Chapitre 19 - Achalmy

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An 500 après le Grand Désastre, 2e mois de l’été, Ma’an, Terres du Sud.

La sueur me coulait dans les yeux, sur la nuque et les épaules. La gauche, celle qui avait été meurtrie par une flèche lors de mon affrontement contre la troupe royale deux semaines plus tôt, me lançait particulièrement.

Avec un grognement, je rampai vers Wilwarin, qui s’était caché sous un amas de vieilles caisses en bois abandonnées. Grâce à sa silhouette frêle, il s’était glissé dessous sans difficulté, mais c’était tout bonnement impossible pour moi. J’étais trop grand, trop large d’épaules et, peut-être, un peu trop pataud. Alors je me contentai de me caler contre le mur près de lui, le souffle encore court de notre récente fuite.

— Tu arrives à les repérer avec tes animaux ? murmurai-je d’une voix basse et rauque.

— N-Non, bredouilla Wilwarin, les joues roses d’avoir couru. En fait, je… je n’arrive pas à entrer en contact avec les animaux des alentours.

— Comment ça ?

— Il me faut du temps pour établir un contact serein et confiant avec un être que je ne connais pas. (Il parut soudain las et embarrassé.) J’en suis incapable, la fuite m’a rendu nerveux. J’arrive à peine à détecter leur aura, alors communiquer avec eux… ? Impossible.

La colère me fit serrer les dents alors que la fatigue me rendait déjà tendu.

— Wilwarin, si on sort pas vivants de ce pétr…

— Je sais ! me coupa-t-il d’un ton angoissé. Achalmy, je ne me suis jamais battu ! Nous sommes un peuple pacifique, le combat ne fait pas partie de nos tradi…

— Vanä sait se battre, rétorquai-je sèchement sans attendre qu’il eût terminé sa phrase. Et plutôt bien, d’ailleurs.

— Tu crois que je ne le sais pas ?

Au ton de sa voix, sec et nerveux, je compris que je l’avais vexé. Mais, à ce moment-là, alors qu’une bande de voleurs assoiffés de vengeance était à nos trousses, je m’en fichais éperdument.

— Vanä est une exception, reprit l’Oriental en plissant les yeux. Elle est la seule Sage à savoir combattre. Nous autres, les plus anciens et moi, ne sommes pas aptes à…

— Tais-toi, sifflai-je alors que des raclements de chaussures nous parvenaient depuis la rue adjacente.

Comprenant ce qui se passait, Wilwarin recula sous les caisses comme un chat effrayé par l’aboiement d’un gros chien. Avec nervosité, j’agrippai mon sabre court, Kan, et adoptai une posture offensive. Je misais sur une attaque surprise pour décimer le gros de leurs forces. Le reste, je le ferais à l’improvisation et au culot. Improviser était un pan essentiel du style de combat que Zane m’avait enseigné. Pour le culot, c’était ma touche personnelle.

Et elle n’aurait sûrement pas plu à mon ancien maître.


Les voix se rapprochèrent. Nerveux, je m’efforçai de prendre un rythme de respiration profond et souple. Si ma vie avait été la seule en jeu, j’aurais été plus serein. Mais avec un fardeau incapable d’user de ses compétences d’Élémentaliste ?

Même Alice m’était plus utile au combat, souffla une voix cynique au coin de mon esprit.

Pour être honnête, non seulement elle était utile, mais, j’en étais certain, elle pouvait aussi être efficace. Seuls sa peur de blesser autrui et son manque de confiance en elle l’empêchaient de faire pleinement appel à sa puissance.

Mais Alice n’était pas là. Elle était partie depuis deux jours déjà de Ma’an alors que j’y étais encore coincé. Nous avions débarqué hier en fin d’après-midi. Une journée s’était écoulée depuis. Une journée harassante et dangereuse.

Les deux voleurs que j’avais combattus sur la Cocarde, le petit voilier que nous avions emprunté, n’avaient pas tardé à se libérer des forces sudistes. Dès lors, le Chasseur à qui j’avais ôté la main avait lancé ses hommes à nos trousses. Une demi-douzaine de gars fâchés et agressifs nous poursuivait depuis ce matin. J’ignorais si le Chasseur bandit était leur chef, ou une importante figure de leur groupe, mais il avait dû se montrer convaincant pour que ses compagnons se lançassent aussi rapidement à notre poursuite.

