Vertikal[5][3] { Passing Through }

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— Seli ? On a perdu contact avec Jeb et Franck, qu’est ce qui se passe ?


<S3L> La voix du capitaine résonne à mon oreillette. Inquiète plus qu’énervée, parce qu’elle m’a envoyé faire une reconnaissance avec Jeb et Franck, les gars les plus tarés de l’escouade. En temps normal, je lui aurais tout de suite répondu, mais deux choses m’en empêchent. La première est que je n’ai aucune idée d’où ils sont. On s’est séparé tout à l’heure : “Pour couvrir plus de terrain.” J’aurais dû protester, parce que dans les films d’horreur c’est peu après la séparation que les gens commencent à mourir. Mais j’ai sauté sur l’occasion, j’en avais marre de sentir sans arrêt leurs regards de limace collés sur moi. Deuxièmement, une fillette d’une quinzaine d’années vient de me bousiller le nez et ne va probablement pas s’arrêter là. 

Sa main est vissée sur mon cou. Au bout, un visage souillé d’un mélange de sang et de boue me dévisage intensément. Ses yeux brûlent d’un bleu profond. Tout au fond de moi, je sens une peur viscérale monter, pure, sauvage. Elle est dangereuse, mon corps tout entier me dit de courir à toute vitesse. D’où est-ce qu’elle sort celle-là ? Des son premier jab j’ai bien senti qu’elle n’était pas normale, un coup, et c’était le KO direct. Mais, quelqu’un, Jeb peut-être, l’avait déjà bien amoché. Du coup, j’ai pu en placer de belles, mais quand j’ai réussi à la coincer contre le mur, je sentais la terreur s’immiscer partout. Pour chaque coup donné, le monstre enflait, se nourrissait de ma peur. Puis elle m’a jeté contre le mur aussi facilement que si j’étais un fétu de paille. Et maintenant elle est là, indifférente à la boue qui recouvre ses pieds nus, les habits en lambeaux, couverts de bandage, la peau recouverte d’une pellicule de boue et de sang séché. D’un coup de tête, elle chasse une mèche de cheveux rouge sang de son visage. Comme au ralenti je vois son poing prendre du recul. Je lève mes deux bras devant mon visage dans un geste désespéré. Je serre les dents, j’attends la souffrance.

C’est à ce moment-là que mon esprit choisit de se rappeler ce que disait le vieux Jones. Juste pour échapper la réalité bien douloureuse qui arrive à toute vitesse dans ma face. C’était un peu avant d’arriver dans la zone de Nord-de-Seine, il avait commencé à nous parler de sorcières et de golems qui étaient apparus pas très loin de Lazare. Il nous a dit que les sorcières sont des créatures qui ont pris l’apparence de fillette, mais qui n’ont pas besoin de masque, et qui sont responsables du mal pourpre. Claire, en bonne journaliste avez tout noté dans son petit calepin, l’air d’y croire, le reste de l’escouade ? Pas tant que ça.

Mais là, il semblerait que je sois tombé sur l’une d’elles.


Bam


Je sens ma tête partir en arrière sous le coup, un voile noir me passe devant les yeux. Mes genoux tremblent dangereusement sous moi. Même avec la protection combinée de mes avant-bras et de mon casque, j’ai bien senti le coup. Je ne sens plus mon nez, du sang coule dans ma bouche. Le prochain, c’est le KO, je lève quand même les bras, bien inutilement. Reste plus qu’à encaisser. Mais au lieu de ça, la fille hésite. Soudainement, le couloir est éclairé par une vive lumière blanche, avant de s’éteindre presque immédiatement. Ça n’a pas duré longtemps, quelques secondes à peine, mais c’est l’ouverture que j’attendais, elle a desserré son étreinte. Mais avant que j’aie pu amorcer le moindre mouvement, je sens mon masque arraché brutalement.

