La Lettre

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« À part les tremblements de Terre ? Tout va bien. »

Sky imagina son ami levant les yeux au ciel de l’autre côté de l’écran, avant que Sael n’ajoute : « Pour ma part, j’ai toujours mal au bras et personne n’arrive à comprendre pourquoi. J’avais aussi des petits soucis de peau, mais tout est rentré dans l’ordre. Comment se porte notre sylve ? »

Sky hésita avant de poser les mains sur le clavier. « Un peu caractériel. »

« Mouais. Rien de nouveau sous le soleil. »

Le jeune homme réprima un léger rire. « Il se montrerait moins ronchon s’il savait que tu es en vie. »

« C’est ça, donne-lui mon adresse et mon empreinte ADN tant que t’y es. Il travaille encore avec tu-sais-qui. »

De l’autre côté de la pièce, Wyndt reposait son téléphone après un appel interminable. Il fronçait les sourcils, l’air sombre.

« Toujours rien ? » demanda Sky en le voyant se diriger vers la cuisine.

Wyndt grommela et alla prendre une casserole dans le placard surplombant l’évier. Sky revint à sa conversation.

« Et la personne qui t’accueille ? Tu penses pouvoir lui faire confiance ? »

« Dans la mesure du possible. Merci pour les fichiers, au fait. Elle a trouvé mon projet publiable, du coup nous travaillons dessus. Il paraît qu’il y a des failles dans ma méthodologie, je ne te félicite pas ! »

« C’est ce qu’on nous a appris à faire en cours ! »

« Sky, au lieu de jouer à l’ordinateur, tu ne voudrais pas me donner un coup de main ? » lança Wyndt depuis la cuisine où il coupait des légumes.

« Je dois y aller », prévint le jeune homme avant de se déconnecter et d’effacer l’historique de navigation. Ils avaient pris soin de se contacter sur un réseau social distinct de ceux qu’ils utilisaient lorsque Sael vivait avec lui à l’Institut, mais toutes les précautions étaient bonnes à prendre.

Il se dirigea vers l’évier pour nettoyer les pommes de terre entassées à côté, évitant de faire du bruit pour ne pas déranger Wyndt, qui fulminait toujours dans son coin.

Après avoir bataillé un temps avec son récipient, un couvercle et deux cuillères à soupe dont il n’avait probablement pas besoin, Wyndt laissa tout en plan, s’immobilisa, poussa un soupir.

« C’est à croire que Sael s’est volatilisé. On a une piste claire jusqu’aux abords du ferry en ensuite pfffuit, plus rien, comme s’iel avait disparu dans l’eau du port. »

« Ça, ça m’étonnerait » répondit Sky en relevant gracieusement une mèche de cheveux pour la glisser derrière l’oreille.

« Comment peux-tu rester aussi calme ? » répliqua Wyndt un peu sèchement en rangeant les cuillères dans la casserole —il se rendit compte de son ineptie et ouvrit brusquement le tiroir à couvert.

« Notre planète tient encore d’un bout, n’est-ce pas ? Alors Sael est toujours vivant. »

« Ne me dis pas que tu crois à ces imbécilités ! »

Wyndt se frotta le front d’une main, se retourna pour s’appuyer au meuble. « Si Volovelle se préoccupait vraiment de Sael, iel n’aurait pas eu autant de problèmes. »

« Je ne pense pas qu’une créature comme Volovelle saisisse vraiment la portée de nos ennuis quotidiens. »

Distraitement, Sky attrapait un couteau —Wyndt interposa sa main, sans le toucher, juste au-dessus de son poignet. « Je m’en occupe. Tu peux peler les légumes. »

Les yeux à demi perdus dans le vague, il fallut un temps à Sky pour intégrer sa phrase ; il finit cependant par reposer la lame pour s’armer d’un économe.

Wyndt replaça le cadenas qu’il utilisait désormais pour sécuriser le tiroir. Puis il fronça les sourcils en saisissant un fruit orange vif près des légumes de l’évier. « Sky, ceci est un kaki. Que veux-tu faire d’un fruit dans une tourte ? »

Sky inclina la tête pensivement. « Je n’en avais jamais vu avant. Pourquoi est-ce qu’un kaki serait orange ? »

« Le fruit et la couleur n’ont pas la même origine », répliqua Wyndt en posant le fruit sur le comptoir et détournant le regard. 

« Est-ce qu’on peut prendre une figue caque ? »

Wyndt, occupé à choisir des oignons, se retourna distraitement. « Ce n’est pas la saison des figues. »

Sael tenait à la main une sorte de cœur orange, surmonté d’un toupet de feuilles courtes et vertes.  