Wilwarin et moi avions passé la nuit dans la grange d’une auberge de bas-étage. Alors que le soleil se levait tout juste, nous avions entendu des bruits de pas et de lames. Cachés par le foin, les voleurs ne nous avaient pas débusqués tout de suite. En passant par une fenêtre de la grange, nous avions pu fuir sans se faire remarquer. J’ignorais comment les gars faisaient pour nous retrouver partout où nous allions, mais ils réussissaient. Peut-être avaient-ils parmi eux des Élémentalistes capables de nous tracer.


Avec lenteur, pour éviter de faire du bruit, je dégainai Eon, mon long katana de glace. La lame émit tout de même un discret chuintement, délicat et métallique. Un son que j’adorais.

Trois hommes apparurent devant moi. Sentant mon aura menaçante et mon regard perçant posé sur eux, ils tournèrent la tête. Le plus âgé devait avoir trente ans. Vêtus de vêtements simples, pour passer inaperçus, et souples, pour faciliter la course, ils se jetèrent nerveusement sur leurs armes. Mais j’avais été plus rapide.

La lame d’Eon entailla profondément le bras de l’homme le plus proche de moi dans un bruit de succion. Sans attendre, je basculai mes appuis et enfonçai Kan, dans un mouvement de botte foudroyante, dans la gorge d’un deuxième. Les yeux exorbités, il fixa sans comprendre le sang qui gicla à haute pression une fois le sabré délogé de son cou.

Mon cœur pulsait rapidement sous mes côtes, envoyant mon sang bouillant de combattivité dans mon corps. J’aspirai à grandes bouffées l’air chaud et humide de Ma’an, ignorant les gouttelettes de sueur sur mon corps et mes mains moites. Avec un mouvement rotatif du bassin, je fis virevolter mes sabres jumeaux pour taillader le torse du troisième voleur – une femme, remarquai-je alors. Poussant un cri étouffé de douleur, elle s’effondra et roula dans la poussière en répandant une traînée rougeâtre.

Sans me laisser reprendre mon souffle, le premier voleur, celui que j’avais blessé au bras, me lança une dague. Un jet d’eau la détourna de mon visage et je me servis du serpent liquide pour lui percer l’épaule. Le voleur porta une main à la plaie ouverte et bascula en arrière, sonné de douleur.

— Ici, ici ! hurla une voix à ma droite.

La gorge rendue sèche par ma respiration courte, j’avalai péniblement ma salive. Trois autres voleurs arrivaient en courant, leurs armes déjà la main. Avec difficulté, je dressai une paroi de glace entre les deux murs étroits qui délimitaient la ruelle poussiéreuse et étouffante.

Le contrecoup de cet appel élémentaire se fit aussitôt ressentir. Sonné de fatigue, je tombai sur un genou, jurai tout bas, puis me relevai en tremblant sur mes appuis.

Tu devras être plus résistant si tu veux battre le comte Wessex Bastelborn, gronda une voix autoritaire au coin de mon esprit.

Ou plus malin, asséna une autre. Utilise le gaz, pas la glace, crétin d’Al. Il fait chaud, pas froid. C’est le Sud, pas le Nord.

Évidemment. Crétin de moi.

Mes assaillants s’efforçaient de briser le mur de glace à coups de hache et d’épée. Je pris le temps de calmer mon cœur avant de repartir au combat. Plutôt que d’attendre qu’ils eussent terminé de casser la frontière gelée qui nous séparait, je fis disparaître instantanément celle-ci en la transformant en nuage brumeux. Je me jetai sur le groupe de voleurs, pris de court et désorientés. D’un mouvement descendant du poignet, j’abattis Eon sur l’un d’eux, qui s’affaissa à mes pieds en criant de douleur et de surprise.

L’un des voleurs profita du cri de son allié pour me repérer. Sa lame m’érafla la joue alors que je bondissais en arrière en percevant l’éclat argenté d’une épée courte. Le sang tiède commença à couler sur ma joue et j’en récupérai une goutte du bout de la langue. Son goût métallique me galvanisa.

Avec un cri féroce, je me jetai contre l’ennemi. Sa lame bloqua celle de Kan. Profitant de son attention détournée, je fis remonter Eon vers son flanc. Mon bras trembla brutalement lorsque le katana fut soudainement bloqué à une trentaine de centimètres du sol. D’un coup d’œil, j’observai mon arme et écarquillai les yeux d’étonnement. Le voleur avait contré ma lame du pied. Une petite plaque de métal recouvrait la plante de sa bottine noire.

