Chapitre 16 - Alice

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An 500 après le Grand Désastre, 2e mois de l’été, Ma’an, Terres du Sud.

Après un peu plus d’une semaine de voyage, nous avions atteint Ma’an. Nous aurions pu rejoindre la ville bien plus tôt, grâce aux chevaux, mais le comte ne s’était pas pressé. Au contraire, il avait pris tout son temps, ralentissant la cadence lorsqu’il l’estimait trop rapide, proposant jusqu’à une dizaine de pauses par jour, nous laissant dormir plus que nous n’en avions besoin.

Loin de me plaindre, la raison de notre voyage ralenti m’avait tout de même intriguée. J’avais laissé un garde, exaspéré de la nonchalance du Noble et de ses mystères, l’interroger à ce propos. Le comte nous avait alors appris que les Samay étaient partis assez tard de Lissa et que nous devions faire en sorte d’arriver à peu près en même temps qu’eux à Ma’an. Après tout, moins nous passerions de temps dans la cité, mieux nous nous porterions.

La principale ville marchande d’Oneiris souffrait d’une terrible réputation. Ma’an s’était développée grâce à sa position idéale : située au bord du lac Ishalgen, sa facilité d’accès par mer ou par terre l’avait fait connaître de toutes les Terres. Les Occidentaux et les Sudistes avaient commencé à s’y rencontrer pour échanger des marchandises, puis c’étaient tous les peuples d’Oneiris et les navires aviriens qui avaient convergé vers la cité. Avec les décennies, le village marchand en bord de mer s’était transformé en bourg actif puis en ville à l’activité commerçante non négligeable. À présent, Ma’an et ses environs étaient la principale zone de commerce d’Oneiris.

Qui disait commerce disait lois. Qui disait lois disait infractions. Les marchés illégaux étaient presque plus répandus que les réglementés. Le Sud avait, bien évidemment, voulu contrôler Ma’an pour son bénéfice, mais la proximité de l’Ouest avec la cité avait rendu les négociations délicates. Sans compter qu’un certain nombre de marchands de Ma’an n’étaient ni Occidentaux ni Sudistes et renâclaient à appliquer des lois qui n’étaient pas celles avec lesquelles ils étaient nés.

Le commerce à Ma’an avait ses propres lois. Si l’on pouvait parler de lois. Les taxes qui devaient revenir au Sud étaient rarement appliquées et seules les monnaies avaient une quelconque valeur là-bas. La confiance était un confort que l’on ne pouvait pas s’accorder.

« Ma’an est une grotte qui brille beaucoup grâce à ses richesses, mais qui n’est réellement qu’un trou obscur empli de rats. Nous évitons de commercer avec ses marchands, mademoiselle, et seul un besoin urgent et absolu devrait vous mener là-bas. » Les propos de l’un de mes professeurs ne cessaient de tourbillonner sous mon crâne alors que nous entrions dans la périphérie de la ville. Les mains moites, le cœur battant d’angoisse, j’observai les habitations s’approcher de plus en plus de nous. Nous y étions. À mon grand désespoir.


Pour parvenir jusqu’à la cité marchande, nous avions bordé le lac Ishalgen. L’air nous avait apporté quelque peu de fraîcheur en même temps que les relents du poisson qui séchait sur de vastes zones couvertes de claies inclinées aux abords des villages.

À présent, des odeurs diverses me parvenaient ; assez désagréables pour la plupart. Fumée, sueur, peau animale en train de sécher, iode, poisson, plantes médicinales, chair en train de griller… Tant d’effluves que j’en avais du mal à respirer.

Accrochée à la ceinture du garde avec lequel je chevauchais, je libérai une main pour me couvrir le bas du visage. L’omniprésence de cette puanteur me faisait tourner la tête, sans parler du soleil tapant qui faisait onduler l’air et transpirer les chevaux. J’avais l’impression d’étouffer dans mes vêtements et je n’osais pas imaginer l’image que je devais donner. Je devais avoir piètre allure avec mes cheveux plaqués sur le crâne par la sueur, mes mains et mon visage noircis de terre et mes vêtements en mauvais état. Ironiquement, je me fondais bien dans la masse humaine qui se mouvait sans direction particulière, les groupes allant et venant à la façon d’une feuille baladée par le vent.

