Chapitre unique

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Il est 10 heures. Le soleil brille très haut dans ce petit village côtier. On entend au loin le grondement sourd et paisible des vagues, l’air est doux malgré cette accablante chaleur. Les rues pavées sont martelées par une multitude de pas, il y en a de bruyants, de joyeux, de pressés, d’égarés… Et il y a Marie… Elle se rend à la pharmacie pour acheter des calmants. Depuis quelques jours son arthrose l’empêche de passer des nuits paisibles. La voilà donc cheminant dans cette jolie rue marchande du village tout en pestant contre ses genoux raidis par le poids des années.

Soudain, une voix puissante et éraillée jaillit d’un des bâtiments longeant la route de la vieille dame.

Ohé poulette ! Ou vas-tu clopinant comme ça ?

C’est celle d’Ilona, la patronne du « Goéland gris » un charmant bistrot tout aussi pittoresque que sa propriétaire. Car il faut le dire, Ilona est un bien truculent personnage. Massive avec une chevelure flamboyante et un goût prononcé pour les couleurs criardes, dont elle use pour tout : ses vêtements, son maquillage et même son établissement. Tout le village la connait pour avoir la langue bien pendue et le cœur aussi grand que l’océan.

Sans même laisser à Marie le temps de répondre elle enchaine :

— ça te dit une petite goutte ? Entre donc te reposer un peu et placoter avec ta vieille amie.

Marie ne se fait pas prier et prend place. Il y a longtemps qu'elles n'ont pas bavardé toutes les deux. C'est avec plaisir qu'elle se hisse sur une chaise et s'accoude sur le robuste comptoir en bois vernis, patiné par tant d'années de coudes frottés, de bières renversées et de chiffons passés.

Aussitôt assise elle s'exclame:

— Cette chaleur! On pourrait cuire une soupe à même le trottoir. Qu'est ce qu'il fait bon dans ton cafeton ma chouette!

— A qui l'dis-tu? Pas plus tard qu'hier, voici qu'une bande de galopins déboule ici, haletant, suant, et bien crois-moi ma vieille, j'te dis qu'ils auraient vendu jusqu'à leur peau pour un peu de fraicheur et une goutte d’eau! Dis donc ma biche, c'que tu es grise, on dirait une pierre d'église. Tu s'rais pas encore malade toi?

Marie, en prenant le verre de limonade fraiche que lui tend son amie, assoiffée mais volubile répond:

— La fatigue ma chère... La fatigue. C'est cette saleté d'arthrose. Je ne dors pas une heure que voilà les douleurs revenues. Une vraie plaie j'te dis! J'allais même me chercher des calmants quand tu m'as hélée.

— Tu m'en vois bien désolée biquette.

— Ce ne pas bien grave -dit Marie en balayant les inquiétudes enfouies de la tenancière d'un geste de la main- Et toi alors? Comment se portent tes vieux os?

— Couçi couça hein... Tu connais la chanson. Tant qu'il y a des sous, tant qu'il y a d'la joie, pour Ilona tout va!

Elles mettent à rire de bon cœur à l'unisson. Et de fil en aiguille, la conversation glisse sur la famille. — Hé Marie! Il y longtemps que j'l'ai vu dans les parages ton fils.

— Paul? "Je vais en ville apprendre l'informatique" qu'il m'a dit le gars. Il dit qu'il veut moderniser un peu son ébénisterie. Et le voilà parti depuis un mois le bougre. Mais il faut le reconnaitre il n'a pas oublié ses manières. Il appelle sa femme tous les soirs et ne manque jamais de me passer le bonsoir. Dis et tes filles?

— Oh elles se portent comme des charmes les marmousettes. Même qu'ma cadette Maya s'est fiancée récemment.

— Cré bistouquette! La petite Maya qui galopait entre les tables le visage barbouillé de craie... Fiancée?! Cré de cré bistouquette... Le temps il fait la course à Usain Bolt ou quoi?!

— Ah ça tu l'as dit ma chère. Et tiens-toi bien. Son fiancé, un gars pas d'ici, basané comme le fauteuil en cuir de l'abbé Eugène,...

— Celui qui traine dans son bureau depuis la préhistoire là? interrompt Marie

— Exactement c'lui-là! Quand j'l'ai zieuté la fois ou elle me l'a présenté je m'suis dit "d'où est-ce qu'elle me le sort c'lui-là" Mais quand il s'est mis à causer j'ai vite compris. Un accent à couper au couteau j'te dis, mais qu'est-ce qu'il a du bagou l'jeunot! Il pourrait te vendre tes propres poils de nez! On croirait qu'il a des ancêtres griots. Et connaissant ma bambine, il n'en a pas fallu beaucoup pour se la mettre dans la poche. Il a dû lui susurrer deux trois petits poèmes et la v’là emballée.

— Ah ça.. Comme quoi la jactance ça a parfois du bon.

— Ah les enfants j'te dis pas...

Tout à coup, Ilona sursaute:

— Oh la la c'est qu'il est l'heure de mon feuilleton! Où est donc c'tte télécommande

— Déjà midi?? -s'exclame Marie- Il se fait tard. Je crois que je vais rentrer cocotte

— Oh ce n'est pas bien grave biquette. C'était un bien gentil brin de causette. A la revoyure donc! Dit-elle dans un sourire.

Et Marie de répliquer en sortant du bistrot:

— Merci bien pour le p'tit jus et la bonne compagnie!

Il est 12 heures. Le soleil brille toujours très haut dans ce petit village côtier. On entend au loin le grondement sourd et paisible des vagues, l’air est doux malgré cette accablante chaleur. Il n’y a quasiment plus de bruits de pas dans les rues pavées. Mais il y a Marie. Elle retourne chez elle sans avoir acheté ses calmants.

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