Vertikal[2][3] { Mute departure }

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<R3T> Mon poing vient percuter mollement le corps de l’homme, qui recule à peine sous l’impact. L’éther s’est dissipé d’un seul coup. Comme aspiré par les chairs pourries de la créature, tout ce qu’il contient d’éther stagnant et immobile absorbe soudainement          l’éther que je lui ai balancé à la face. J’ai à peine le temps de cogiter qu’une violente nausée me plie en deux. Face contre terre, je vomis le contenu de mon estomac. Au-dessus de moi j’entends la voix de l’homme qui hurle à mort, ou bien est-ce ma voix ? Je sens à peine quand son pied vient frapper à plusieurs reprises mes côtes. Une autre douleur, bien plus forte, me détruit déjà de l’intérieur. Tous mes regrets et mes doutes se bousculent brutalement dans ma tête. Brute incapable, tu fais la fière, tu crois toujours savoir où aller, mais qu’est-ce que ça a donné pour le moment ? Hein ? Là-bas, quand vous étiez toutes ensemble, tu as voulu faire ta maligne, te donner de l’importance. Tu te rappelles ce que tu as dit ?

 

—   On est le mouvement les filles. Si on bouge pas, on meurt.

 

C’était très beau, très inspirant. Alors vous avez bougé. Tu les as d’abord amenées dans un hôpital, tu te souviens de l’hôpital ? C’est là où tu as forcé Nihiline à tuer pour la première fois, la tête qu’elle a faite quand elle a écrasé cette bonne femme ! Et quand tu les as emmenées dans un bâtiment désaffecté et que Sara a failli finir ensevelie sous les décombres, tout ça parce que tu avais vu de la lumière. Oh, mais le mieux c’est quand tu leur as promis que tout irait bien. Elles t’ont crue. Tu as apprécié leurs sourires rassurés, tout en sachant que tu étais incapable de te rassurer toi-même. Tu crois qu’elles n’ont pas deviné ton petit jeu ? Tu crois qu’elles ont de l’affection pour toi ? Tu es juste bonne à sacrifier. Elles attendent simplement le bon moment !

 

Je perçois vaguement mon corps, par terre, misérable et tremblant. Quand je sens des mains se resserrer autour de mon cou, je ne peux pas m’empêcher de sourire. Je lui demande de serrer plus fort, je prie pour qu’il me brise la nuque, je le supplie de ne pas lâcher. Je veux en finir, s’il te plaît.

 

Puis l’air regagne mes poumons et la chaleur se répand à nouveau dans mon corps meurtri. La vague sombre se retire subitement de mon esprit. Je crache et tousse, la gorge douloureuse, c’est bon, c’est la bonne douleur, celle qui peut se soigner, celle qui va passer.

 

—   Denis ! Arrête ça, je t’en prie, tout va bien. Tout va bien !

 

Comme à travers un brouillard je vois deux hommes en train de lutter. Qui est le nouveau venu ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Je repousse toutes ces questions dans un coin de mon esprit. Je force mes jambes à me porter. Je jette un coup d’œil derrière moi, le cercleux au manteau gris est par terre, il se débat et bave en poussant des cris inhumains. Son visage est tordu, de ses yeux exorbités coule une substance noirâtre et sale. Comment ai-je pu croire une seconde qu’il était humain ?

 

Au-dessus de lui un solide gaillard à la tignasse rousse le maintient au sol de toute son imposante masse, pourtant, il peine visiblement à tenir son opposant plus petit immobile. Il va finir par lâcher. Je ne mets pas longtemps à dénicher une barre en métal suffisamment lourde pour briser un crâne, et encore moins longtemps pour l’abattre sur la tête de Denis. Il faut que je me reprenne à trois reprises pour qu’enfin il ne bouge plus. Au troisième coup, la barre reste solidement coincée dans son squelette. Son sang et un peu de sa cervelle giclent quand je retire d’un geste brusque l’acier de son cadavre. Déséquilibrée, je trébuche jusqu’à me retrouver le dos contre la carrosserie d’une voiture. Les jambes encore tremblantes, je me laisse glisser au sol. Dans mes mains serrées, la barre de métal me paraît soudainement beaucoup plus lourde. Le silence est revenu sous le toit de la caverne, seulement perturbé par nos respirations haletantes.

