Chapitre 5 - Achalmy

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An 500 après le Grand Désastre, 2e mois du printemps, collines de Minosth, Terres de l’Ouest.

La lame de Kan luisait dans la lumière du soleil. Mon regard glissait sur les rondeurs des sommets à la recherche de nos ennemis. À ma gauche, la respiration d’Alice accélérait de seconde en seconde. Mon cœur et mon souffle s’associaient pour battre un rythme régulier à deux temps.

— Tiens-toi prête, conseillai-je à mon alliée en lui jetant un coup d’œil. On ignore leur nombre et leurs moyens. Ils peuvent très bien être des voleurs de seconde zone comme des Élémentalistes endurcis.

Son regard était vif et brillant. Avec satisfaction, je compris qu’elle était sur ses gardes et le resterait jusqu’à ce que nous soyons hors de danger – du moins, je l’espérais.

— Posez vos armes à terre et hors de portée ! cria une voix masculine d’un ton autoritaire.

Je ne voyais toujours rien.

— Alice, murmurai-je en me rapprochant d’elle, est-ce que tu te penses capable de les repérer grâce au vent ?

— Je… commença-t-elle d’un air hésitant. Je n’ai jamais essayé une technique pareille.

Interdit, je la dévisageai puis secouai la tête en roulant des yeux.

— Sans blague, lâchai-je d’un ton agacé, est-ce que tu as appris à te servir de tes pouvoirs, au moins ?

Comme indignée, elle me balança un regard furibond, pinça les lèvres puis avança de quelques pas déterminés sur le sentier en ignorant royalement la menace invisible.

Je manquai m’étrangler lorsque deux flèches la frôlèrent pour se planter dans le sol.

— Recule ! ordonna de nouveau la voix. Ou nous t’abattons.

En réponse, Alice leva une main au ciel et ferma les yeux. Une brise légère souleva mes cheveux et s’engouffra entre les collines avec un chuintement discret.

— Ils sont derrière cette colline, annonça Alice en pointant du doigt le mont qui s’élevait face à nous. Attends, j’en repère d’autres. Deux sont cachés dans le bosquet sur la gauche et un dernier… Attention !

Un carreau d’arbalète siffla à mon oreille tandis que je bondissais sur le côté. Une femme à la carrure imposante nous barrait la route en hauteur. D’un geste méthodique et rapide, elle rechargea et leva de nouveau son arme pour tirer.

À peine libéré, le projectile fut détourné par une violente lame d’air.

— Alice, lançai-je en courant vers la femme, ne te mêle pas de mes combats.

— Toujours incapable de me remercier, répliqua mon alliée d’une voix boudeuse.

Agacé, je tournai la tête dans sa direction pour la fusiller du regard, mais les deux types qui étaient cachés dans le bosquet débarquèrent, armés d’arcs et de gros couteaux incurvés. Visiblement peu impressionnée, Alice me tourna le dos et dressa fièrement les bras vers les deux assaillants. S’ensuivit une bourrasque qui me fit chanceler et qui arracha des cris aux deux gars autant qu’à nos ennemis invisibles.

— Bande de malpropres ! lança la princesse en grondant. Vous allez regretter de nous avoir attaqués.

Sous mes yeux ébahis, elle fit crépiter des étincelles entre ses doigts fins. Puis, avec une exclamation, les projeta vers nos assaillants comme une myriade d’étoiles.

De nouveaux cris. Un corps chuta sur le sentier, secoué de spasmes. Vite remis de leur bousculade par le vent, les deux assaillants se redressèrent et bandèrent leurs armes.

— Tu n’y es pas allée de main morte, remarquai-je avec un rire rauque. Et tu devrais faire attention : tu es complètement exposée à leurs flèches.

— Il faut bien que quelqu’un se charge de la sale besogne, rétorqua effrontément mon alliée en frottant ses mains l’une contre l’autre. Ne t’inquiète pas pour les flèches, je peux les détourner.

Sa phrase se terminait tout juste qu’elle envoyait fuser dans les alentours deux projectiles par une puissante bourrasque d’air.

La femme ennemie chargeait dans ma direction, son arbalète abandonnée au sol pour ne pas s’alourdir. Mes talons crissèrent quand je les tournai pour faire face à l’adversaire.

L’épée usée de l’assaillante fusait vers moi bien trop lentement. Avec facilité, je la détournai de sa trajectoire du revers de mon katana puis me repliai, épaule en avant, pour projeter l’ennemie au sol. La violence du choc lui coupa le souffle et je sentis sa cage thoracique s’enfoncer. Avec un grognement, elle s’effondra et je posai la pointe de Kan contre sa gorge.