Malin, malin.

Une paire d’iris d’un bleu pâle me toisèrent froidement lorsque je retournai mon attention vers l’ennemi. Une bouche charnue, un visage halé par le soleil, des cheveux châtain fouettés par le vent et le sable… La femme que j’affrontais était plutôt jolie à voir.

Et dure à cuire.


La voleuse me repoussa en arrière avec un cri guttural. Un raclement de poussière fusa derrière moi et je me retournai pour voir une hache s’abattre dans ma direction. Instinctivement, je fis appel aux éléments et la lame courbée de l’ennemi se ficha dans une motte de glace. Sans mes pouvoirs, j’aurais été grièvement blessé.

De nouveau, je me tournai vers la femme, qui lançait son épée vers mon flanc. Je contrai à l’aide d’Eon puis ordonnai mentalement à mon arme de se transformer en glace. En apercevant la lame gelée, la voleuse écarquilla les yeux puis bondit en arrière. Mais trop tard : son épée resta collée à la mienne, figée par le lien glacé qu’avait forgé Eon entre elles. Plutôt que de se retrouver en position de faiblesse, la voleuse lâcha son épée puis s’éclipsa d’un bond agile.

Avant que j’eusse le temps de l’attraper, elle courut sur le mur, agrippa une pierre saillante puis se hissa au bord du toit. En quelques secondes, elle avait disparu.

Rapide.

Le grognement du dernier assaillant m’arracha à la contemplation du ciel dégagé. D’un mouvement vif, je tranchai l’air à l’aide de Kan. Mon sabre vint cogner brusquement contre la hache du voleur dans un crissement métallique. Sans plus attendre, l’homme redressa son arme pour la lever au-dessus de sa tête. Après avoir emmagasiné assez de puissance, il la fit fuser dans ma direction. Je reculai aussitôt, pour me retrouver bloqué contre le mur. La peur sauta à ma gorge alors que la hache filait droit vers ma poitrine.

Une pierre frappa la tempe du voleur. Désorienté, il bascula de côté et son arme me frôla pour s’enfoncer dans le mur à quelques centimètres de mon bras gauche.

Le cœur battant en sourdine, je tournai la tête vers l’origine du lancer de pierre.

— Ça va ? s’enquit Wilwarin, l’air effaré par le geste qu’il venait de commettre.

— Ça va, confirmai-je en me décalant du mur.

Avant que l’ennemi eût le temps de recouvrer ses esprits, j’abattis le pommeau d’Eon à l’arrière de son crâne. Il s’effondra dans la poussière avec un geignement indigné.

— Tu viens de me sauver la vie, Wilwarin, déclarai-je tranquillement en m’avançant vers lui, mes sabres au bout des bras.

— Tu aurais contré l’attaque, répliqua mon allié en secouant la tête, modeste.

— Peut-être pas. Il m’a acculé contre le mur, j’ai pas fait attention. (Je jetai un coup d’œil autour de nous pour m’assurer que la menace était passée.) Ces salauds ont l’avantage du terrain. Je suis habituée à me battre dans les plaines, les côtes, les forêts… Mais la ville, les dédales de ce taudis ?

Agacé par ma propre faiblesse, je secouai la tête. Qu’est-ce qui m’arrivait depuis quelques temps ? N’avais-je pas été tatoué de la Marque Noire car j’étais fort et capable ? J’avais cette irritable impression que ma vie dépendait des actions des autres en ma faveur.

Exactement ce que je détestais.

— Partons vite, repris-je à l’adresse de Wilwarin en rengainant mon long sabre de glace.

Par précaution, je gardai en main Kan et me mis à trottiner, m’assurant que l’Oriental me suivait. Les traits encore tendus par notre récente confrontation avec les voleurs, Wilwarin courait derrière moi en tournant frénétiquement la tête. Le pauvre, il n’était pas habitué. Le gouvernement de l’Est devait vraiment être inquiet des ambitions du roi Tharros et de ses fidèles acolytes pour qu’il envoyât l’un de ses Sages sur le terrain. Comme mon allié me l’avait si bien dit, ils n’étaient pas des guerriers.

Cela n’empêchait pas Wilwarin de bien savoir viser avec des pierres.


Alors que nous tentions tant bien que mal de sortir de la ville et de ses méandres aussi poussiéreux que dangereux, j’accordai une courte prière aux Dieux. S’ils pouvaient nous empêcher de retomber sur les sbires du Chasseur amputé, je leur en serais reconnaissant.

