3.

8 minutes de lecture

 Cédric était nu. Les deux singes qui l'accompagnaient s'étaient simplement retournés. Voilà toute l'intimité dont il avait droit. L'eau de la douche était chaude. C'était bien la première fois qu'il avait l'occasion de se baigner sous une eau aussi agréable. Il plaqua ses cheveux bruns en arrière et y passa la mains jusqu'à effleurer sa nuque. Il se souvint de la sensation de picotement à son réveil. La démangeaison lui étant passée depuis un bon moment, il n'y avait plus pensé depuis. Son index caressa le creux de sa nuque qui semblait enflammée.

« Qu'est-ce que ça peut bien être ? »

L'irritation semblait former quelque chose sur sa peau, une lettre ? Un signe peut-être ? Il n'en savait rien, tout ce dont il put être sûr en cet instant, était que l'eau qui s'écoulait sur lui faisait du bien à son corps fébrile. Il n'en profita pas aussi longtemps qu'il l'aurait voulu. L'un des hommes le tira par le bras pour l'en faire sortir rapidement.

-Ça suffit comme ça.

Le second lui envoya une serviette, négligemment, en pleine figure.

-Essuie-toi.

Il s'exécuta à contrecoeur. Il aurait aimé se rebeller, jeter cette serviette à terre et refuser d'obéir. Malheureusement, nu, faible et sans pouvoir, il n'était pas en position de force face aux deux baraqués qui se dressaient devant lui, semblables à des murs. Une fois séché, il la posa sur le banc. Il récupéra ses nouveaux vêtements et les enfila sans broncher. Il ne portait, à présent, qu'un simple t-shirt gris à manches courtes. Son pantalon, assorti au haut, paraissait trop lâche pour tenir seul sur les hanches du garçon qui remercia, de sa voix intérieure, que le pantalon ait un élastique le permettant de rester en place. À ses pieds il portait de fins chaussons semblables au reste de l'ensemble déprimant sur son dos.

« Qu'est-ce que je porte ? Un pyjama ? Un uniforme de prisonnier ? Une tenue de sujet de laboratoire peut-être ? »

Bien que ces vêtements aient été en meilleur état que tous ceux que Cédric avait put portés au cours de sa vie, il les détestait. Une fois habillé, les deux colosses revinrent se positionner de chaque côtés du jeunot pour lui agripper les bras. Ils sortirent de la salle. C'était reparti pour un tour, les revoilà dans le long labyrinthe de couloirs blancs. La seule chose que Cédric appréciait de sa nouvelle garde-robes était le contraste de ce gris morne au reste de cet endroit immaculé. Il ne savait pas ce qui l'attendait, une boule au ventre se fit ressentir. Qu'allaient-ils bien finir par faire de lui ? Il ne préféra pas s'imaginer la suite des évènements. Quoi que ça pouvait être, cela n'augurait rien de bon. Les couloirs défilaient sous les yeux du garçon à nouveau traîné comme un mal propre. Cette fois, le trio emprunta une cage d'escaliers. Cédric eut l'impression qu'ils ne cessaient de monter les marches.

« Soit je me trouvais précédemment dans des sous-sols plus que bien enfouis sous ces locaux, soit ils me ramènent sur le toit d'un immense immeuble pour m'y jeter. »

Après avoir grimpé de longs escaliers, il était traîné dans de nouveaux couloirs. Ceux-là paraissaient plus agréables à ses yeux. Il y avait des couleurs, de classieuses peintures étaient accrochées aux murs recouverts de papier-peint. Il y avait même des fenêtres encadrés par de beaux rideaux qui semblaient, à eux seuls, coûter plus cher que toute la misérable bicoque dans laquelle il vivait avec ses frères. Ces couloirs là n'étaient pas éclairés par des lumières irritantes fixées au plafond, mais par les rayons du soleil de midi qui se frayaient un chemin à travers les vitres. Puis, ils s'arrêtèrent enfin devant une nouvelle porte, en bois cette fois-ci. Porte sur laquelle était placée une vitre opaque, floutant tout ce qui pouvait être vu au travers. Cédric fut placé face à elle. Il vit un petit écriteau sur lequel il pouvait lire « Bureau du Directeur Duval ». Des voix s'élevaient à l'intérieur de la pièce, mais Cédric ne pouvait clairement percevoir ce qu'il s'y disait. L'un des gros-bras frappa à la porte, ce qui fit taire instantanément ceux qui discutaient. Il ne fallu que quelques secondes pour que la porte s'ouvre sur un Directeur ravi.