Nous passions inaperçus au milieu de la foule qui devenait de plus en plus compacte à mesure que nous nous rapprochions du port. Des hommes et femmes de toute origines déambulaient près de nous, en groupe, seul, à pied, chevauchant diverses montures…

Si les peuples et les accents me semblaient communs, j’entendis plus d’une fois des dialectes sudistes, dont un, dans de la bouche d’une femme, qui m’était complètement inconnu. Pourtant, l’un de mes précepteurs du château, un spécialiste des langues qui n’avait cessé de voyager que pour m’enseigner l’art du langage, m’avait présenté une grande partie de ces idiomes régionaux. La femme était grande, avec des membres musclés et, si elle n’avait pas eu la peau si sombre, ces cheveux frisés et ces vêtements légers, on aurait pu la prendre pour une Nordiste.

Au fil des années à seconder mon père lors des rencontres officielles, j’avais pu voir tant de cultures, d’accents, de vêtements et de traits physiques que je n’aurais pas cru pouvoir être aussi surprise au milieu de cette foule humaine, si semblable et diverse en même temps.

Comme les lourdes odeurs commençaient à me devenir plus familières, je pus mieux profiter du spectacle qui s’offrait à mes yeux. Ma’an n’était pas une jolie ville ; trop de cultures avaient voulu en faire leur nid. Mais c’était là son aspect le plus fascinant : tentes nordistes côtoyaient cabanes orientales au milieu des petites maisons de pierre occidentales et des habitations à ciel ouvert des sudistes. Sans compter les étranges bâtisses démontables aux toits en pente du peuple avirien.

La poussière se mêlait à l’effluve douceâtre du lac, la sueur des hommes à celle des bêtes et les étals se poussaient les uns contre les autres, se grimpaient dessus, avaient un pied dans l’eau ou penchaient de côté. C’était effrayant et merveilleux. Le bazar de l’humain affrontait son admirable capacité d’adaptation.

Les gardes qui chevauchaient près de moi semblaient tout aussi impressionnés. Ils observaient, la bouche béante et les yeux écarquillés, les armes que l’on échangeait contre des bijoux faits d’or et d’argent, de fer et de corde, les coquillages roses vendus pour une pièce d’or, des fruits, si colorés et odorants que mon ventre s’en creusa d’envie, échangés contre des poulets. Monnaie et troc se côtoyaient aussi naturellement que les peuples se mêlaient dans la presse de la ville.

Quant à mon père et au comte Wessex Bastelborn, ils ignoraient la foule et le lieu comme s’il s’était agi d’insectes. Devant les badauds qui nous dévisageaient et les commerçants qui nous hélaient, le Roi affichait une mine agacée et pressait sa monture d’avancer plus vite. Au château, il écoutait aussi le peuple, même s’il leur accordait moins de temps qu’aux Nobles. Ce qui n’était pas le plus sage à mes yeux, puisque ces derniers étaient souvent en conflit avec leurs voisins pour des terres, tandis que les gens du commun nous apprenaient des nouvelles qui, il me semblait, étaient plus graves : animaux malades, terres infertiles, recrudescence de morts infantiles ou de vols… Ici, mon père semblait avoir complètement oublié son cœur et méprisait aussi bien mendiants que marchands, hommes ou femmes, de tout âge et de toute origine.

Était-ce sa décision d’accomplir la Prophétie qui l’avait rendu aussi dur et froid ? Une pensée désespérée me tirailla l’esprit : était-ce le futur sacrifice de sa fille qui lui avait gelé le cœur ?


Le reflet du soleil couchant sur le lac Ishalgen ressemblait à du miel fondu. Le regard perdu vers l’horizon, je me laissai bercer par le rythme du cheval, par les appels des commerçants qui ne cessaient jamais, par les cris des divers animaux, par l’odeur de cuisine qui montait et masquait doucement les effluves moins agréables.

Une brise d’air frais bienvenue nous souffla au visage alors que le comte dirigeait notre groupe vers une allée où des cabanes à deux étages se serraient les unes contre les autres dans un équilibre précaire. Des habitants, sortis pour vider leurs ordures dans les bas-côtés, pour nettoyer des vêtements ou rincer des légumes, nous dévisagèrent alors que nous les dépassions à cheval. Mal à l’aise sous leur regard inquisiteur, je fixai la nuque du soldat avec lequel je chevauchais. J’avais hâte d’arriver à l’auberge où nous devions séjourner. La fatigue me collait à la peau comme de la sueur et la faim me faisait tourner la tête.


Après avoir emprunté nombreuses ruelles et allées, parfois si étroites que j’avais bien cru que les chevaux ne passeraient pas, nous débouchâmes sur une petite place avec un puits en son centre. Des écuries étaient installées sur le côté gauche, adossées à une bâtisse de trois étages aux fenêtres étroites, à la peinture ocre écaillée, et dont la porte était surmontée d’un panneau en bois signalant « La Rasade » en langue commune et en divers dialectes sudistes.