Les yeux fixés sur le bout de la ruelle que nous traversions, je ne fis pas tout de suite attention à ce que Wilwarin me montrait du doigt. Le Sage dut m’appeler pour que je lui accordasse mon esprit. Une embouchure coupait la ruelle en deux. Une odeur de pourriture et de fermentation en provenait. Guère attiré par la bouche sombre qui ouvrait sa gueule sur un couloir humide et nauséabond, je fronçai le nez.

— Achalmy, insista mon allié en me faisant les gros yeux, regarde.

Avec un soupir impatient, je m’approchai de lui et lorgnai la minuscule allée sombre. Des peaux de fruits et d’animaux en décomposition se mélangeaient pour former une mélasse obscure et puante. Le coin devait servir de compost à ciel ouvert.

— Des ordures, grommelai-je en roulant les yeux. C’est ça que tu voulais me montrer ?

Wilwarin me dévisagea d’un air exaspéré comme si j’étais un parfait imbécile. Il pointa de nouveau la ruelle du doigt.

— Regarde au bout, marmonna-t-il avant de grommeler quelque chose dans sa barbe.

J’étais prêt à parier que c’était une injure. Ignorant sa mauvaise humeur, je plissai les yeux. Et poussai une petite exclamation. Une barrière fermait la ruelle à l’autre bout et laissai voir ce qui devait être un petit pré. Trois chevaux et deux ânes y broutaient avec flegme sous le soleil torride.

Sans plus attendre, je me jetai dans la traboule. Lorsque mes pieds s’enfoncèrent dans la mélasse en décomposition et habitée de centaines de mouches, je réprimai un grognement dégoûté. Les intestins à l’air ou un cadavre abandonné depuis trois jours n’étaient pas foncièrement plus repoussants.

J’entrouvris les lèvres pour respirer avec la bouche et soulager mes narines des odeurs pestilentielles qui tentaient de s’y infiltrer. Mes semelles produisaient un « spouitch » éloquent à chaque pas. Les murs étaient envahis de champignons et de plantes grimpantes qui tiraient leurs forces de l’humus qui s’étendait à mes pieds.

— Achalmy, attends-moi, s’il te plaît, m’intima Wilwarin d’un ton étouffé.

Préférant ne pas gaspiller mon souffle inutilement, je ne répondis pas, mais ralentis légèrement la cadence. Au bout de quelques trop longues minutes, nous atteignîmes la barrière qui fermait la ruelle. Le cheval qui se tenait le plus près de nous leva brièvement la tête pour nous narguer quelques instants avant de se tourner. J’avais une belle vue sur sa croupe.

— Wilwarin, marmonnai-je entre mes dents, tu veux bien faire comprendre à ce canasson que c’est pas très poli de montrer ses fesses à des inconnus ?

Comme il tentait de déloger la barrière en la secouant, le Sage ne me répondit pas. Avec un soupir las, je le repoussai sans brusquerie puis posai une main sur le montant en bois. Je sentis l’eau se condenser sous ma paume. Puis le bois se fendit sous la pression de l’eau à haute température s’infiltrant entre ses fibres.

Sans difficulté, je poussai la barrière cassée de côté et m’avançai dans le pré. Soulagé de l’air bien plus pur que j’inspirai, je laissai mes épaules se détendre.

Tout va bien. On va y arriver. On va retrouver Alice. La sauver.


— Achalmy, souffla Wilwarin derrière moi, il nous faut du matériel pour chevaucher.

Finir le trajet à dos de cheval était la raison pour laquelle nous nous retrouvions les pieds dans le crottin après les avoir trempés dans de la mélasse en décomposition. Nous serions au Noyau beaucoup plus rapidement ainsi.

— Appelle-moi Al, déclarai-je soudain en me tournant vers le Sage. Plus simple.

— D’accord, répondit-il d’un air penaud avant de montrer les équidés qui broutaient l’herbe desséchée de leur petit pré. Il nous faut de quoi les harnacher.

— Eh bien, tâchons de trouver, me contentai-je de déclarer avec un sourire en coin.

Sans attendre sa réponse, je fis le tour du pré. Il était petit, trop petit pour cinq bêtes. Mais leur propriétaire ne devait pas avoir les moyens d’acheter de plus grandes parcelles de terres. À l’idée de voler deux de ses animaux, je me sentais un poil coupable. Mais cette légère culpabilité n’était rien face à la peur qui me tordait les tripes en songeant au sort prochain d’Alice.

