Chapitre 13 - Achalmy

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An 500 après le Grand Désastre, 2e mois de l’été, Petite Forêt, au nord-est de Vasilias, Terres de l’Ouest.

En une semaine, ils avaient été trois à tenter de m’abattre pour l’or. Deux hommes et une femme, qui avait été la plus coriace. Trois Élémentalistes, tous bons combattants. Mais pas assez pour contrer ma rage et ma détermination. Être accusé de l’assassinat d’Alice me mettait hors de moi et me donnait envie d’aller défoncer les portes du Château du Crépuscule pour exiger des explications. Néanmoins, la raison me poussait à me montrer un tant soit peu prudent. J’allais me rendre à Vasilias, où j’enquêterais dans les rues désolées des bas-quartiers, à l’affut des rumeurs, des ragots, des murmures. Il était hors de question de pointer le nez à la demeure royale, où les gardes bondiraient sur moi et hurlant avoir trouvé l’assassin de la princesse héritière. Je devais en apprendre plus. Sur le comte Wessex Bastelborn, sur ceux qui avaient poussé la troupe royale sur notre piste, à Alice et moi.


Le feuillage dense des arbres m’avait protégé des brûlures du zénith et j’eus le droit à un somptueux coucher de soleil lorsque j’émergeai de la Petite Forêt. Je n’avais gardé que ma seconde-peau pour le trajet et je renfilai mon protège-corps quand des courants frais firent courir des frissons sur ma nuque et mes épaules. Les sangles en cuir de mes sabres et de ma besace avaient rendu ma peau moite à l’endroit où elles se rencontraient et je profitai d’un petit ruisseau pour me rafraîchir.

Prenant soin de les garder à portée de main, je déposai mes armes et plongeai les pieds dans l’eau froide. Je soufflai, inspirai, puis me penchai pour remonter la chausse de ma jambe droite. L’un des chasseurs de prime m’avait assené un mauvais coup et mon mollet enserré d’un bandage saignait à nouveau. Après avoir farfouillé quelques secondes dans ma besace, j’en sortis un onguent verdâtre à l’odeur désagréable. Je rinçai mes mains, la plaie, puis en appliquai minutieusement une petite dose. Ce n’était pas ma seule blessure : j’avais plusieurs entailles sur les bras et le torse et des contusions qui me faisaient grimacer lorsque j’exécutais certains mouvements. Cet onguent limitait les risques d’infection et les saignements, mais aidait aussi à dissiper bleus et écorchures. Encore un enseignement que je tenais de Zane. Mon cœur se serra à cette pensée et je me demandai ce que mon père et lui faisaient en ce moment-même. Peut-être étaient-ils en train de trinquer, d’échanger des coups de lames ou de dénicher de futurs élèves. Probablement les trois en même temps !


Je m’étais éloigné de la Petite Forêt d’une bonne lieue, éclairé par la lune et les étoiles, lorsque qu’une silhouette se dressa sur mon chemin. Je m’arrêtai, plissai les yeux, mais ne pus distinguer grand-chose dans l’obscurité. Par précaution, je dégainai Kan et avançai à pas lents.

— Qui va là ? lançai-je, aux aguets.

— Je… Je cherche mon chemin, répondit d’un air hésitant une voix masculine.

Rassuré, je soupirai. Gardant tout de même le sabre au poing, j’approchai de l’homme d’un pas plus confiant. Une fois assez proche pour distinguer un jeune d’environ mon âge à la tignasse sombre et au visage avenant, je m’arrêtai.

— Où vas-tu ?

— Vers les Collines de Minosth. Je viens de Vasilias, on m’a dit que passer par la Petite Forêt était le plus rapide.

— Eh bien, ça dépend où tu souhaites aller exactement. Comptes-tu atteindre la côte ou rester dans les terres ?

— Je me rends au domaine du Maître d’Armes Zane Soho, je crois qu’il se trouve au milieu de la frontière, mais…

Je ne l’écoutai plus. J’avais croisé le premier chasseur de primes chez Zane. Leur avait-on indiqué que celui-ci avait été mon maître et qu’il n’y aurait rien d’étonnant à me trouver à son domaine ?

— Pourquoi t’y rends-tu ? lâchai-je avec hargne alors que le jeune homme déblatérait toujours.

— Hein ? (Il me toisa avec surprise, les yeux à moitié cachés par un béret usé et difforme.) Euh… j’aimerais y trouver quelqu’un.

— Le Maître d’Armes ?

— Oui.

— Pour quoi faire ?

Il eut l’air perplexe.

— J’aimerais lui poser des questions sur l’un de ses anciens élèves. (Avant que j’eusse le temps d’ouvrir la bouche, il enchaîna :) Mais pourquoi souhaitez-vous savoir tout cela ?

L’inconnu s’était légèrement éloigné, la main sur le pommeau d’une épée à sa hanche. Soudain, alors qu’il me dévisageait, il poussa un petit cri.

