Vertikal[2][1] { Mute Departure }

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<S4R> Une fille est à genoux près du feu, un foulard posé sur ses longs cheveux noirs, elle fredonne doucement une paisible mélodie. Le regard plongé dans les flammes, une faible lueur orangée danse sur son visage. La blancheur de ses cicatrices contraste avec sa peau mate. De temps en temps, je la vois lever la main pour la passer sur l’une ou l’autre de ses marques. Le plus souvent, elle effleure la plus grande, celle en forme d’étoile au-dessus de son œil gauche, celui aveugle. Dans ces moments-là, son visage s’assombrit, son regard violet se fait absent, comme si elle était plongée dans un souvenir triste. La mélancolie remplace son air paisible qu’elle porte d’habitude. Pourtant, elle n’en parle jamais, pour ne pas nous inquiéter sûrement, elle prend tout sur elle, ne se plaint pas. Retori m’a dit que de toute manière, cela ne me regardait pas, que chacun a ses propres cicatrices et que si je continuais à la harceler comme ça, elle serait ravie de m’en faire une ou deux.

 

—   Est-ce que ça te fait mal, tes cicatrices ?

 

Ma voix est sèche et cassée. En l’entendant, Nihiline sursaute un peu. Aussitôt, elle rabat une mèche de ses cheveux sur la partie gauche de son visage avant de s’approcher de moi. Elle secoue doucement la tête, elle s’est accroché un sourire sur le visage. Retirant le chiffon humide de mon front, elle me demande d’un ton enjoué.

 

—   Comment te sens-tu ?

 

Je me laisse retomber sur la couverture. Comment je me sens ? Mal. Idiote aussi. J’aurais pu toutes nous tuer.

 

—   Mieux, je pense.

 

Ma réponse à l’air de la satisfaire. Tant mieux, je ne me sens pas la force de me lancer dans un compte rendu détaillé de mon état de santé. À la place, elle se lance dans une représentation de qui s’est passé dans le métro, accompagné de grands gestes et d’improbables onomatopées.

 

—    C’était super cool ce que t’as fait dans le tunnel. Le resouffle arrive pour nous tuer et là, schlaaa, tu balances une grosse explosion d’éther et kaboum plus de resouffle ! Même Retori était impressionnée, tu imagines ?

—   Imaginer Retori impressionnée ? Difficilement.

—   Je suis trop, trop contente de vous avoir suivi. Même si je vais me faire gronder par Sunny en rentrant, mais c’est pas grave. Enfin, pas trop.

—   Sunny ? Tu veux dire Sun-ya ?

—   Oui, elle est trop inquiète de toute manière. Je suis grande et je peux me débrouiller toute seule. L’autre jour, elle était pas contente parce que j’avais trouvé un joli ruban rouge, et que je ne dois pas m’éloigner. Mais c’est pas ma faute. Et même que si on fait attention on peut...

 

Rapidement, je perds le fil de son histoire. Elle navigue à toute vitesse d’idée en idée sans lien apparent entre elles. J’abandonne la poursuite et me contente d’écouter le son de sa voix. La clochette qui décore le fin morceau d’étoffe rouge attaché à une de ses tresses tinte joyeusement sur ses mots. Le bruissement de ses paroles s’écoule comme un ruisseau sur les murs délavés de la pièce. Jamais monotone, elle monte et descend dans les tons, sa voix se cassent parfois sur certaines syllabes, sautent bien trop haut sur d’autres. Le tout épicé par un accent que je n’arrive pas à identifier et qui lui fait transformer certains de ses « r » en « l ». C’est agréable. Après un moment, elle s’arrête et retourne près du feu. Quelques instants plus tard, elle revient me glisser une tasse dans les mains. Le liquide chaud dégage une délicieuse odeur fruitée.

 

—   C’est du thé ? Je ne savais pas que tu en avais amené.

—   C’est Sunny qui m’en a donné avant de partir.

—   Elle a l’air de beaucoup tenir à toi.

—   Oui, elle m’a sauvée.

 

Sa voix se fond dans un doux murmure. Je la revois dans les décombres, blessée et seule. Je la revois prendre d’une main timide celle tendue de Sun-ya.

 

—   Elle nous a tous sauvés.

—   Sauf Retori.

 

J’éclate de rire. C’est bien vrai, on ne peut pas sauver Retori, elle ne le permettrait pas. Mais pour nous autres, Sun-ya est notre sauveuse. Si Retori était la première à bouger après notre réveil, c’est Sun-ya qui s’est assurée que personne n’était laissé derrière. Elle nous avait amenées dans une salle de classe aux vitres brisées. Les chaises et bureaux étaient empilés dans un coin et une épaisse couche de poussière couvrait le sol. Elle nous avait fait asseoir en demi-cercle en face de ce qui restait d’un grand tableau. On était toutes épuisées, mais elle ne s’était pas arrêtée. Ses longs cheveux lisses flottaient derrière elle, alors qu’elle distribuait à chacune un petit mot, un encouragement, un peu de chaleur. Puis elle avait pris un bout de craie et avait tracé une phrase sur la surface noire de l’ardoise.

 

—   Qui sommes-nous ?

 

Nos deux voix ont récité à l’unisson ces quelques mots magiques. Nous rions toutes les deux, cela nous fait du bien. Après cela, Nihiline recommence son discours sur le tout et le rien. Je repose ma tête sur mon oreiller de fortune, ferme les yeux, et me laisse bercer par la mélodie de ses paroles. Je me souviens encore de notre choeur qui chantaient ensemble :

 

—   Nous sommes humaines. Nous sommes petites. Nous sommes grandes. Nous avons des cheveux bruns. Nous avons des cheveux verts. Nous avons des yeux noirs. Nous avons des yeux marron. Nous sommes tristes. Nous sommes curieuses. Nous avons les unes les autres. Nous sommes.

 

Puis, la voix de Sun-ya conclure : « Vous voyez, même si on ne se rappelle de rien, nous savons plein de chose. »

 

<N1L> Elle s’est endormie. La douleur semble avoir quitté son visage. Sa couverture monte et descend au rythme régulier de sa respiration. J’oublie pendant un moment que des ruines nous entourent, que les livres qui brûlent dans le feu remplissaient les étagères tout autour de nous. Mais le malaise revient rapidement. On ne devrait pas être là, probablement pas. Tout à l’heure, j’ai remarqué un homme, dans la première d’un magazine, il était allongé sur une chaise longue, un verre rempli d’un liquide coloré à la main, il souriait de toute sa dentition complète vers le lecteur. Au-dessus de sa tête, un ciel bleu, égaillé de quelques nuages blancs. Et puis il y avait aussi un grand soleil. Ce magazine a été le premier à rejoindre les flammes, suivi par beaucoup d’autres du même genre. Partout, des gens souriants et beaux, un temps magnifique, des couleurs vives. Des familles... Machinalement, j’effleure la longue cicatrice horizontale qui me barre l’arête du nez. La douleur ne disparaît jamais complètement, mais parfois, j’arrive à ne plus y penser, et la brûlure s’apaise durant quelques minutes. Mais depuis que l’on est ici, elle n’a jamais cessé de m’élancer.

 

—   Peut-être parce que tu le mérites, me dit une petite voix, tu n’aurais pas des raisons de t’en vouloir par hasard ?

 

Le feu me paraît soudain trop chaud. Trop lumineux. Trop confortable. Et avant que je m’en rende compte, mes pas m’ont amené dans les ombres.

 

—   C’est pas vrai.

 

Les mots sortent timidement de ma bouche, à peine un murmure. La petite voix ne répond pas.

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