Vertikal[6][0] { In awe of }

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<S3L> Les gosses criaient mon nom : « Séli ! Séli ! Séli ! » Moi, je n’en menais pas large. Les gants de boxe relevés, je subissais les assauts furieux et désordonnés de Zach. Aménagé dans un coin reculé d’Odeon, c’est la bande d’Hassanne qui l’avait découvert. On y avait construit notre modeste ring, c’était devenu notre repère secret. Mais avant que le gong final ait pu retentir, la voix de Nani sonna à la place. Sa venue avait déclenché les cris et exclamations peu corrects de beaucoup d’enfants, et la fuite de quelques autres. C’était la première fois qu’un adulte nous trouvait, et en plus Il faut dire qu’ils étaient bien déçus de ne pas avoir la chance d’apercevoir l’un de mes fameux come-back. Moi, j’étais plutôt ravie, elle venait probablement de me sauver d’un K.O. assuré et douloureusement honteux.

Nani l’ancienne avait royalement ignoré les mots un peu dégueulasses jetés sur elle et réclamé un tabouret pour sa vieille carcasse, après tout, le match n’était pas terminé. Il y eut un petit flottement indécis dans notre foule, laisser un grand envahir notre endroit était un peu fort. Puis l’un des plus jeunes lui a effrontément demandé une histoire. Tout le monde savait que Nani était une conteuse hors pair, en plus d’être l’une des rares personnes qui prenaient encore le temps de se souvenir d’images à raconter, de conte à peindre dans les têtes.

Non-productif, perte d'energie, inutile, c’était généralement les qualificatifs attachés à cette activité. Moi, j’étais plutôt d’accord : les mots ne nourrissent pas. Mais avec un haussement d’épaules, et un coup d’œil à Zach, qui je me suis quand même assise avec les autres et j’ai écouté Nani se lancer dans ses histoires. Mais pas n’importe lesquelles : les histoires d’avant. En plus, elle les racontait bien, vu qu’elle l’avait vécu, ce temps d’avant. Celui où le ciel était bleu, où les gens vivaient à la surface sans masque pour les protéger du Mal Pourpre. Ce temps qui a été détruit le jour où un monstre est apparu au dessus de nos tête. C'etait un gigantesque serpent de roche, il s’était jeté sur notre ville et l’avait dévoré, depuis, nous survivions prisonnier de son estomac. En tout cas c’est ce qu’en disaient les histoires. Des idioties créent par les Verreux de Versailles pour nous calmer.

N’empêche que quand elle commençait et que les premiers sons effleuraient les oreilles curieuses des mômes, le silence venait remplir les bouches et les esprits s’imaginaient. Ils peignaient à la volée les phrases pour y mettre deux trois images.  Même si la voix douce de Nani chevrotait par moment, et que ce qu’elle racontait, je connaissais déjà, je ne me lassais pas du son réconfortant de ses mots, les variations qu’elle ajoutait parfois pour ne pas nous ennuyer, l’impression d’y être, bien que je n’arrive toujours pas à visualiser un ciel bleu, à la place du gris de notre plafond-ciel, ou bien une lumière toute jaune, une seule, qui serait plantée tout là-haut.

“Il était une fois sous le ciel bleu”, qu’elle disait. “Le soleil brillait de mille feux”, qu’elle rajoutait. Et surtout, le plus absurde, quant à la fin de son récit, elle finissait par : “Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants.”

Je me relève d’un seul coup et regrette aussitôt mon geste quand mon corps se met à protester de douleur. Prudemment, je tâte l’endroit où devrait être mon nez. Un éclair de douleur m’arrache un cri et me jette quelque larme dans les yeux. Cassé ? L’adrénaline m’a caché ça pendant le combat. Mais le sang qui m’inonde la bouche ne fait aucun doute. Allongée dans la boue, je reprends un rythme de respiration normal. La voix chevrotante de Nani persiste dans mes oreilles, puis est soudainement remplacée par celle beaucoup moins agréable de la radio qui gueule de tout son saoul, scotché à l’intérieur de mon masque.

—  Civil en visuel, je répète, civils en visuel.

Mon masque, je balaye du regard l’endroit, une boule de glace vient se loger dans ma gorge au fur et à mesure que je réalise que sans lui, je suis pire que morte. Finalement ma main tombe sur une forme solide, à moitié enterrée. Visière fissurée, radio OK, mais micro tordu et probablement hors d’usage filtre… filtre OK. Enfin une bonne nouvelle, ça manquait un peu dans cette journée de merde. J’enfile rapidement le masque, et aspire avec reconnaissance une bonne goulée d’air filtrée. Je reste quelques instants sous la pluie, les fesses dans la boue, la bouche grande ouverte, je savoure encore quelques goulées d’air en boîte. D’un coup de langue inquisiteur j’en profite pour faire le compte des dents qui me restent, il y a deux trois chicots qui manque à l’appel et quelques autres qui tremblote un peu dans leur gencive. Pour le reste, j’ai été très chanceuse. Mon masque a dû absorber la plupart des chocs, je vais devoir remercier la petite fée en rentrant.

La conversation dans les oreilles. Je mets quelques instants à reprendre la situation. Puis mon cœur fait un bond dans ma poitrine en même temps que mon estomac se tord dans mon bide. Il faut que je les prévienne.

