Chapitre 3: Sous la pluie (partie 1)

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La pluie tombait à grosses gouttes et le tonnerre retentissait au loin, menaçant. Dans le ciel obscur de la nuit un croissant demeurait, seule source de lumière perçant à travers les nuages noirs, se moquant des intempéries.

Sous la pluie, une calèche progressait lentement sur un petit sentier boueux. Seul le bruit des roues en bois en contact avec la terre mouillée s’entendait au loin, comme un grattement qui remuait à travers le sol, à la manière d’une onde incessante et inquiétante.

Seul à l’intérieur, Fabien observait d’un œil distrait le paysage morne qui s’offrait à lui, désolant spectacle que la pluie rendait plus amer encore. C’est là que parmi l’étendue des champs dévastés et des arbustes délabrés, il l’aperçut. D’ abord vacillante, la silhouette paraissait plutôt une hallucination visuelle, mais tandis que la calèche gagnait du terrain, elle s’affirmait et prenait forme. On aurait presque dit une femme, tenant un parapluie dans sa main gauche, et semblant attendre quelque chose ou quelqu’un…

C’est alors que sans crier gare, l’ombre silencieuse disparut sans laisser de traces, laissant place au silence de la plaine désolante, triste et sans couleurs. En cet instant précis, il y eut un bruit. Retentissant et dérangeant. Interrompant subitement la douce mélodie de la pluie. Les roues de la calèche s’enfoncèrent un peu plus dans les miasmes boueux du sol, alors que cette dernière s’arrêtait, dans un silence perturbant. C’en était inquiétant. Le bruit, qui n’ avait pas encore cessé, s’apparentait à un cri strident et inquiétant. La voix, féminine et pourtant caverneuse, rappelait la cloche d’un couvent maudit. Sifflante et hurlante, la plainte s’approchait et faisait frémir Fabien. Par petites variations, le cri devenait et plus fort par moments et plus faible par d’autres. Le souffle court, la gorge sèche, le jeune homme commençait à ressentir une peur insondable. Une peur ancienne et primordiale, et pourtant souvent oubliée: la peur de l’inconnu.

La plainte faiblit, jusqu’à devenir presque inaudible, déjà comme un souvenir lointain d’une peur lointaine et injustifiée. On n’entendait dès lors plus que la pluie qui battait contre les vitres embuées de la calèche. Se redressant sur son siège, Fabien, les mains moites, interpella le cocher. Une fois, deux fois… sans réponse. Alors dans un sursaut de courage, il ouvrit la portière pour se retrouver au dehors, sous la pluie qui lui martelait les tempes. Les cheveux plaqués en arrière par la sueur et l’eau, la veste totalement imbibée, il avait une drôle d’allure. « Quel sale temps ! » dit-il à voix haute comme pour se sentir moins seul.

Il avança d’un pas pressant et dépassa la calèche pour réaliser avec stupeur que le cocher l’avait abandonné à son sort, seul, sous la pluie, avec la chose terrifiante qui rôdait dehors. Mais ce qui le surprit encore plus, c’était le fait que le conducteur ait emmené avec lui l’attelage, alors même que les seules traces de pas visibles sur le sentier étaient celles d’un homme, et de grande pointure apparemment.

Mais au moment où il s’apprêtait à remonter dans la calèche pour appeler les secours, Fabien ressentit un frisson glisser le long de son échine comme si une main frigorifiée parcourait la courbe sinueuse de sa colonne vertébrale: la plainte avait repris, plus forte et plus terrifiante encore que jusques alors.

Il sentait son cœur battre au point qu’il allait exploser. La voix sépulcrale le paralysait, l’obligeant à rester sur place. Tandis que la pluie redoublait de puissance, derrière un petit buisson, à une bonne vingtaine de mètres de lui, il l’aperçut de nouveau: la femme au parapluie. Ses mains, d’un teint atrocement pâle, contrastaient avec les vives couleurs de sa tenue orientale. Peu à peu, le dos tourné vers lui et semblant inanimée, elle se retournait, lentement, très lentement… Au rythme de la pluie, mais aussi au rythme de la plainte, qui grandissante, se faisait de plus en plus proche.

C’était trop pour lui. Fabien, enfin libéré de son emprise, se précipita à l’intérieur de la calèche et referma violemment la portière derrière lui. Blotti contre son siège et transi de froid, il tremblait de toutes parts, n’osant pas jeter un seul regard au dehors. Lentement, à son propre rythme, il essayait de se redresser et de reprendre son calme. C’est ainsi que déterminé, il sortit son téléphone de sa poche, décidé à appeler de l’aide. La menace était au dehors, et il ne risquait rien s’il pouvait résister en restant dans le véhicule, en bloquant tout accès à l’apparition monstrueuse qui voulait sûrement porter atteinte à sa vie.

Tandis qu’il reprenait alors ses esprits, encore chamboulé et déstabilisé par la scène terrifiante, il vit ce détail. Ce fameux détail. Non, son œil ne le trompait pas. Ça ne pouvait pas être le cas, mais alors comment ? Oui, comment ?

Comment avait-elle pu entrer ainsi, sans un bruit, sans ouvrir la portière ?

COMMENT ?

Fabien n’était pas fou, non ! Il le voyait de ses propres yeux, et cela lui suffisait amplement pour ressentir à nouveau cette peur dont on ne peut se séparer. Il l’avait d’abord vu du coin de l’ œil, et n’avait pas voulu y croire un seul instant, non. Mais lorsqu’il avait fait volte-face pour vérifier son mauvais pressentiment, il n'avait pas pu se retenir de hurler de terreur, ou plutôt non ! Sa peur avait été si grande, que le cri qu’il avait voulu pousser avait été comprimé à l’instant même dans sa gorge, en émettant un couinement pathétique rappelant celui d’un chien abandonné.

Le visage de la femme, livide, était parcouru d’une effroyable grimace, et ses petits yeux sournois semblaient guetter le moment propice pour le dévorer. Menaçante, elle se penchait, son visage de plus en plus proche de celui de Fabien, et de seconde en seconde devenait plus sinistre encore. La bouche de cette dernière s’ouvrit alors sur des dents d’un blanc immaculé, dans un rictus ignoble et repoussant.

C’est à ce moment-là, alors que sa tête se trouvait à peine à quelque centimètres de celle du jeune homme, qu’elle prononça ces mots, presque aussi troublants que son existence elle-même:

« Il approche… plus que neuf jours… »

Et avant même qu’il ne puisse faire quoi que ce soit, la femme disparut.

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