— Mais, vous… vous êtes…

Manifestement abasourdi, il me toisa en silence la bouche ouverte puis dégaina maladroitement. D’un bond, je m’éloignai en redressant Kan. Mes vieux réflexes se réveillèrent tandis que mes courbatures se rendormaient.

— Je suis l’un des anciens élèves des Maître Soho, lui annonçai-je avec impatience, et c’est peut-être moi que tu cherches.

— Vous êtes Achalmy Dillys ?

Je plaçai ma deuxième main sur le manche de Kan, le cœur battant contre les côtes. S’il fallait en affronter un cinquième, qu’il en fût ainsi !

Protège-moi, Lefk. Pardonne-moi, Galadriel, car je vais de nouveau faire couler le sang.

— Oui, finis-je par répondre alors que l’inconnu pointait timidement le bout de sa lame vers mon visage.

— Oh ! (Il me fixa avec intensité un moment puis souffla :) Dans l’obscurité, je ne voyais pas très bien, mais vous ressemblez effectivement au portrait que les troupes royales ont affiché partout en ville. Je ne sais pas qui est le dessinateur, mais il a parfaitement su retranscrire votre expression farouche. Sans compter que le portrait est en noir et blanc, alors j’ose à peine imaginer en coul…

Je passai à l’attaque. Je n’aurais pas cru qu’un chasseur de primes puisse être aussi bavard. En était-il au moins un ? Il sursauta devant mon arrivée rapide et brandit avec maladresse sa lame. Nos armes se percutèrent avec fracas et l’épée de l’ennemi vola en diagonale. Il la regarda s’éloigner de lui bouche bée.

Hésitant, j’abaissai ma lame. Qui était cet individu ?

Soudain, avec une rapidité que je ne lui soupçonnais pas, il tira de sa veste une dague, qu’il lança vers moi. Elle me manqua d’une bonne trentaine de centimètres. Perplexe, je l’observai réitérer son geste, de nouveau en vain.

Lorsqu’il eut jeté une nouvelle dague dans ma direction, il recula en dégainant deux lames courtes de son dos. J’aperçus encore plusieurs petites armes à sa ceinture. Le bougre était bien armé, mais…

Il se jeta sur moi avec un cri féroce.

— Tu vas mourir !

Avec une facilité qui ne faisait qu’augmenter mon incompréhension, je repoussai ses attaques. On aurait dit un gamin enragé à qui on venait de voler le jouet préféré. Ses coups étaient plein d’impatience et de force, mais guère précis ou réfléchis.

Finalement, agacé, je le désarmai d’une de ses lames d’un coup vertical puis agrippai son poignet en glissant derrière lui. Sa bouche laissa s’échapper un cri étranglé lorsque je remontai sans douceur son bras vers ses omoplates.

— Qui es-tu et que me veux-tu ?

— Je… Vous me faites mal.

J’accentuai la pression sur son épaule et il gémit en lâchant sa deuxième lame.

— S’il vous plaît, ne me déboîtez pas le bras.

— Alors réponds à ma question !

— Je m’appelle Mars et j’aimerais vous ramener à la famille royale pour toucher la récompense, expliqua-t-il docilement.

Stupéfait de tant de franchise et de naïveté, je restai un moment sans réagir.

— Vous voulez bien lâcher mon bras ?

Méfiant, je glissai Kan de son genou jusqu’à son talon.

— D’un coup bien placé, je pourrai te faire perdre l’usage de ta jambe. Tu me comprends ? (Il hocha la tête avec raideur.) Bien, maintenant, dis-moi ton nom.

— Je vous l’ai dit ! Je m’appelle Mars. Mars Hook.

— Et tu veux me tuer pour récupérer les cinquante pièces d’or ?

— Euh… Je ne voulais pas spécialement vous tuer. Vous savez, le contrat stipule que le Roi sera plus généreux si l’on vous amène vivant. Je ne sais pas ce qu’il vous réserve, mais…

— Il veut m’exécuter publiquement.

— Oh ! (Il se tut.) Pourquoi ?

Cette fois, je fronçai les sourcils. Avec agacement, je lâchai son bras et lui assenai un coup de pied dans les reins. Sans aucune grâce, il s’étala par terre puis roula sur le dos avec un grognement.

— Es-tu un excellent comédien ou un ignare ? (Il me fixa d’un air stupéfait, me faisant rouler les yeux.) Non, ne me réponds pas.

Je m’approchai de lui et dressai Kan au-dessus de sa tête.

— Non, non, non ! Pitié, je suis désolé, monsieur.

Il venait de brandir les mains et il fondit en larmes alors que je m’apprêtais à planter la lame dans son cœur.

Bon sang de Lefk, je ne peux pas mettre fin à la vie d’un tel individu.

Je reculai puis m’accroupis non loin de Mars, pensif.

— Tu es pauvre ?