Ses yeux s’écarquillèrent d’horreur avant que ses lèvres ne se retroussassent.

— Tue-moi, qu’on en finisse.

Un froid familier envahit ma poitrine alors que je m’apprêtais à commettre l’acte. Ce ne serait pas la première ni la dernière vie que je prendrais en ce bas monde.

— Al, non !

Un crépitement puis un éclair fugace s’abattit sur mon bras armé. Je grognai entre mes dents serrées en regardant Kan tomber de ma main engourdie.

Furieux, je me précipitai vers Alice et agrippai le col de sa chemise de mon bras sain.

— On peut savoir pourquoi tu as fait ça ? m’exclamai-je avec véhémence.

Elle soutint mon regard sans ciller, ses traits délicats crispés par une détermination farouche. Remarquant que je ne la lâchais pas, elle fit lever les vents dans un cercle pour nous isoler de l’adversaire. J’eus le temps de voir la femme que j’avais jetée au sol se relever et s’enfuir par le haut du chemin, récupérant son arbalète au passage. Les adversaires armés d’arc étaient au sol, apparemment assommés par les éclairs de ma compagne de route.

— Tant que nous voyagerons ensemble, tu ne tueras personne, reprit-elle.

Je n’en croyais pas mes oreilles. Quelle petite…

— Et tu es qui pour me donner de tels ordres ? grondai-je en sentant l’eau se condenser sur mes avant-bras en réponse à ma soudaine colère.

Une lueur soucieuse s’alluma dans ses yeux violets. Elle sembla s’égarer pendant une seconde, le doute et la honte faisant s’affaisser son courage. Puis sa mâchoire douce se contracta et elle agrippa avec fermeté mon poignet pour que je la lâchasse.

Je revis la Alice forte et digne que j’avais entrevue à l’auberge à son réveil avec mon couteau sous la gorge. La princesse se muait doucement en reine. La jeune fille en femme. Et je n’étais pas certain d’être prêt à encaisser le changement.

— Je suis Alice Tharros, déclara-t-elle d’un ton assuré. Je suis la princesse de l’Ouest et les collines de Minosth sont une partie de mon territoire. Je ne tolèrerais pas de meurtre commis de sang-froid sous mes yeux.

Je me demandai si ses paroles avaient été couvertes par les souffles qui nous entouraient ou si les brigands avaient maintenant une raison de plus pour s’en prendre à nous.

Je penchai un peu plus la tête vers elle.

— Je n’ai ni roi ni lois, susurrai-je en plongeant mon regard dans le sien. Je suis mon instinct et mes envies. C’est ainsi que j’ai survécu ces dernières années.

— C’est une façon de penser bestiale ! s’indigna la princesse. Et tu t’insurges quand je laisse penser que les gens du Nord vivent comme des animaux.

— Le monde n’est pas tout blanc, princesse, répliquai-je avec sécheresse et mépris.

Le regard qu’elle posa ensuite sur moi fut comme une caresse après une gifle.

— Il n’est pas tout noir non plus, Achalmy.

Muet, je la toisai avec animosité.

Nous fûmes coupés par des bruits secs de corps qui tombent. D’un geste sec du poignet, Alice leva la barrière aérienne qui nous avait entourés. La femme à l’arbalète se tenait à côté de six autres personnes. Toujours paralysés par les éclairs d’Alice, trois étaient prostrés derrière eux.

— Vous avez deux choix, lança l’un des assaillants d’une voix rauque, soit vous vous rendez sagement et nous vous traiterons de manière humaine, soit vous vous opposez à nous et nous n’aurons aucune pitié.

Rapidement, je me redressai et adoptai une posture de défense. Le reste de nos adversaires avait abandonné son poste pour nous affronter directement. Ils avaient délaissé leurs arcs pour des épées de mauvaise qualité et des poignards rouillés. Une bande de hors-la-loi en sale état. Néanmoins, la faim et une bonne cohésion d’équipe pouvaient en faire des ennemis agaçants.


Le groupe ennemi chargea avec un cri collectif. Tendue, Alice leva les mains, prête à faire appel aux éléments. J’eus tout de même le temps d’apercevoir son visage crispé et pâle. Attaquer l’invisible en sachant qu’on ferait mouche était différent d’affronter l’ennemi en corps-à-corps. La princesse fanfaronnait moins qu’en début de combat.

