Vertikal[4][3] { Mute departure }

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<S4R> Il y a eu une première détonation, puis Retori s’est soudainement jetée sur moi. Je n’ai pas compris. Jusqu’à ce que la première balle atterrisse à quelques pas. À l’endroit de l’impact, un morceau de béton a été arraché avec un bruit sec. La seconde suit presque aussitôt et passe au-dessus de ma tête avec un cri sifflant. La troisième ne ratera pas. Alors Retori se jette entre elle et moi.

Dans son dos, je vois la créature sortir des ombres. Légèrement plus petite que la première, elle a les mêmes deux grands yeux globuleux, le même museau effilé. Le chargeur de son arme heurte le sol avec un bruit métallique. Il est aussitôt remplacé par un autre que le monstre cale brutalement dans son emplacement. Tout en avançant vers nous à pas lent, il tire sur une tige en métal sur le côté du canon et la relâche avec un claquement sec. Le fusil d’assaut vient se plaquer contre son épaule. Le monstre penche la tête vers son arme. Son œil gris vient s’aligner avec la mire et le viseur. Son doigt se pose sur la gâchette. Il n’hésite pas une seconde. Le canon vomit un flot d’acier.

Les mots jaillissent de ma bouche, jetés en avant par la colère. L’éther se déverse tel en torrent déchaîné, il chevauche mes paroles, se laisse taillader par leurs consonances agressives. La vague éthérique s’amplifie et se densifie jusqu’à faire crier l’air sur son passage. Quand elle rencontre le premier projectile en acier, celui-ci résiste pendant un court instant, perd de sa vitesse puis est violemment dévié hors de sa course, les autres ne tiennent pas plus longtemps et sont expulsés avec un jaillissement d’étincelles.

La lame éthérique poursuit son chemin à toute vitesse, tord et détruit ce qu’elle touche. La créature prend la vague de plein fouet, il reste suspendu dans les airs pendant quelques instants, puis il est projeté à travers la pièce. Il ne crie pas quand ses os se brisent à l’impact, ni quand son corps traverse le mur en briques.


<R3T> Elle a craché une masse d’éther à s’en faire cramer les veines. Quasiment palpable, une immense onde de sable et d’éther mêlé s’est jetée en avant, détruisant tout sur son passage, emportant la créature avec elle comme un vulgaire fétu de paille. Le mur d’en face n’a pas tenu, il s’est effondré dans un vacarme épouvantable, crachant des débris et des flots de sables noirs. Quand la poussière se dissipe enfin, et que je parviens à ouvrir les yeux, Sara n’a pas bougé. Elle a les épaules voûtées par la fatigue, elle aspire bruyamment tout l’air qu’elle peut, la manche de sa chemise devant la bouche pour filtrer les particules de sables. En face d’elle il n’y a plus signe d’être vivant, juste un amas de roche et de brique. Je vois un léger sourire sur son visage, elle a gagné.

Soudainement, elle a un mouvement de recul. Dans son dos, une tache rouge apparaît et s’agrandit. Elle trébuche en se retournant, elle se demande pourquoi elle n’arrive pas à marcher correctement. Elle tombe à genou, portant la main à l’endroit de sa blessure, ses yeux passent successivement sur moi puis sur sa main ensanglantée. Des larmes s’écoulent sur son visage, mais elle ne fait pas un bruit, pas un gémissement. Son corps tombe dans mes bras. À genou dans le sable, le sang de Sara coule sur mes jambes, chaud, presque brûlant.


— Pourquoi ça s’arrête pas ? Pourquoi ça ne s’arrête pas ?


<S4R> Une voix me parvient, lointaine et un peu floue... Retori ? Je sens une pression contre mon ventre. C’est désagréable. J’aimerais m’en débarrasser, mais mon propre bras refuse de réagir, il reste immobile à mes côtés.


— Attends. Des seringues. Tu disais qu’il t’en restait. Laisse-moi voir ?


Moment de flottement. Puis quelqu’un ouvre sans délicatesse la sacoche accrochée à ma taille et répand son contenu par terre. Pendant un instant, je songe à protester : ça ne se fait pas de fouiller les affaires des autres sans leurs permissions. Mais ma langue semble être faite de plomb, et mes lèvres scellées par la fatigue.


— Une seule. Faut tenter. À trois. T’es prête ?


Je n’entends pas la suite. Peu m’importe, je veux juste me reposer, c’est tout. La pluie tombe sur mon visage, quelques gouttes, tièdes. Les bruits s’estompent peu à peu, le reste de mes sensations aussi.


— Trois !


Il y a d’abord un bruit mat, puis une douleur vive au niveau de la poitrine, et soudainement l’éther concentré contenu dans la seringue se répand d’un seul coup dans tout mon corps. Une décharge électrique me traverse de part en part, et fait bondir mon cœur. Je me redresse d’un seul coup, aspirant et recrachant l’air de mes poumons. L’éther liquide qui court dans mes veines pousse chacun de mes organes à reprendre un rythme normal, mes chairs à cicatriser. Mes nerfs se reconnectent, les sensations de l’extérieur me reviennent, la douleur avec. J’ai l’impression que chacun de mes muscles a été essoré sans pitié, chaque centimètre carré de ma peau piétiné brutalement. Tout autour de moi, le monde est brillant et plein de détails, trop pour mes yeux fatigués, je n’arrive pas à donner un sens à toutes ces formes. Le sol bascule sous moi, mes mains brassent l’air à la recherche d’un point fixe, quelque chose de solide auquel m’accrocher.


— Je te tiens.


La main de Retori surgit de l’amas de sensation pour enserrer la mienne, alors je m’y agrippe de toute la force qui me reste. Cela me fait du bien, un point sur lequel me concentrer et fixer mes sens. Sa paume est chaude, humide également. Un liquide rouge, probablement mon sang, coule lentement sur son bras. Elle a encore la respiration saccadée, légèrement sifflante. Du sang séché décore le coin de ses lèvres, un bleu, virant déjà au multicolore lui couvre une bonne partie de la joue. Une trace de poussière s’étale en travers de son visage, elle a dû essuyer la sueur qui lui coulait dans les yeux. Allongée sur le sable, je suis moi aussi couverte d’un mélange de sang et de poussière. D’une main tremblante, Retori dégage une mèche qui me colle au front.


— Ça va aller.


À la fois question et affirmation que Retori murmure pour elle-même. Elle se laisse ensuite tomber en arrière en poussant un long soupir. Malgré mes lèvres encore sèches, je parviens à murmurer un faible merci. Retori ne répond rien, mais sa main se serre un peu plus fort sur la mienne.

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