— Nous sommes arrivés, annonça sobrement Ace Wessex Bastelborn en se tournant vers nous, un sourire léger flottant aux lèvres.

Une fois descendus de cheval, et après les avoir confiés aux bons soins du palefrenier de l’auberge, nous nous dirigeâmes vers la bâtisse vétuste. Après avoir dormi tant de nuits dehors, je me fichais que ce fût un lit immense aux draps de soie ou une minuscule couchette mitée qui m’accueillît. Néanmoins, ce n’était pas le genre d’endroit où je m’attendais à rencontrer les Samay. Je me doutais que c’était bien pour la simplicité et l’anonymat du lieu que nous nous y rendions.

Lorsque nous fûmes assez proches de l’entrée, des bruits de verre et de couverts, des cris d’hommes et de femmes, le claquement des chopes et le son plus feutré des pas nous parvinrent avec la brusquerie d’une bourrasque.

Sans hésiter, le comte s’engagea dans l’entrée et y disparut, vite suivi de deux gardes, de mon père puis du dernier soldat. J’hésitai un instant avant de rentrer, levai les yeux vers le panneau de bois défraîchi, grimaçai devant l’odeur de bière et de sueur qui m’agressa les narines puis entrai. De petites tables en bois accueillaient des groupes d’hommes et de femmes de tout âge et de toute origine dans un brouillard invisible de chaleur. Quelques clients buvaient seuls, mais ils étaient rares. Un bar abîmé résistait aux coups de chopes des ivrognes sur le flanc gauche de la salle. Un jeune homme d’une vingtaine d’année au crâne précocement dégarni tenait un chiffon à la main, une bouteille d’alcool dans l’autre, prêt à resservir quiconque lui tendrait son verre. Des tableaux de liège accrochés aux murs et couverts d’inscription faites à la craie noire étaient parsemés de bouts de fer informes. Jeux de fléchettes archaïque ? Deux arches nous faisaient face. L’une donnait sur ce qui devait être les cuisines, l’autre sur des escaliers qui menaient aux étages.

Une petite femme avec un chignon de cheveux roux déboula de l’une des entrées, chargée d’un plateau recouvert de pain beurré et de deux bols de soupe. Elle le déposa sans délicatesse devant deux hommes aux visages tirés puis leva un nez constellé de taches de rousseur vers nous.

— Je peux vous aider ?

— Nous sommes là pour les Samay, répondit le comte en s’avançant.

L’aubergiste haussa un sourcil cuivré.

— Alors c’est vous ? (Elle nous tourna le dos en lançant d’une voix forte pour couvrir le tintement des couverts et les discussions :) On m’a déjà payée pour vous offrir le couchage, le souper et du foin pour vos montures. Alors installez-vous, je vous apporte le repas.

Et elle disparut dans les cuisines sans un mot de plus. Je ne lui avais pas reconnu d’accent particulier. Le sien avait dû disparaître après des années écoulées dans des contrées étrangères.

Comme aucune table assez grande pour nous accueillir tous n’était disponible, nous nous séparâmes en deux groupes : les trois soldats d’un côté, le Noble, mon père et moi de l’autre.

Installés près d’une fenêtre, je gardai les yeux rivés vers l’extérieur pour éviter de croiser le regard implacable de mon père ou celui mystérieux du comte. L’un comme l’autre me révulsaient à cet instant.

Ma nausée et mon malaise se dissipèrent quelque peu lorsque qu’un bol fumant de bouillon de volaille, accompagné de riz, fut déposé sous mon nez. À ceci s’ajoutèrent deux tranches de pain beurrées, une chope de bière et une assiette commune de fruits secs en guise de dessert. J’écartai aussitôt l’alcool, guère attirée par la boisson mousseuse. Du coin de l’œil, j’aperçus un sourire furtif sur les lèvres pincées de mon père. Le Roi se fondait aisément dans l’auberge. J’en étais étonnée. Avait-il eu dans sa jeunesse l’habitude d’aller boire une chope avec des amis ?

Le bouillon de viande était réhaussé d’épices et d’herbes aromatiques. La sensation dans ma bouche de la chair tendre, du jus savoureux et du riz fondant avait quelque chose d’incroyable. Combler sa faim était d’une simplicité brutale, mais d’un soulagement intense. Sans me soucier du protocole, inexistant dans cette auberge simple, de la présence de mon père et du comte Bastelborn, j’avalai une grosse bouchée de pain, aspirai une cuillerée de bouillon puis soupirai de plaisir.