—  Des civils ? Impossible, on est dans le Nord-Paris, il y personne ici. Réduis ton arrivée d’oxygène et arrête de flooder pour rien, Zack !

—  Mais putain, Lieutenant, je vous dis qu’il y a deux nana juste devant le mécha. Je délire pas.

—  Merde, Zack à raison je les vois aussi. Elles vont se faire écrabouiller, on intervient, Lieutenant ?

—  T’as vraiment besoin de poser la question ? Mohamed, Zack, Joy allez les chercher. Livingstone, prends trois des meilleurs tireurs et attends mon signal. Zen, fonce dans le resto à droite, trouve un bon spot à l’étage et tire une fois que l’ennemi est engagé. Les autres avec moi. Et je ne veux pas entendre de tirs tant que les civils ne sont pas évacués.

—  T’es sérieuse ? On va pas se crever le cul pour deux gonzesses.

—  Fais pas chier et obéit Livingstone. Et pas d’explosifs !

Je patauge, plus que je cours, mes bottes usées ont du mal à accrocher le sol boueux, plusieurs fois je me vautre par terre, continue à quatre pattes, ignore les éclats de douleurs qui me poinçonnent de douleur. Désespérément je crie dans mon micro, aussi fort que le permettent mes poumons malmenés par la course. Les fillettes, ce sont des ennemis, elles sont dangereuses.

Mais la seule réponse que j’ai ce sont les cris des gars, puis la voix autoritaire d’Émilie qui demande :

—  Et qu’est-ce qu’elle fout la cavalerie ?! Rappelez là !

<S4R> Les gobelins, ou plutôt les humains sont presque sur nous. L’un d’eux s’approche la main tendue. D’un coup sec je le repousse, pur réflexe, mais le mouvement brusque et la fatigue me font perdre l’équilibre. Je m’affale lourdement par terre, il continue d’avancer, ignorant d’abord mes cris puis les pierres que je lui jette. Il ne lève même pas les bras, ni ne fais mine d’esquiver, laissant les ridicules cailloux rebondirent pitoyablement sur la visière de son masque.

Arriver tout prêt de moi, je n’ai déjà plus de projectiles à lui lancer, alors l’éther se rappelle à moi. Rendu fou par les morts aux alentours le flot, l’éther se fracassent contre ma conscience, se fraye un chemin à travers ma volonté affaiblit. Il me suffirait de lui donner mes veines à parcourir,  de lui laisser prendre son élan dans mes organes, et tout lâcher. Les possibilités défilent dans ma tête tout comme l’éther défile dans mon sang. Je m’imagine une masse éthérique lui briser les genoux, ou bien lui défoncer la cage thoracique, comme le node. Si ça se trouve, lui aussi a quelque chose à l’intérieur ? Je n’ai qu’à murmurer quelques mots, juste quelques mots. Ce n’est qu’un humain, il ne pourra… ce n’est qu’un humain… C’est un humain.

J’aspire à grand coup, crache par terre une toux qui me brûle les poumons. Le voile rouge qui s’était installé devant mon regard s’estompe peu à peu alors que je tente de calmer mon sang bouillonnant d’éther et de violence. C’était juste, trop juste. Encore un autre, j’aurais pu en tuer encore un autre. Je dois faire le vide, chasser le trop-plein d’éther. Une nouvelle quinte de toux m’arrache une nouvelle grimace et amène quelques larmes au coin de mes yeux. La respiration sifflante, je me force à la rendre plus régulière, je laisse couler, sans faire attention au pic de douleur déposé çà et là, je remets à leur place les veines déplacées et artères brutalisées par le mouvement de l’éther. Les minutes passent, combien de temps je suis resté là, immobile ? Apparemment pas suffisamment longtemps pour décourager l’humain.

Agenouillé à mon niveau, il semble… attendre ? D’aussi, malgré les larmes qui brouillent ses contours, je remarque les couleurs vives qui peuplent les vêtements de l’humain, lui n’est pas tout noir comme les autres, lui est décoré de jaune fatigué et de rouge pâle, presque rose. Il a aussi dans sa stature quelque chose de beaucoup plus frêle, plus approchable.

Quand nos regards se croisent, j’ose espérer une dernière fois qu’il va juste tourner les talons et s’en aller. Mais au lieu de cela, il lève lentement les mains vers les lanières qui retiennent sa tête de plastique, un « clic » plus tard, le masque est tombé. En dessous, il y a le visage d’une jeune femme, les cheveux bruns bouclés coiffés par un bandeau bleu, les joues rouges décorées d’une petite étoile tatouée juste en dessous de l’œil.

Son regard brille quand elle me dit qu’elle s’appelle Joy.

—  Laisse-moi t’aider.

Joy a une petite voix flûtée et enjouée, sa main, sans le gant qu’elle vient de retirer, est petite et fine, presque comme la mienne, mais la sienne est abîmée d’une vilaine cicatrice qui s’étend sur toute la longueur de sa paume. Une brûlure probablement. Elle doit avoir mon âge, peut être un peu plus. C’est pour cela qu’il y a dans son sourire une douceur bienveillante, presque maternelle. Différent du sourire timide et insouciant de Nihiline, différent du rictus cynique et  souvent méchant de Retori. Non, celui-là était bien différent.

Alors j’ai tendu ma main vers la sienne.

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