Vertikal[1][3] { The sweep }

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<N1L> Déployer les ancres, se mettre face au vent. Non, dos au vent, c’est mieux. Le genou droit est coincé. C’est le sable qui bloque les rouages ? Ou bien c’est un impact qui a endommagé le mécanisme ? Il y en a eu tellement. L’éther me brûle, je le sens s’agiter à l’intérieur de l’armure, parcourir les nerfs de commandes et se transmettre aux membres d’aciers. Garder le contrôle est épuisant, je ne sais pas si je vais tenir encore longtemps. Ma tête commence à m’élancer. Je veux sortir d’ici, éteindre les flammes, trouver un coin où me glisser, m’allonger par terre et fermer les yeux. Laisser passer.

 

—   Nihl ! Ça ira sœurette, je te tiens.

 

La voix me fait sursauter. Sa main est fraîche sur mon armure, malgré l’acier qui nous sépare, je la sens intensément avec moi, ça me fait du bien. Elle n’en dit pas plus, ça me suffit. Si je n’étais pas un géant de fer, je lui aurais sauté au cou et serrée très fort dans mes bras. Mais là, ce n’est pas le moment. Souffle, reste calme, je peux le faire. Une chose à la fois, un pas après l’autre. Je prends une grande respiration, et je replonge. L’éther sort de mon corps, passe par les nerfs de la machine et se répand à travers ses membres. Je raffermis ma prise sur l’acier, je lâche un peu plus mon enveloppe réelle et je me connecte. Le sol est instable sous mes pieds, trop de sable, dans mes mains je ressens le poids de leurs deux corps, leur chaleur. Sara tremble encore, épuisée, je la sens serrer mon pouce de toutes ses forces. Retori, elle, s’est levée et fait face avec moi, de toute sa courte hauteur, elle toise la noirceur du tunnel, elle méprise la tempête qui va arriver, elle me fait confiance.

 

Je me mets en position.

 

<S4R> Inconsciente. Elle est inconsciente. C’est du suicide ! Un resouffle ce n’est pas pareil qu’un défèr-lent ! À cause du chaos des bourrasques qui le forment, les vents se contredisent et le font reculer et avancer en même temps, alors il se déplace peu, lentement. Il détruit à l’aveugle, s’impose dans l’espace, y assoit toute sa masse venteuse. Il frappe à tout va jusqu’à son dernier souffle, puis il s’éventre.

 

De cette ouverture s’échappe tout ce qui le contient, tout d’un coup, les bourrasques soufflent dans le même sens, les débris qui l’habitent sont pressés en poussières, le chaos s’ordonne, se densifie à l’extrême, puis explose. La tempête devient alors rectiligne, une multitude de lames de vent composées d’un mélange de souffles et de pierres concassées extrêmement dense. Et elles veulent arrêter ça. Avec quoi ? La seule force de leur volonté ? Retori est bien incapable de créer la moindre construction éthérique, et même si elle pouvait, il lui faudrait un temps fou pour amasser et en arranger suffisamment pour faire une défense efficace. Je pourrais peut-être le faire. Peut-être ?

 

Je serre les dents, je pousse la douleur de côté. Il nous faut plus que des peut-être. Alors je plonge entièrement dans le fleuve d’éther. J’ouvre en grand mes sens, je laisse les flots déferler à l’intérieur de mes veines, chaque remous m’envoie une décharge, manque de peu de m’arracher à ma conscience. Mon corps est brûlant, je ressens chaque parcelle de peau, le sang qui coule le long de mon front, les battements de mon cœur. À travers mes yeux, le monde s’est teinté de rouge, ses formes se sont détournées. Des fils d’éther se sont allumés et voltigent tout autour de moi, chaotiques et vifs. Ils rentrent en moi, rejoignent mon circuit d’éther, puis s’en détachent aussi brusquement. Une voix me parvient, dans le lointain, quelqu’un doit être en train de me parler. Je devine plus que je n’entends, tant les mots sont altérés, comme noyés dans un liquide. « Reviens ! ... Dilution... ! » Je crois aussi distinguer mon nom, mais elle décroche rapidement, ce n’est pas comme si c’était important, l’éther qui parcourt le corps de la fille est si agréablement douloureux. Elle se laisse aller, à flotter, sans esprit, elle…

 

—   Ça va ! Je contrôle. J’ai perdu pied un moment, c’est tout.

 

Retori m’a rejoint dans la main du géant sans que je m’en rende compte. Je sens ses mains trembler sur mes épaules, ses yeux écarquillés sont fixés sur les miens, le coin de ses lèvres frémit légèrement. C’est la première fois que je la vois dans cet état, elle a l’air d’avoir peur. Terrifiée même. Cette réaction me prend de court. Mais je n’ai pas le temps d’y réfléchir que la colère envahit déjà son visage. Je préfère l’interrompre avant qu’elle ne commence.

 

—   C’est bon, je vais bien. Donne-moi juste cinq minutes, ou même trois.

—   Si tu crois que je vais te laisser…

—   S’il te plaît.

—   Tu… ! Ksa ! Fais comme tu veux !

 

Elle l’a plutôt bien pris. Je hoche la tête. L’éther est encore en moi, torrent vif et bouillant, mais cette fois, je prends garde à ne pas me laisser emporter, je m’accroche de toute ma conscience.

 

Il y a un sifflement, désagréable, encore lointain.

 

Naviguer sur le courant, garder le contrôle. Je n’ai pas tenu en réplique frontale contre le défèr-lent, il va falloir jouer autrement. Je puise dans ma mémoire les bons mots, ceux qui cajolent, ceux qui guident, pas de confrontation, jouer à la séduction. L’éther martèle mes veines, il piétine, cherche à se déchaîner. Je tiens. De l’autre côté du tunnel, le sifflement s’est transformé en un cri sortant d’un millier de gorges qui vomissent leurs stridences dans l’espace. Le resouffle arrive. Ses vociférations se jettent brutalement à notre poursuite, vite. Trop vite. Beaucoup trop vite. Je ne vais pas avoir le temps de compléter ma rhétherorique, toutes les tournures que j’ai préparées s’emmêlent dans ma gorge, je n’arrive plus à les ordonner. Ne pas paniquer, ne pas paniquer. Le bruit a envahi mon esprit, il s’infiltre dans chacune de mes idées et déchire le fil de mes pensées. Je tombe à genoux, jetée à terre sous la violence de l’assaut. Malgré cela, l’once de conscience qui me reste est suffisamment éveillée pour me rappeler que je dois me séparer de l’éther, le laisser partir avant qu’il ne me consume. La méthode me revient, mécaniquement, je calme ma respiration, prépare une sortie, fait couler. Et laisser tomber ? Lui donner raison ? Pas pour cette fois.

 

Alors je jette tout. Aucun plan, aucune finesse. Je réagis simplement. J’expulse d’un seul coup toute ma rage, je l’enfle de tout mon éther. Pas de tournures compliquées ni de syntaxe élégante, juste la brutalité d’un cri.

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