les yeux. Son sang rouge, qui vient se glisser sur sa peau trouée, son corps brisé, son sourire osé. Je veux me jeter sur eux moi aussi, devenir un morceau d’acier, les déchiqueter, les dévorer. C’est ça qu’on cherche ? Trouver les humains ? C’est ça que tu cherchais Nihl ? Ma jambe s’avance, poussée par la haine. Ma mâchoire me fait mal à force de la serrer, je pourrais foncer, droit devant, chopper le premier venu et le découper en deux.

Même quand ils commencent à tirer, je ne baisse qu’à peine la tête. Je n’ai plus peur. Les tremblements viennent de l’excitation, de la rage qui bouillonne dans les tripes. Mais c’est à ce moment que mon corps se rappelle à moi, il m’envoie une décharge de douleur généralisée, balance un interdit de mouvement dans les nerfs.

Je bloque, hésitant, puis la petite partie lucide calée dans un coin de ma tête s’est avancé, a convaincu le reste du cervelet que c’est pas une bonne idée, qu’on a d’autres priorités. Rien de bien grave, juste, resté en vie.

Mes yeux s’accrochent sur Sara, encore en pleine contemplation de ses mains barbouillée de jus d’humains. Rester en vie…


<S4R> D’une brusque traction sur mon bras, Retori m’entraîne au sol avec elle, autant pour me protéger des balles que pour me parler. Son visage recouvert de sang collé au mien, elle crie pour se faire entendre dans le vacarme de la bataille. Elle me dit qu’il faut qu’on se tire, que l’on doit faire confiance à Nihiline maintenant. De la tête elle me désigne le grand bâtiment pas très loin. Celui avec Lazare écrit en grosses lettres sur le côté. Celui par lequel nous sommes arrivés. J’acquiesce sans réfléchir.


—  Est-ce que ça va ?


Cette dernière phrase, elle ne l’a pas réellement dit. Mais, son visage inquiet est suffisamment parlant. Derrière un  rideau de sang, ses yeux verts sont fixés sur moi. Je hoche la tête de haut en bas. J’ai choisi, il faut que j’aille au bout. Je me force à ne penser à rien d’autre qu’a maintenant. Je ne veux pas démêler ce nœud de sentiment qui se forme à l’intérieur de mon esprit. Alors je commence à ramper. Je me cale dans sa trace, je ne vois plus que ses cheveux rouges, flottants comme un étendard.

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