Lorsque je ralentis le rythme avec lequel j’avalais mon repas, je remarquai que mon père mangeait avec un entrain semblable au mien. Plus posé, Ace Wessex Bastelborn mâchait du bout des dents sa tranche de pain.

— Combien de temps nous faudra-t-il pour atteindre le Temple de Timoria ? s’enquit mon père après avoir terminé son bol.

— Il nous faut deux jours pour traverser la Zone Morte, commença le comte, les bras croisés sur la poitrine, l’air pensif. Une fois à l’intérieur du Noyau, la distance… est variable.

— La Zone Morte ? soufflai-je avant que mon père ne reprît la parole.

— Une étendue dépourvue de vie qui entoure le Noyau, expliqua le Noble en posant les yeux sur moi. Elle n’a pas de nom spécifique, on l’appelle bien comme on le souhaite.

— Pourquoi n’y a-t-il pas de vie ?

— Car cette zone permet au Noyau de garder son aspect mystérieux et divin. Sur des dizaines de kilomètres autour de l’enceinte, il n’y a qu’une terre infertile où ni faune ni flore n’existent. Un moyen de plus de repousser les humains du cœur d’Oneiris où les Dieux apparaissent.

— Comment savez-vous tout ça ? murmurai-je, stupéfaite.

— Alice, tonna mon père en me jetant un regard noir. Cesse donc de nous couper.

Intimidée, je déglutis péniblement en baissant les yeux. Mon père avait toujours été autoritaire, mais jamais violent. Si ce n’était à travers son ton méprisant et ses paroles dures. Néanmoins, je ne comptais pas tester les limites de sa patience à cause de ma curiosité.

— Alors ? reprit mon père d’un air agacé. Une fois la Zone Morte traversée, combien de jours de voyage pour atteindre le Temple de Timoria ?

— Je vous l’ai dit : c’est variable.

— Variable ? répéta le Roi d’un ton sceptique. Que voulez-vous dire ?

— Qu’il est impossible d’estimer le temps nécessaire. Le Temple peut changer de position, ou c’est la nature autour du Temple qui peut se transformer et nous désorienter.

— C’est une plaisanterie ?

— Pas du tout, mon Roi, se justifia le comte d’un air grave. N’oubliez pas que le Noyau est le domaine des Dieux. À cet endroit plus qu’ailleurs, leur contrôle est immense. S’ils souhaitent faciliter notre voyage ou, au contraire, le compliquer, ils le feront.

Visiblement dubitatif, mon père ne répondit rien et se passa une main sur la nuque. Était-il angoissé par les jours qui allaient suivre ? La perspective de trahir l’Impératrice avec l’aide de Dastan Samay le rendait-il nerveux ? L’idée de sacrifier sa fille lui rendait-il le sommeil agité ?

Pour moi, en tout cas, chaque minute était une angoisse permanente. Chaque bouffée d’air me semblait plus précieuse que la précédente, chaque sensation de mon corps, plaisante ou pas, avait un effet euphorique. Je profitais des derniers lambeaux de vie qui me restaient.

Si ma mort prochaine me rendait malade, je tenais quand même à jouir du mieux possible des instants de plaisir qui m’étaient accordés : un repas simple, mais bon, un vrai lit pour dormir, un peigne pour coiffer mes cheveux, un broc d’eau pour me nettoyer le visage, une fenêtre ouverte pour laisser l’air courir sur ma peau.


L’auberge se gonfla un peu plus de clients lorsque le soleil se coucha. Les habitués du soir envahirent la place, commandèrent des chopes, sortirent les jeux de cartes et les dés, parièrent sur le meilleur au jeu de fléchettes et se défièrent à « la rasade », d’où venait le nom de l’auberge. Le serveur disposait sur le comptoir vingt petites tasses dont lui seul connaissait le contenu. Le gagnant devait toutes les avaler d’une traite en limitant les pauses entre chaque. D’après ce que j’entendis, lorsque les premiers participants s’engagèrent, rares étaient ceux qui dépassaient les dix premières tasses. À croire que l’alcool fort était mélangé à des épices ou à des substances douteuses pour que des hommes et femmes habitués à boire fussent rebutés aussi rapidement.

Lorsqu’une fatigue lourde s’abattit sur moi, je m’excusai auprès de mon père et du comte et me levai de table. Alors que je me dirigeais vers l’aubergiste pour récupérer la clef de ma chambre, le Noble me rattrapa et passa une main amicale autour de mon bras.

— Par ici, Alice.

Perturbée de l’entendre m’appeler ainsi et de sa familiarité, je le suivis dans les escaliers. En silence, nous les montâmes côte à côte, jusqu’au dernier étage.

