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Colonnes chryséléphantines. Piliers de marbre blanc. Carrelage clair aussi poli qu’un miroir. Hauts murs et plafond sertis d’or. Lustres de cristal finement ciselés. Meubles de marqueterie élégamment choisis. La salle de bal comptait parmi les plus vastes et les plus somptueuses du palais. En cette soirée qui commençait, elle était remplie de courtisans dont la mise recherchée n’avait rien à envier au luxueux décor. Chaque événement représentait pour ces aristocrates une occasion d’afficher publiquement leur richesse. Les étoffes précieuses se mêlaient, les joyaux rivalisaient d’éclat, les parures scintillaient, les parfums capiteux se concurrençaient. Au milieu de cette foule discutaient deux jeunes gens. Elle portait une robe à volants blancs partiellement couverte d’un drapé vert à motifs dorés. Ses pieds étaient chaussés de ballerines assorties, en accord avec ses bijoux délicats. Elle avait arrangé ses cheveux en un chignon un peu lâche dans lequel elle avait piqué une fleur. Son partenaire était vêtu d’un costume couleur de givre rappelant ses cheveux clairs. Quelques broderies au fil d’or parcouraient sa veste, il avait chaussé des bottes de cuir souple, et ses éternels gants blancs lui tenaient lieu d’accessoires. Pour une fois, il ne portait pas de couvre-chef.

« Je suis très honorée de faire votre connaissance. déclara la jeune fille.

- Moi de même. répondit-il poliment.

- J’étais curieuse de vous rencontrer, enchaîna-t-elle, mon père m’a parlé de vous.

- Et que vous a-t-il dit ? s’enquit le jeune homme.

- Que nos situations étaient analogues. Apparemment vous n’avez intégré la cour que récemment, et je ne m’y rends qu’épisodiquement. Il m’a aussi appris qu’en arrivant ici vous avez changé d’identité, mais qu’il existe tant de rumeurs à votre sujet qu’il est difficile de déterminer qui vous êtes. »

Le soldat ne laissa rien paraître de ce qu’il pensait. En réalité, il était plutôt agacé. D’un côté par ces rumeurs auxquelles il était impossible d’échapper, et d’un autre parce qu’au premier abord la personnalité de celle qu’il devait protéger ne lui plaisait pas particulièrement. Elle connaissait peu la vie mondaine mais en subissait déjà l’influence, et avait apparemment un penchant à énoncer ses opinions sans détour. Il espéra qu’il ne s’agissait que d’une première impression. À cela s’ajoutait le fait qu’elle ignorait le danger de sa situation et par conséquent le véritable rôle que jouait son interlocuteur. Non pas qu’il éprouvât des réticences à dissimuler la vérité, mais ce genre de mission s’avérait souvent délicat.

Elle parut remarquer son air indéchiffrable, et réaliser qu’elle s’était peut-être montrée un peu directe.

« Pardonnez-moi, s’excusa-t-elle, j’ai tendance à laisser mes propos dépasser ma pensée.

- Ce n’est pas grave, répondit-il, j’étais déjà au courant de ces bruits. Mais ils ne sont pas tout à fait erronés… »

Il laissa une touche de mystère planer sur ses mots. Elle était déstabilisée, et il le constatait avec une pointe de satisfaction.

« Voulez-vous danser ? » reprit-il.

La jeune fille acquiesça. Il lui donna le bras et la mena jusqu’à la piste de danse. De nombreux couples évoluaient sur l’espace au centre de la salle, dans le murmure des gestes et le froissement des jupes. Les danseurs se croisaient sans jamais se toucher, portés par une musique distinguée et légère. Ils attendirent la fin de la mélodie en regardant ce ballet sophistiqué. Quand les derniers accords eurent résonné ils prirent place sur la piste entre les autres groupes. Les premières notes s’élevèrent. Tempo lent, trois temps par mesure. Ils commencèrent à valser, accompagnés par l’orchestre à cordes. Tous deux étaient plutôt doués et s’accordaient dans leur façon de danser, au point que le jeune homme se surprit à profiter de ce moment d’harmonie. Quand la musique se termina, ils quittèrent la piste et se rendirent à un balcon pour prendre l’air. Elle s’accouda à la balustrade tandis qu’il demeurait en retrait.

« Vous dansez fort bien. le complimenta Lieva.

- Merci. Vous êtes également une partenaire agréable.

- Tous les officiers prennent-ils des cours au cas où ils assisteraient à un bal ? demanda-t-elle.

- Je l’ignore, sourit-il, j’ai intégré l’armée il y a peu de temps.

- Où avez-vous appris ?

- Chez moi, il y a longtemps.

- Vous êtes d’ascendance noble ?

- Oui.

- Et votre famille… »

Elle n’osa en demander plus. Il vint lui aussi s’appuyer à la rambarde et répondit :

« Mes parents ne sont plus de ce monde. »

Elle se tourna vers lui, surprise.

« Je suis désolée.

- Vous ne pouviez pas savoir. Et je ne considère pas la mort comme un absolu. »

Il regardait un point lointain dans la nuit, au-delà des arbres du parc.

« J’imagine que la vie n’a pas été simple pour vous non plus. reprit-il.

- Non, en effet. Je pense que comme nombre de gens ici vous savez que ma mère est décédée il y a un an et demi… »

Elle s’arrêta.

« Si je commence à en parler, essaya-t-elle de plaisanter, je risque de vous embêter un moment avec mon histoire…

- Cela ne me dérange pas. » la rassura-t-il.

La jeune fille esquissa un sourire.

« Elle a été emportée par une maladie, continua-t-elle, cela a été si soudain. Certains ont dit que c’était dû au trépas de mon père cinq ans plus tôt, qu’elle ne s’en était jamais vraiment remise. Mais cette explication ne me satisfait pas. Ma mère a toujours été une femme forte, elle s’était très bien relevée après cette séparation, elle était active… »

Lieva laissa passer un temps.

Elle a laissé tomber son masque si vite. pensa Ayanami.

Elle poursuivit :

« J’ai été adoptée par ma tante, la sœur de mon père. Elle et son mari, Markus Oak, ont depuis lors toujours pris soin de moi. Je me sens presque comme dans ma vraie famille avec eux. J’ai réussi à me reconstruire après ces événements douloureux, mais il m’arrive encore de me sentir bien seule… Enfin, je m’efforce de ne pas dramatiser, sinon je ne m’en sortirais pas. »

Elle tenta un sourire. Il ressentait à présent un peu plus de sympathie pour elle, devinant qu’elle se confiait si facilement parce qu’elle ne parvenait pas à oublier sa peine. Elle était assez touchante. Il réalisa avec un petit serrement de cœur qu’elle lui rappelait une autre jeune fille, sans qu’il ne sache trop pourquoi. Eve, qui ne s’entendait pas avec son père, qui s’évadait et venait si souvent le trouver, et lui racontait ses soucis, qui l’embêtait aussi par moments, à vouloir le convaincre qu’il avait des choses à protéger, qui ne se gênait pas pour lui dire qu’il était orgueilleux, et qui, progressivement, traçait sa voie à sa façon. Il chassa ses pensées et proposa d’un air amical :

« Et si nous retournions profiter de la fête ? »

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