— Hein ? Eh bien, je pense que je suis le plus fourni en question de richesses dans mon village, mais peut-être parlez-vous d’une autre forme de pauvre…

— Tais-toi ! tonnai-je, sentant poindre un mal de tête. Tu voulais la prime pour améliorer ton quotidien ?

— Hum, oui. Vous savez, monsieur, ma mère est morte quand j’étais très jeune et je n’ai jamais connu mon père, alors…

— Mais ferme-la, bon sang ! le coupai-je en me redressant. Et cesse de m’appeler « monsieur », je n’ai aucun titre. Appelle-moi Chasseur, si tu souhaites tant m’accorder une appellation.

— Oui, monsieur le Chasseur. Vous allez épargner ma vie ?

— Rien que pour ta naïveté, je devrais te tuer. Ton village irait mieux.

— Ce n’était pas très gentil.

Incrédule, je lâchai un rire jaune.

— Ce n’était pas très gentil non plus d’essayer de m’arrêter pour gagner de l’argent.

Le jeune homme me lança un regard étonné.

— Et ce n’était pas gentil d’assassiner une pauvre enfant.

— Quoi ? Je ne tue pas d’enfants.

— La princesse Alice. Elle était si jeune ! Si chétive… Vous êtes un individu cruel et vous ose…

— Je n’ai pas tuée la princesse, le coupai-je sèchement. Cette fille n’est pas chétive et elle n’a même pas deux années de moins que moi, alors…

— Chasseur, s’exclama Mars en redressant son béret sur sa tignasse, pourquoi le Roi cherche-t-il à vous tuer si vous n’avez pas assassiné sa fille ?

— C’est ce que j’aimerais savoir, soupirai-je en rengainant Kan.

Il me suivit du regard alors que je m’éloignais puis bondit sur ses pieds en récupérant ses lames. Prêt à lui planter une épine de glace dans la gorge si nécessaire, il se contenta de les ranger avec précaution puis de me suivre.

— Vous êtes très fort, monsieur le Chasseur. Vous pourriez peut-être m’apprendre à me battre ?

— Et puis quoi encore ? Il y a encore cinq minutes, tu cherchais à me tuer.

— Encore une fois, je ne voulais pas spécialement vous tuer. Enfin, peu importe. (Il marchait d’un pas souple à quelques mètres derrière moi et je me demandai pourquoi je ne l’abattais pas tout de suite.) Je suis guérisseur. Quand ma mère est morte, un vieil homme qui connaissait les plantes et les soins mieux que quiconque à cent lieues à la ronde m’a pris sous son aile. On dit qu’il venait de l’Est, mais beaucoup d’années passées dans l’Ouest lui avaient appris notre accent et nos mœurs.

Ton accent et tes mœurs, le corrigeai-je, je ne suis pas Occidental.

— Et, vous voyez, ce vieux Tanoë n’aimait pas parler de lui. Aujourd’hui, il est mort et je n’aurais jamais su s’il était né dans l’Est. Enfin ! Tout ça pour dire qu’il m’a appris tout ce qu’il pouvait m’apprendre sur les plantes. Je suis alors devenu guérisseur et je parcours l’Ouest depuis deux ans pour venir en aide aux personnes qui en ont besoin.

— Sauf que tu es bête et naïf. Laisse-moi deviner : tu as soigné des personnes qui n’avaient pas les moyens de te payer en retour. Et c’est pourquoi tu es pauvre et en quête d’argent facile.

Comme il ne me répondait pas, je me tournai à demi vers lui. Il avançait épaules voûtées, un air de chien battu collé au visage. Je soupirai.

— Tu as un bel attirail pour un guérisseur.

— Les dagues ne sont pas faites pour tuer, en réalité. Elles me servent à couper les tiges, les feuilles, les écorces ou à écarter les tissus. J’ai acquis les deux lames courtes et l’épée pour quelques pièces qui me restaient à Vasilias. J’avais vu votre mise à prix dans une auberge et j’ai saisi ma chance.

— Tu es stupide. On ne donnerait pas cinquante pièces d’or pour ma vie si j’étais le fermier du coin.

— J’ai pensé que le Roi était furieux et chagriné et qu’il offrait une telle récompense pour être certain qu’on lui ramène le meurtrier de sa fille. (Il accéléra pour être à ma hauteur). Ainsi, vous dites que vous n’avez pas tué la princesse ?

— Non, au contraire, même. Je suis à la recherche de celui qui l’a enlevée.

— Je ne comprends plus, souffla Mars en frottant un bouc que je venais juste de remarquer à son menton. N’êtes-vous pas celui qui a enlevé la princesse ?

— C’est une longue histoire. Et je n’ai pas le temps de te la raconter.

Je me tournai vers lui et lui assenai un violent coup à la tempe. J’eus le temps de voir le désarroi se peindre sur ses traits avant que ses yeux ne roulassent dans leurs orbites.

Je préférais encore affronter des guerriers endurcis qu’un guérisseur qui n’en finissait plus de parler et de poser des questions.

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