 

—   C’était mon frère. Tu as tué mon frère.

 

Le rouquin a une voix grave et profonde, bien que secouée par des sanglots. Il est en train de bercer le corps sans vie de son frère, se balançant doucement d’avant en arrière. Du revers de la manche, j’essuie le sang et la sueur de mon visage. Je finis par murmurer d’une voix rauque.

 

—   Il a essayé de me tuer, il était foutu.

—   Qu’est-ce que t’en sais ?

 

Rien, absolument rien. Alors je garde le silence. Je n’ai pas envie de me disputer. Je n’aurais pas cru que ma première rencontre avec un autre être humain serait aussi sanglante. L’homme poursuit d’une voix faible.

 

—   Son mari est mort, il y a longtemps. C’était la seule chose qui le maintenait en vie, sa raison de vivre. Dire que je n’ai jamais trop pris au sérieux cette expression. Mais maintenant, je crois que je comprends.

 

Sara pense que c’est ça qui garde les gens hors du cercle. Avoir envie de vivre, avoir ce sentiment viscéral qui te fait bouger, qui te fait savoir, que la prochaine seconde sera différente de la précédente. Dans cet endroit, il est si facile d’abandonner, de tout laisser tomber, de ne plus avoir envie de regarder devant. Alors le corps prend la relève, il prend quelque chose qu’il était habitué à faire, et le fait. En boucle.

 

—   Tu sais, Denis était la seule famille qui me restait. Je n’ai plus personne.

 

Un frisson me parcourt l’échine. Un nœud se forme de nouveau dans mon estomac. Il est devenu silencieux, son frère encore dans ses bras, les larmes ont arrêté de couler le long de ses joues. Je titube jusqu’à lui, et pose ma main sur son épaule. Aussitôt, le voile sombre revient à la charge, mon corps tout entier me crie de lâcher, c’est trop tard pour lui. Mais je réalise que je peux le sauver. Je le vois encore, petite chaleur brillante, coulant lentement dans une mélasse épaisse et obscure de non-envie de vivre. Je peux plonger à son secours, me battre contre mes propres regrets et mes doutes, lui redonner courage, ou au moins lui montrer la voie.

 

Ma main s’écarte de son épaule. Mes mots sonnent creux.

 

—   Ça fait trop longtemps que je cherche un autre être humain. On a besoin de toi, moi et mes amies. Ne me fait pas ça. Il faut que tu te battes.

 

Pour la première fois, il relève la tête vers moi. Ses yeux verts sont ternes, des cicatrices récentes ornent son visage, mais c’est surtout la fatigue et les larmes qui marquent son visage. Je continue désespérément, la main de plus en plus serrée sur la barre de fer.

 

—   Il doit bien te rester quelque chose à faire ! Tu ne peux pas me laisser en plan comme ça ! Pas maintenant. S’il te plaît.

 

Les larmes coulent abondamment sur mes joues. Pour toutes ces fois où je me suis autorisée à espérer, pour toutes ces fois où j’ai trouvé la force de sourire pour de vrai, pour toutes ces fois où ensemble nous avons marché une rue en plus, pour toutes ces fois…

 

—   C’était mon frère. Tu as tué mon frère.

 

Lentement, je me relève en m’appuyant sur ma canne en métal. C’est ça les humains qu’on est censé trouver ? Une espèce en sursis ? Sa bouche répète les mêmes mots cruels.

 

—   Qu’est-ce que t’en sais ?

 

Alors que je m’éloigne, la voix grave de l’homme continu son monologue.

 

—   Son mari est mort, il y a longtemps. C’était la seule chose qui le maintenait en vie, sa raison de vivre. Dire que je n’ai jamais trop pris au sérieux cette expression. Mais maintenant, je crois que je comprends.

 

De la manche, j’essuie les larmes qui coulent sur mes joues.

 

Tu sais, Denis était la seule famille qui me restait. Je n’ai plus personne.

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