Par réflexe j’aspire à grand coup. Cela faisait des jours que je n’avais pas pu respirer à l’air libre. Puis des images me reviennent à l’esprit. Papa, qui met sa cravate pour partir au boulot, puis qui passe la journée à attendre le métro, exactement comme les dix derniers jours. Sans boire, sans manger. D’un seul coup, on n’existait plus pour lui. Et quand maman à essayer de le raisonner, il est devenu enragé. On a jamais pu effacer le sang de maman de notre cuisine, je n’ai jamais pu effacer de ma mémoire la sensation de la batte de baseball qui rentre dans le crâne de papa. C’était avant qu’on découvre le mal pourpre, avant que nos visages se couvrent de masques, quand on croyait pouvoir encore respirer hors de nos tanières, quand les gens mouraient par grappe et que l’on était incapable de savoir pourquoi. Je hurle et avec l’énergie du désespoir je prends appui sur le mur pour me jeter sur la fille aux cheveux rouge. Encore surprise par la soudaine lumière, elle ne réagit pas suffisamment vite. Nous roulons toutes les deux dans la boue en grognant comme des animaux. Nous luttons ainsi par terre, nous jetant des poignées de sable aux yeux, griffant mordant. Je suis trop épuisé pour tenter de me battre élégamment. Je dois en finir vite, du coin de l’œil je vois mon masque à quelques pas, quelques pas seulement. Le combat tourne rapidement en concours de force. Bien, elle doit faire à peine la moitié de mon poids, je me retrouve rapidement au-dessus d’elle, puis me prends un coup de tête qui m’envoie valser en arrière. Surprise à la fois par le coup et par le fait qu’un si petit corps puisse déployer autant de force brute. Mais elle manque d’expérience, ses gestes sont maladroits, elle s’épuise pour rien. Enfin, j’arrive à lui faire une clef de bras. Son bras coincé entre mes jambes, sa main retenue contre mon torse, il me suffit de forcer pour que son br…


<S4R> Il y a eu juste un éclair et le combat était fini. L’éther s’était rassemblé dans sa main prise au piège. Prenant appui sur le reste de son corps elle s’était compressée d’un seul coup puis relâchée brutalement. L’éther avait claqué, puis s’était électrisé d’un seul coup, et s’est rependu dans le corps de l’’autre fille. Elle avait eu un unique soubresaut avant de s’immobiliser complètement. Foudroyé. Les deux sont maintenant immobiles, monticules de boue vivants.

— Retori ?

Elle ne répond pas. Mon cœur fait un saut dans ma poitrine.

— Non, non, non !

Je me jette presque sur elle, trébuche plusieurs fois et finis ma course en rampant. De toutes les forces qui me reste, je la tire vers moi et l’enserre entre mes bras. Une claque, deux claques, toujours pas de réponse. Son cœur bat dans sa poitrine, mais elle est en train de mourir. De l’éther s’échappe de sa chair, il se disperse lentement hors de son enveloppe pour aller se diluer dans l’air ambiant. Du bout des doigts, je les effleure, elle est bien là.


<R3T> La jeune fille flotte sans but, entre deux eaux, parfois, un courant d’éther la côtoie, la touche, rien qu’un instant, juste pour déposer un peu de chaleur, et repartir aussitôt. Je tends les doigts, je... je ?


<S4R> Petit à petit, je rassemble les fils, je les recolle, je lui rappelle qu’elle est. Son visage commence à reprendre des couleurs, il la réclame.


<R3T> Il y a quelqu’un, en plus d’elle. Un toucher, un peu brutal, mais familier. L’éclat doré d’une chevelure surgit dans son esprit. Je bondis vers la surface, je me réveille. Mon corps me revient. Affectueusement, il me torture, me rappelle la douleur, celle qui nous appartient. Puis la douce chaleur d’un corps m’enlace. J’y plonge volontiers.


<S4R> Elle prend une grande inspiration, comme si c’était la première depuis des années. Enfin, elle me regarde, elle me voit de ses yeux hagards, elle se met à claquer des dents. Elle tremble comme une feuille, je la serre dans mes bras.

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