Art Immortel

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Regardant l'horizon marin, assis sur du sable fin, il tenait une brindille et tentait désespérément de laisser son célèbre nom dans le sable. Mais il avait beau écrire et écrire encore, les marées passaient, effaçant tout ; de son empreinte, il n'en restait jamais miette.

Artiste touche-à-tout, sculpteur reconnu, peintre avant-gardiste, chanteur national, musicien virtuose, poète enivrant, bref le Tempus Fugi d'aujourd'hui – mais qui se souvient même de ce vieux nom d'autrefois ? Traduits et trahis, ses textes qui jadis faisaient vibrer les foules, ouvraient les yeux des moins voyants et injectaient une pointe de doute jusque dans les esprits les plus érudits, ne sont maintenant que des brouillons pour les étudiants de langues anciennes. Ses plus beaux poèmes écorchés vifs par des incompétents débutants.

Humanité Ingrate !

À peine mort, philosophes et intellectuelles n'avaient pas hésité pas à se jeter sur ses écrits sans défense, qu'ils étirèrent et déformèrent outrageusement, leur faisant dire ce qu'ils voulaient entendre, les brandissant comme figure de proue. Ouvrant des débats passionnés à qui le torturerai le plus, à qui lui ferai dire la plus grande idiotie appuyée de citations recollées lettre par lettre – aujourd'hui encore, le concours se poursuit.

Tous ça pour en arriver à : mais qui était vraiment Tempus Fugit ? A-t-il vraiment existé ? N'était-il pas le porte nom de groupe de gens plus talentueux ? N'a-t-il pas était inventé de toute pièce par un auteur trop timide ? Ou bien par son rival, qui s'ennuyait ? Il s'en fallut de peu, qu'on ne profane son nom ou sa phonie... qu'on suppose intacte.

Humanité Ingrate !

Hors de question, que lui finisse ainsi ! Même mort, il ne le permettrait pas !

Alors quoi, les malédictions, l’obscurantisme, et le vaudou comme garant de ses œuvres ? Les Égyptiens et bien d'autres ont essayé ; aujourd'hui, leurs plus beaux trésors sont dans des musées, en miettes, incompris, leurs matricules justifient de leur incarcération à coup de : «Objet religieux». Pour les plus volumineux et triangulaires, on les étiquette « Tombeaux», «Cadran solaire géant», ou même de «Boussole». Ce splendide sphinx, qui l'a construit ? Pourquoi faire ? Qui l'a retaillé ? Lui a boxé le nez ?

Bonjour messieurs égyptiens, je n'ai pus m'empêcher de remarquer ce gros chat posé dans votre désert, pourriez-vous me dire d'où il vient, et que signifie ces petits dessins sur sa poitrine ? Non, vraiment pas ?...

Humanité Ingrate !

Non, lui voulait créer une œuvre immortelle. Qui chevaucherait les modes, porterait son nom et ses idées jusqu'au terminus de l'univers, et si d'aventure quelques divinités voulaient –par piété– le faire poursuivre en stop au-delà, il embarquerait volontiers.

Suspendant tous projets, il se concentra à la construction de sa pièce ultime. Il éplucha l'histoire, décortiqua les causes du mal, empila des compilations de ses constats et conclusions. Tout art, et styles y passèrent, des incompris aux incompréhensibles, des conformistes aux provocateurs, tous passèrent dans cet énorme mixeur.

Après avoir passé des années à hésiter et se lamenter sur les trésors que l'Histoire oubliait derrière elle, il se mit au travail.

***

Son œuvre achevée, il était aux portes de la gloire éternelle. La grande estrade était encerclée de gradins, garnis de riches gredins mangeurs et cracheurs d'interprétations 'inatteignables pour le commun des mortels', comme ils se plaisaient à justifier leurs dépenses, tout aussi inatteignables pour le commun des mortels.

Braqué de projecteurs, éclairé d'yeux dorés, l’œil du monde le regardait, regardait sa toute dernière œuvre, à deux pas de lui, qui patientait au chaud sous un linceul blanc fièrement dressé. De l'œuvre sous la toile et de son nom, se tissaient des commentaires, pronostiques et paris en tout genre.

L'heure était arrivé, l'Histoire battait du tambour. Un pas. Deux pas. Il caressa gentiment le mince tissu qui le séparait du succès. D'un coup, le suspense tomba, libérant sa pièce maîtresse :

Sous le monticule drapé de blanc: rien !

De vagues lettres passées d'usage, épitaphaient une tombe, griffée par les marées :

«Humanité Ingrate !»

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