Une dispute au milieu d’un affrontement… C’était bien la première fois que ça m’arrivait. C’est ça de voyager avec d’autres personnes, souffla une voix moqueuse alors qu’une silhouette jaillissait sur nous.

Ma colère était telle que je balançai tout ce que j’avais dans un seul coup. Même pour un Élémentaliste, il était compliqué d’expliquer la manière dont on prenait le contrôle des éléments. La façon dont on pliait à notre volonté l’eau ou la foudre pour la diriger, la tordre et la dissiper.

À ce moment, je sentis simplement ma fureur exploser sous la forme d’énergie pure. La force courut dans mes veines jusqu’au bout de mes doigts en prenant naissance au creux de mon ventre. Un mélange de glace et d’eau s’abattit avec fracas sur les bandits. Celui qui s’apprêtait à nous tomber dessus fut violemment projeté dans les airs et s’affaissa lourdement. Le froid figea leurs membres, le liquide sapa leur volonté et les fit s’effondrer.

Haletant, muet, je regardai une partie de nos assaillants gémir et se tortiller sous l’impact de mon attaque. Certains étaient immobiles ; inconscients ou morts. Alice se tenait à mes côtés sans rien dire non plus. Elle semblait tout aussi paralysée que nos adversaires. De l’eau coulait sur le chemin et de la glace scintillait au soleil.

Une dizaine de secondes plus tard, la fatigue arriva aussi brutalement que j’avais lancé mon coup. Nos pouvoirs n’étaient pas sans coût. Un Élémentaliste affaibli par la maladie, la faim ou la soif était aussi inoffensif qu’un simple humain. La nourriture, le repos et l’entraînement amélioraient les capacités d’un Élémentaliste. Le contrôle que pouvait exercer l’un de nous sur un élément dépendait aussi d’une personne à l’autre. Alice et moi faisions partie des Élémentalistes les plus puissants : non seulement nous faisions appel à plus d’un élément – ou, du moins, à des formes différentes pour moi – mais nous les manions aussi avec une certaine dextérité.

En contrepartie, notre maîtrise d’un pan de la nature exigeait une source importante d’énergie. Je connaissais plutôt bien mes limites, mais invoquer aussi brutalement de la glace et de l’eau alors qu’il n’y en avait sous cette forme aux alentours pompa mes forces. Je chancelai, posai un genou au sol et inspirai profondément. Ma main droite, toujours engourdie par l’éclair d’Alice, frôla le sol.

Aussitôt, Alice s’accroupit à mes côtés. Son visage se pencha vers le mien et je me détournai, toujours en colère contre elle.

— Tout va bien ? souffla-t-elle d’une voix inquiète.

— Oui, princesse, tout va bien, grognai-je d’un ton sarcastique en me relevant.

Ma vision n’était pas encore tout à fait claire. Cela ne m’empêcha pas de constater les dégâts : dix corps, sept hommes et trois femmes, éparpillés le long du chemin. Une plaque de glace s’étendait à nos pieds et montait jusqu’au mont léger qui nous faisait face. Tout en douceur, de l’eau ruisselait le long en scintillant.

— C’est beau, souffla Alice d’une voix lointaine en observant la danse du liquide transparent.

— Dix morts, c’est beau, en effet, rétorquai-je d’un ton grinçant.

En réponse, la princesse tourna brusquement la tête dans ma direction, les sourcils froncés. Son nez se plissa et elle alla s’accroupir près d’un homme qui se tortillait légèrement.

— Je ne pense pas qu’ils soient morts.

Avec rapidité et efficacité, elle fit le tour des victimes avant de revenir vers moi. Avec un soupçon de fierté au fond de ses yeux, elle déclara :

— Aucun mort, Achalmy.

J’eus presque envie d’aller en achever un, histoire de faire disparaître cette expression suffisante de son visage. Serrant les dents pour refouler ma colère, je grommelai :

— Estime-toi heureuse que certains soient inconscients et les autres trop touchés pour se lancer immédiatement à notre poursuite. (Comme elle me jetait un regard perplexe, j’ajoutai avec irritation :) Au cas où tu l’aurais oublié, tu as révélé bien haut et fort qui tu étais. J’espère qu’ils auront été refroidis par la puissance de nos pouvoirs.

Mon bras droit ayant un peu récupéré, je ramassai Kan et la rangeai dans son fourreau.

— Dépêchons-nous de partir. Plus vite on s’éloignera d’eux, plus on prendra d’avance s’ils se lancent à notre poursuite.