-Cédric ! Je commençai à m'impatienter. Dit-il en se faisant de la place pour que le garçon puisse entrer.

Les deux brutes qui le tenaient, le poussèrent en même temps dans la salle. Cédric manqua de tomber. Il se rattrapa in extrémiste en plaquant ses mains au sol. Il se redressa, fusillant du regard ceux qui l'avaient éjecté.

« Quels connards ces deux là, j'aurais pu entrer tout seul... . »

Cédric détourna les yeux, sans prononcer le moindre mot et il balaya le lieu où il se trouvait l'oeil éclatant. La pièce n'était pas très grande, mais était tout de même somptueuse. « Splendide », voilà le premier mot qui était apparu dans les pensées du garçon émerveillé par la luxure de l'office. Le bois dominait la pièce. Pas le vieux bois défraîchi, déformé et craqué qui composait les fondations de son affreuse demeure à la cinquième Division, non, celui-ci était solide et verni, sans le moindre trou, la moindre crevasse qui pourrait permettre aux nuisibles de s'y faufiler. Ces murs contrastaient avec ceux en béton des couloirs qui menaient à la pièce. Les meubles, aussi beaux que soignés, convenaient parfaitement bien à l'ambiance chaleureuse d'un petit chalet. Le bureau en bois bien ordonné, était entouré par trois élégantes chaises et faisait face à un petit divan couleur bordeaux, assortit aux rideaux qui bordaient les deux fenêtres qui donnaient vue sur la forêt enneigée qui entourait le domaine. Elles laissaient par la même occasion la clareté du jour s'introduire. Des casiers métalliques brisaient le charme de la salle, ils encombraient un angle de mur et semblaient tous aussi remplis les uns que les autres.

« Sûrement des tonnes de dossiers sur d'autres comme moi. » Pensa-t-il en s'arrêtant un instant sur ceux-ci.

Assise sur le canapé, Cédric reconnut l'éblouissante mais désagréable Docteur Moreau. Elle se leva, une fois qu'il eut posé les yeux sur elle, et s'apprêta à se retirer. Elle passa entre le jeunot et son supérieur, lançant à Cédric un regard plein de malice, ayant prit soin de ne pas se faire repérer par le superviseur. Elle quitta la pièce en compagnie des deux armoires à glace, refermant délicatement la porte derrière eux en un discret cliquetis.

-Installe-toi je te prie. Fit l'homme en lui indiquant un siège de la main après qu'ils se soient retrouvés en tête à tête.

Cédric s'assit avec hésitation, ses jambes lui avaient supplié de le faire. Le responsable fit le tour de son bureau, pour faire face à son « invité ». Il prit un verre qui se trouvait déjà sur le meuble entre eux, et le remplit d'eau avant de le tendre au jeune brun. Le regard de ce dernier passait du verre au visage de celui qui le lui tendait. Perplexe il se tâter de le prendre, bien qu'il avait la gorge sèche et douloureuse.

-Ce n'est que de l'eau, reprit le Directeur en le voyant se méfier. Je n'y ai rien ajouté. Je t'avais déjà endormi pendant trois jours, si j'avais voulu te faire la moindre chose, j'en aurais profité avant, tu ne penses pas ?

« Trois jours ? » Cela faisait trois jours qu'il avait disparu sans donner la moindre nouvelle à ses frères, se disait Cédric. Cependant l'homme n'avait pas tord, si il avait voulu l'empoisonner ou lui faire quoi que ce soit d'autre, il l'aurait sûrement déjà fait. C'est en lui accordant, à contrecœur, un point, que Cédric prit le verre pour le boire d'une traite. Il sentait le liquide rafraîchissant s'écouler le long de sa gorge, soulageant ainsi ses maux. Il le posa dans un toc devant lui que Duval rempli à nouveau.

-Tout ce que tu ressens à présent est tout à fait normal. La soif, l'inconfort, la fatigue. Tu te sentiras vite mieux, mon garçon.