— Les Samay nous ont réservé les meilleures chambres, m’apprit-il en sortant une clef d’un pli de sa veste élégante. Au troisième étage, où le brouhaha de la salle commune se fait moins entendre.

— Quand avez-vous… commençai-je avant d’être interrompue par le comte :

— L’aubergiste m’a donné les clefs quand elle nous a apporté le repas. (Il déverrouilla une porte et la poussa, m’adressant au passage un regard amusé.) Mais vous étiez tellement occupée à dévisager votre bouillon que vous n’avez rien remarqué.

Je rougis de sa moquerie puis entrai à petits pas dans la chambre exiguë. Un lit, une table minuscule avec un broc d’eau et une chaise en mauvais état meublaient les lieux. Une odeur de sueur et de renfermé imprégnait l’air, mais le sommeil qui alourdissait mes paupières s’en moquait largement. Seule comptait la couchette installée contre le mur, avec sa couverture bleue et son oreiller.

Lasse de ma journée, épuisée de mon voyage et anéantie par ma destinée future, je me laissai tomber au bord du lit, délaçai machinalement mes chaussures puis m’allongeai. L’obscurité du sommeil me frappa brutalement.

— Bonne nuit, Alice.

— Bonne nuit, marmonnai-je, à demi endormie.

Avant de sombrer définitivement, je sentis la couverture me recouvrir et entendis la porte se refermer dans un murmure.


Le piaillement des oiseaux à l’aube me réveilla. L’esprit confus, j’observai les particules de poussière danser dans les rais de lumière qui filtraient du volet mal fermé. Les membres engourdis, je me redressai, me frottai les yeux puis baillai.

Après avoir retroussé les manches de ma chemise large et raidie de crasse, je récupérai l’eau du bol en terre cuite et me rinçai le visage. Je n’avais pas de pain de savon, mais le liquide frais sur ma peau était suffisant. Je pris aussi soin de me laver les mains puis me passai des doigts humides dans les cheveux pour tenter de les lisser.

Une fois ma toilette finie, je sortis dans le couloir, curieuse. Les soldats, mon père et le Noble dormaient-ils encore ? Alors que j’allais descendre à la salle commune pour prendre mon petit-déjeuner, une porte s’ouvrit à ma droite. L’air fatigué, mon père en sortait en nouant ses cheveux en petite natte sur sa nuque. À ma vue, il se redressa, le visage toujours fermé.

— Tu as bien dormi ? demandai-je d’une petite voix.

En guise de réponse, il haussa les épaules puis me dépassa pour descendre. Lasse de son mutisme et de sa froideur, je le suivis, les épaules basses.

— Le comte Wessex Bastelborn est déjà debout ? Et les soldats ?

— Oui, les gardes sont descendus tôt ce matin, notamment pour prendre place dans la salle commune et surveiller la rencontre. Quant au comte, il nous a devancés de quelques minutes pour recevoir les Samay.

— Tu lui fais confiance ? soufflai-je d’une voix méfiante.

— Pas totalement, mais, pour l’instant, je ne peux pas me passer de lui. Jusqu’à ce qu’on atteigne le Temple de Timoria, il nous accompagnera.

Je ne pouvais donc pas lui faire ouvrir les yeux ni tenter de le dissuader de réaliser sa folle idée. Nous courions au désastre : les Dieux allaient nous punir de l’arrogance avec laquelle nous allions nous présenter à eux. Les objectifs de mon père et de Dastan Samay étaient empreints d’égoïsme et de mépris pour l’humanité. Si je ne mourais pas avant d’être sacrifiée par mon propre père, les divinités protectrices d’Oneiris allaient mettre fin à nos vies.


Le bruit incessant de la salle commune nous parvint rapidement. C’était néanmoins beaucoup plus calme que la veille au soir. Une drôle d’appréhension monta en moi alors que nous débouchions dans la salle où les clients qui avaient dormi prenaient leur petit-déjeuner.

D’un coup d’œil, je trouvai le comte Wessex Bastelborn accoudé au comptoir, en compagnie de deux silhouettes drapées de capes couleur sable. Je reconnus assez facilement un homme avec des épaules larges et une femme à la longue chevelure brune.

— Allez, Alice, un peu de courage et de tenue, déclara mon père en posant une main lourde sur mon épaule. Il ne s’agit pas de n’importe qui, mais de la famille impériale.

Alors qu’il s’avançait, gardant ses doigts crispés autour de mon bras, il ajouta à voix basse :

— N’oublie pas non plus que tu es de famille royale.

L’anxiété me broyait le cœur lorsque nous nous approchâmes du comte et des Samay.

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