Nous nous arrêtâmes après avoir découvert un enfoncement rocheux sur le flanc d’une colline si aplatie qu’elle offrait un léger plateau à son sommet. Alice se chargea de nettoyer l’endroit à l’aide d’un de ses anciens vêtements qu’elle avait transformé en chiffon et de faire un feu. La caverne masquait en partie la fumée et la lumière, mais pas complètement. Au cours de la journée, ma compagne de route avait lancé des vents pour tenter de repérer de quelconques poursuivants. Ça n’avait rien donné. Je n’en restai pas moins sur mes gardes.

Je partis en quête de baies à manger. J’avais repéré des mûres sur des buissons le long de la route. J’en récupérai assez pour remplir mes mains en coupe puis les disposai dans un bol près du feu. Notre repas fut composé des fruits fraîchement cueillis et de légumes cuits à la vapeur dans une casserole en fer achetée au village que nous avions visité.

Grâce à un temps clément et à la fatigue due à mon usage idiot des éléments, je pus dormir profondément jusqu’à l’aube. Quand j’ouvris les yeux, Alice était déjà debout et avait ramené de nouvelles mûres qu’elle grignotait, le regard dans le vague.

— C’est marrant, je t’ai pas entendue ronfler, dis-je en guise de bonjour en me redressant.

À ces mots, elle darda des yeux froids sur moi puis détourna le visage, les pommettes roses. Sans plus attendre, je me servis en fruits et en eau. Je plaçai mon bol dans mes mains et concentrai mes pensées dans mes paumes. Une douce chaleur s’y insinua puis, quelques secondes plus tard, l’eau bouillait. Ignorant le regard surpris qu’Alice posait sur moi, je récupérai dans ma besace un sachet en tissu contenant des feuilles de thé séchées.

— Je… commença mon alliée en m’observant faire ma tisane, je… pourrai t’emprunter des feuilles ?

— Emprunter ? répétai-je d’un air amusé.

Elle s’empourpra puis grogna.

— Est-ce que tu peux me donner un peu de ton thé ?

— À vos ordres, princesse, soufflai-je d’une voix humble en lui tendant le sachet.

— Tu m’énerves.

Sans douceur, elle m’arracha le thé des mains et se prépara une tisane. Je la regardai faire, un sourire narquois collé aux lèvres.

Cinq minutes plus tard, alors qu’Alice essayait de faire chauffer son eau dans la casserole, je craquai.

— Bon, donne-moi ça, ordonnai-je en récupérant son bol.

J’y versai le contenu de la petite marmite et gardai l’ustensile entre les doigts jusqu’à ce que les premières bulles de l’ébullition apparussent. Une odeur de fleurs sauvages avait envahi notre abri.

— Voilà votre thé, votre altesse, déclarai-je d’un ton pompeux en tendant le bol à Alice et en effectuant une courbette.

— Arrête ta comédie ou j’électrocute à nouveau ton bras.

Amusé, je fis semblant d’être apeuré puis évitai de justesse un coup de pied de mon alliée.

— Tu es particulièrement énervant, Chasseur, marmonna-t-elle avant de porter les lèvres à sa tisane.

Un sourire plaqué sur le visage, je la regardai faire.

— Le thé est-il à votre convenance, chère Noble ? m’enquis-je en me rasseyant près du feu.

D’abord crispée par la chaleur, elle ne répondit pas puis hocha la tête.

— C’est parfumé, mais assez léger pour ne pas engourdir l’esprit.

Plutôt fier de moi, je lui adressai un large sourire qui lui fit hausser un sourcil.

— Ne crois pas que je t’ai pardonné pour autant, marmonna Alice en buvant lentement sa boisson chaude.

Ce fut à mon tour d’être étonné.

— Me pardonner ? C’est une blague ? Et quelle faute devrais-je expier, au juste ?

— Celle d’avoir essayé d’assassiner quelqu’un ! s’exclama-t-elle en écarquillant les yeux.

Je grimaçai.

— Alice, ces gars m’auraient tué et dépouillé jusqu’à ce que je sois nu comme un ver puis t’auraient violée et échangée contre une belle somme à tes parents s’ils avaient pu.

Choquée par mes propos crus, elle tressaillit et me dévisagea dans l’ombre de la minuscule caverne. Refusant de me laisser attendrir par son expression fragile à cet instant, j’ajoutai avec dureté :

— Il va falloir ouvrir les yeux, votre altesse, vous ne vivez plus dans un beau château protégé. (Je tendis la main vers le manche d’Eon qui reposait à mes côtes et en caressai les tissus entrelacés.) Il va falloir te faire à l’idée, qu’un jour ou l’autre, ce seront nos vies ou les leurs.