Cédric vida le contenu de son verre une seconde fois avant de le redéposer. Il ne savait que répondre, bien qu'il avait une centaine de questions qui lui raisonnaient dans la tête. Le Directeur avait marqué un instant de silence, pour permettre au plus jeune de prendre la parole, mais aucun mot ne sortit de sa bouche.

-Hm, tu as su te montrer plus loquace allongé à cette table. Tu n'as aucune question ?

D'habitude fier et grande gueule, Cédric s'enferma dans son mutisme, laissant s'installer un silence pesant entre eux. Il passa sa main sur sa nuque, qui recommençait à le ronger, affichant une expression dérangée sur son visage.

-Ton irritation aussi est normale, d'ici quelque temps tu ne sentiras plus rien, juste le temps que ta peau cicatrise au tatouage.

Cédric se figea, étonné par ce qu'il venait d'entendre. Il prit enfin la parole.

-Vous m'avez tatoué ? Tatoué quoi ? Avait-il demandé subitement.

-Tu as retrouvé la voix, fiston, fit le directeur ravi que sa langue se soit enfin déliée. Ton numéro. Ici, tous nos patients en portent un, tu es le numéro trente-et-un.

« Trente-et-un ? » Pensa Cédric. « Voilà pourquoi l'autre m'appelait comme ça. »

-Tu dois avoir quelques questions, non ?

-Comment je suis arrivé ici ? Mes frères, savent-ils où je suis ? Comment ont-ils réagit en apprenant ce que je suis ? Comment...

-Oh, tu es vraiment curieux, dis moi. L'avait-il coupé dans son élan.

Cédric fixa un instant l'homme avant de reprendre.

-« Curieux » ? Je me réveille attaché et pratiquement nu sur une table d'opération glacée sans savoir comment j'ai atterri ici ; vous appelez ça de la "curiosité", vous ? Rétorqua-t-il un brin d'insolence dans la voix.

L'homme sourit, laissant comprendre à Cédric qu'il n'avait pas tord.

« Deux / un pour moi. »

-Mon garçon, quelle est la dernière chose dont tu te souviennes ? Se montra curieux le proviseur.

Cédric répondit directement.

-Qu'est-ce que ça peut vous foutre ?

Son arrogance avait refait surface, sans doute avait-il fallu attendre que son corps et son esprit se portent un peu mieux.

-À moi, rien. Mais sans doute ces informations pourraient t'aider à répondre aux questions que tu te poses, avait-il répondu d'une voix calme.

« Aïe, ex æquo, deux points partout. » Pensa-il dégoûté.

Il ne répondit pas tout de suite, pris de doutes, il prit un temps de réflexion. La soirée du vingt-quatre décembre lui repassa en mémoire. Le mauvais temps, les difficultés qui l'avaient gagné au moment de rentrer chez lui après le travaille, les retrouvailles et le repas partagé avec ses deux jeunes frères et ensuite... ensuite plus rien. Cédric était incapable de se souvenir de quoi que ce soit d'autre. Il releva la tête, toujours songeur.

-C... c'était le réveillon. J'étais avec Alex et Julien à la maison. On profitait et puis... plus rien. Je me suis réveillé dans votre saleté de labo.

Personne ne parlait, le silence força Cédric à replonger une nouvelle fois au fond de ses pensées, comme s'il se doutait qu'il y avait autre chose.

-Du sang. Je me souviens du sang sur mes mains, partout sur le sol, sur...

Il se tut, horrifié par ce qu'il s'apprêtait à dire. Le directeur prit la parole.

-Sur quoi, Cédric ?

-Mes frères... avait-il dit en levant la tête vers celui à qui il s'adressait.

Soudainement, les mots du Docteur Moreau refirent surface dans son esprit. « Vous êtes à l'origine de la destruction de votre famille toute entière. » Il comprit subitement tout le sens de cette phrase qui, pour lui, signifiait une toute autre chose. Le Docteur, voulait-elle dire par là qu'il avait tué les deux garçons ? Les yeux de ce dernier devient rouges, sa gorge s'était nouée, son ventre s'était tordu, toutes les autres parties de son corps s'étaient crispées.

-Alex... Julien... ils sont... morts ? Demanda Cédric, incertain, le regard perdu.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire JooLau95 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0