« Comment tu as appelé ça ? » 

« Une figue caque. J’ai vu ça sur le Réseau, c’est le nom qu’on lui donne ici, non ? »

Wyndt esquissa un sourire et passa affectueusement les doigts dans les cheveux teints de noirs. « Il me semble qu’on parle de 'kaki'. Je n’en ai jamais mangé ; tu connais ? »

Sael regarda le fruit qu’iel tenait entre deux mains, délicatement, effleurant sa peau épaisse mais transparente comme une coquille fine du bout des doigts. « On m’en donnait au goûter. Des fois ils étaient séchés et des fois frais, mais glacés, et c’était très bon. Ça faisait un peu mal aux dents quand on mord dedans. »

« Je vais t’en prendre. »

Wyndt poussa un soupir et vint s’appuyer d’une main sur le plan de travail près de Sky. « Désolé d’être d’aussi mauvais poil. Je ne dors pas très bien ce moment. »

« C’est pas grave », répondit Sky en secouant la passoire pour mieux égoutter ses légumes. Il réfléchit un instant avant d’ajouter : « Je comprends que tu vois la disparition de Sael comme un échec, mais… »

Il hésita. « C’est-ce dont iel rêvait depuis son arrivée à l’Institut. Chez sa famille d’accueil, avant, iel était encore assez jeune pour croire les mensonges qu’on lui disait, mais ensuite... Je pense qu’iel est mieux dehors, à faire ses propres choix. C’est quelqu’un de solide, tu sais. »

Wyndt se mordit la lèvre pour ne pas se montrer désobligeant. 

Sky était gentil, très. Aidant, assez affectueux compte tenu ses antécédents, et Wyndt s’en voulait d’éprouver de la rancœur à son égard, d’être là à la place de Sael, d’avoir été sauvé alors que son infernal garnement avait disparu quelque part entre la mer et le ciel. 

Alors que la tourte cuisait et que Sky bouquinait, Wyndt alla chercher son vélo pour se rendre jusqu’à la boîte aux lettres à l’entrée de Whitewaters.

Le soleil dardait ses rayons jaunes au travers des frondaisons d’automne, aveuglants éclats de lumière dans les feuilles en flammes. Sur la route, des toisons brunes et sèches s’amoncelaient, craquant sous les roues du vélo, dégageant une odeur de champignons humides, de foin et de terreau noir.

Wyndt relevait habituellement son courrier lorsqu’il passait en voiture, mais cela faisait plusieurs jours qu’il n’était pas sorti étant donné que Sky était en vacances. La boîte, de toute manière, ne contenait qu’une enveloppe anonyme de papier brun en provenance d’un petit pays oriental. Wyndt ne connaissant personne là-bas, il en déduisit qu’il s’agissait soit d’une erreur, soit d’un envoi déguisé de Marie, anormalement maladroit d’indiscrétion.

C’était une lettre imprimée sur papier simple sans signature ni date exposant que son expéditeur entendait faire prochainement porter en justice les intérêts des personnes dites « Blanches-Têtes ». Une connaissance commune lui avait recommandé de s’adresser à lui dans l’objectif d’obtenir son témoignage concernant les opérations d’enlèvement et de séquestration des Forces Spéciales effectuées dans ce cadre.

L’anonyme concluait en fixant un rendez-vous à Aberdinas, à quelques jours de là, lui demandant de venir s’il envisageait de lui apporter son soutien.

Wyndt retourna la feuille, ne trouva rien au verso ; c’était une qualité d’impression un peu baveuse donc assez basse qui contrastait avec la minutie avec laquelle son expéditeur avait justifié le texte au centre de la page, sautant chaque ligne avec dévotion, respectant consciencieusement tous les alinéas de coutume. La marge des paragraphes n’était pas parfaitement parallèle aux bords de la feuille —Wyndt supposa que cette lettre avait été soigneusement composée en aval par une personne l’ayant fait imprimer par un tiers ou sur une machine peu coûteuse —sans doute dans un Café Connecté, de manière à brouiller les pistes.

Sael aurait été assez malin pour agir de cette manière, mais iel n’aurait jamais utilisé ces tournures de phrases. Wyndt approcha la feuille de ses yeux pour vérifier que sa vue ne lui jouait pas de tours : la lettre était bien adressée à « Monsieur Wyndt Cynmor ».

Il n’aurait jamais imaginé que Sael ait pu oublier son nom de famille, raison pour laquelle il pensait que l’erreur n’avait rien d’accidentel.

Mise à part sa sœur, personne n’avait entendu son véritable patronyme depuis des années, et cela signifiait deux choses : d’abord, que Sael avait voulu prouver qu’iel était bien impliqué dans cette histoire sans risquer de révéler l’identité de Wyndt ; ensuite, que Wyndt irait à ce rendez-vous.

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