Nous traversâmes le reste de la frontière sans souci majeur. Nous faillîmes tomber dans une nouvelle embuscade après notre repas de midi, mais nous repérâmes un éclaireur avant que celui-ci ne nous vît. Alice l’assomma d’un éclair et nous cachâmes son corps sous un buisson touffu.

Profitant d’un sommet globalement plus élevé que les autres, nous localisâmes un chemin, sinuant entre une demi-douzaine de petites collines, qui nous évitait la troupe de malfaiteurs que nous avions remarquée.

Le soir, nous campâmes sur un petit plateau formé de collines serrées les unes contre les autres. Je fis un feu et Alice s’étendit dans l’herbe pour admirer les premières étoiles de la soirée. J’avais capturé un lièvre dans la journée et nous en fîmes notre diner avec quelques radis. Je finis par rejoindre ma camarade allongée à même le sol.

La voute céleste était très belle ce soir. Alice me demanda si je connaissais quelques-uns des astres lumineux. Un peu honteux, j’avouai que je me repérai grâce aux plus brillants ou à ceux qui ne bougeaient pas au fil des saisons. Visiblement fière, mon amie commença un exposé sur toutes les étoiles qu’on lui avait apprises au cours de son éducation.

Tandis qu’elle pointait du doigt, expliquait des anecdotes en ponctuant ses phrases de son rire léger comme une brise, exposait à mes oreilles l’étendue de ses connaissances, je songeais quel fossé nous séparait. Elle était princesse. J’étais roturier. Elle était une Noble. J’étais un Chasseur. Elle avait vécu toute son enfance dans un château protégé tandis que je me battais pour survivre.

Le soir, elle avait dansé, mangé et bu selon ses désirs. J’avais dû me rationner en fonction de la météo. Elle connaissait la géographie, l’histoire, les calculs, les lettres et la politique. Je savais tout juste lire et compter. Les plantes mortelles n’étaient plus un danger pour moi, mais j’aurais été incapable d’exposer mes savoirs dans un livre.

Sentant une certaine gêne dans mon silence, Alice finit par se taire pour se tourner vers moi. Une mèche de cheveux sombres resta coincée derrière son oreille.

— Tu ne te sens pas bien ?

Je l’observai à mon tour puis déglutis avec difficulté.

— Si. C’est juste que… Alice, pourquoi tu as fui ? (Devant son expression qui s’assombrissait, je me redressai vivement et repris :) Je veux dire, peu importe ce qui t’a poussée à fuir. Ce que tu affronteras dans le monde réel sera toujours plus compliqué et cruel. Tu as déjà dû le constater. Qui abandonnerait le confort d’une vie de château pour aller accompagner un inconnu sur les routes ?

— Moi.

Son ton était doux, son regard perdu vers l’horizon. Un vent frais souffla sur le plateau, soulevant nos cheveux et nos vêtements. Elle était jolie. Naïve, mais jolie.

— Ce serait mentir de dire que je ne regrette pas d’être partie. Je le regrette à chaque fois que je sens un caillou dans mon dos au moment de dormir. Quand le repas est si simple que j’ai l’impression de rester sur ma faim. Quand nos vies sont mises en danger et qu’on doit blesser des personnes pour s’en sortir.

Avec un soupir, elle ferma les yeux et s’allongea de nouveau dans l’herbe.

— Et je suis, en même temps, si contente d’être partie quand je sens la nature s’offrir librement à moi. Le vent sur ma peau, le goût des fruits sauvages sur ma langue, l’odeur de la terre fraîche à l’aube, les étoiles si pures.

Lentement, ses paupières se rouvrirent, comme si elle souhaitait admirer chaque détail du monde qui s’offrait à nous. Ses traits délicats se plissèrent tandis qu’une joie soudaine, franche et généreuse s’emparait d’elle. Sans que je susse pourquoi, elle se mit à rire. D’un rire puissant, mais enfantin.

Perplexe et silencieux, je la regardai faire. Soudain, sa main agrippa la mienne et je me figeai.

— Merci, Al, murmura mon amie. Merci de m’avoir donné le courage de quitter Vasilias. De m’avoir montré la réalité de ce monde.

Je ne répondis rien.

Sa main lâcha la mienne lorsqu’elle s’endormit à même le sol, son visage baigné par l’éclat des étoiles et de la lune. Elle ressemblait à une fille d’un autre temps. Entourée d’un halo de lumière et de végétaux.

Je recouvris son corps mince d’une couverture et la regardai dormir paisiblement.

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