Alors que je me hissais par-dessus la barrière pour me rendre à une petite cabane qui était installée près d’un puits, l’image sanglante d’Alice affaissée dans les bras du comte Wessex Bastelborn m’assaillit. Je clignai des yeux, mais ne pus entièrement chasser les entailles vermeilles qui ressortaient vivement sur la peau claire de mon amie. Ni ses yeux grands ouverts sur le ciel, mais vides de vie.

Furieux, je fis exploser le cadenas qui bloquait la porte du cabanon. Perdu dans mes pensées révoltées, il me fallut un moment pour comprendre ce qu’étaient les cordes de cuir et les formes sombres qui étaient rangées ici. Des selles, des rênes, des filets et des étriers étaient disposés sur des étagères et des montants en bois. Le cuir n’était pas d’une grande qualité ni récent, mais il conviendrait parfaitement.

— Wil ! criai-je d’une voix puissante. J’ai trouvé.

Le Sage ne m’en voulut pas de le surnommer ainsi ni de m’être adressé à lui d’un ton un peu mordant. Ses yeux verts-jaunes, qui s’étaient assombris naturellement depuis ce matin, luisirent dans les rayons de soleil qui éclairaient son visage juvénile.

— Laisse-moi expliquer à ces pauvres chevaux nos intentions et nous partons, finit par souffler Wilwarin avec une grimace contrite.


La plaine aride était si vide de vie et d’ombres, le ciel si immobile et le sol si régulier que je me demandais comment je faisais pour ne pas perdre la tête. Wilwarin m’avait prévenu que traverser la Zone Morte ne serait pas une partie de plaisir. Que les Dieux avaient chassé toutes traces de vie de ces contrées. Pire : que même la mort n’y était pas présente. Aucune carcasse, aucun arbre rabougri n’étaient visibles depuis deux jours. Il n’y avait que les cieux bleus, immobiles et sans nuages, et cette poussière lourde sous les sabots de nos montures.

Wilwarin avait prévu le coup, car il savait que nous ne trouvions ni de quoi boire, ni de quoi nous nourrir. Nous avions volé – Wil disait emprunté, mais je ne voyais pas comment nous allions rendre les animaux à leur propriétaire – un âne en plus des deux chevaux pour transporter des vivres. Il nous en restait encore, de quoi subvenir à nos besoins pour deux ou trois jours. Mais j’avais peur que nous manquions d’eau. Les bêtes étaient gourmandes en liquide et c’était tout à leur honneur alors qu’elles nous portaient depuis deux jours.

Wil prétendait savoir où se trouvait l’unique entrée du Noyau. L’Épine, le gouvernement de l’Est, dont faisaient partie Vanä et Wilwarin, gardait un œil vigilant sur le cœur d’Oneiris depuis les événements du Grand Désastre. Cette surveillance avait commencé par repérer l’accès au Noyau et à prévenir les curieux qui voudraient s’aventurer là-bas des dangers qu’ils pouvaient rencontrer.

D’après Wilwarin, aucun humain n’avait pénétré le Noyau depuis le Grand Désastre. La colère des Dieux, qui s’était abattue sur les quatre contrées d’Oneiris, nous avait bien fait comprendre leur amertume et leur souffrance.

Le comte Wessex Bastelborn pensait-il vraiment obtenir les faveurs des Dieux après le Grand Désastre ? Il s’était écoulé cinq cents ans depuis les événements qui avaient jeté une barrière entre nous et nos divinités protectrices, mais que représentait cette durée pour nos créateurs ? Étaient-ils aujourd’hui plus enclins à nous écouter ? Avaient-ils pardonné nos ancêtres, ceux qui avaient été à l’origine de la fracture de nos liens ?

Six humains avaient déclenché le Grand Désastre. Un roi Tharros, une impératrice Samay, un chasseur des anciennes Terres Libres ainsi que trois Élus. Ceux-ci étaient des favoris des Dieux avant le Grand Désastre, des hommes et des femmes pourvus d’une partie des pouvoirs des divinités et médiateurs entre les Cieux et nous. Comme aucun des six humains qui s’étaient rendus au Noyau n’était revenu, nous ne sûmes jamais ce qui avait provoqué la colère des Dieux.

Peut-être étions-nous sur le point de provoquer un deuxième Désastre en quémandant les faveurs des divinités protectrices d’Oneiris.

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