Antoine - Quand on y repense

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Le petit sac à puces sans puce ne me lâche pas du regard. Elle a faim, la bestiole. Mais je ne peux pas lui donner le moindre truc à manger. Il y a des moments précis dans la journée où le chien doit être nourri et nous ne sommes dans aucun d’entre eux. Si on commence à lui donner de la bouffe en plus, c’est la porte ouverte vers un peu plus d’excès chaque jour pour qu’au final le clebs, que je ne voulais même pas, devienne un de ses gros chiens trop nourris.

Et non merci hein, pas de ça dans mon appart.

Certaines personnes cèderaient devant ce petit chiot adorable, ma femme par exemple. Mais pas moi. Mon cerveau a beau m’envoyer tout plein de signaux sur la mignonitude de cette petite créature, ça ne me fait ni chaud ni froid. Et cette espèce d’anti réaction est valable pour pas mal d’autres choses, n’ayant rien à voir avec les canidés. Dans la vie il y a plein de, comment appeler ça, « trucs à émotions » qui ne me touchent pas. Quand j’étais gamin et que je voyais un matou écrasé sur la route, je m’en foutais. Pourtant j’avais bien en tête que ce n’était qu’un petit animal tout chouchou qui n’avait rien fait d’autre que d’essayer de traverser la rue au mauvais moment pour aller de l’autre côté; peut me chaut, comme dirait mon père.

Je savoure ce moment de solitude (humaine, le clebs couine toujours à côté de moi). Ce qu’il y a de mieux dans ce genre d’instants est étrangement similaire à ce qu’il y a de pire : ils ne durent pas. C’est génial parce que savoir qu’il va bien finir par s’achever rend chaque minute de tranquillité plus attrayante mais c’est aussi pénible parce qu’on sait que ça ne dure souvent pas assez longtemps. Et cet état d’esprit est applicable également à nos vies : rien ne dure, c’est une bénédiction divine et une malédiction de tous les diables. Le bon côtoie le mauvais, pas d’ombres sans obscurités blablabla Yin, Yang.

Vers huit heure Kate devrait être debout, et à neuf, je partirais pour le boulot. Pas parce que j’y suis forcé, le boss de la boite c’est bibi et je me pointe quand bon me semble, mais parce qu'il faut que je me force à garder un train de vie. Quand je suis arrivé en Angleterre avec deux millions en poche, j’aurais pu me payer un chouette appart ou une chouette baraque et mettre définitivement les pieds sous la tables jusqu’à la fin de ma vie. Et putain, c’est ce que j’ai été tenté de faire. Me la couler douce jusqu’à la fin de mes jours. Passer mon temps à faire la fête, baiser et dormir. Mais ce qu’il y a de paradoxal avec la vie facile, c’est qu’elle est à double tranchant et quand le revers de la médaille d’une vie basée sur la luxure, la débauche et la paresse vient t’éclater à la figure, tu y laisses définitivement quelques dents.

Inutile d’avoir fait polytechnique pour comprendre qu’une vie de ce genre pourrait vraiment être agréable pendant plusieurs années mais qu’un beau jour on finirait par se réveiller lassé et dépressif, toute cette euphorie éphémère nous paraissant à présent bien fade, dénué d’intérêt et avec en prime en travers de la gorge le profond sentiment de n’être rien d’autre qu’une espèce de merde bien puante. Et à mon avis, quand on finit par se lasser de ceux genres de choses, c’est qu’on est foutu. Pourquoi y-a-t-il autant de gosses riches dépressifs ? Parce que ses privilégiés pourris gâtés ont toujours eu tout ce qu’ils voulaient, et quand on a tout ce qu’on veut, on commence à sérieusement s’emmerder. C’est élémentaire.

La lassitude profonde : un risque, et l’ennemi public numéro 1. Ayant peur de faire un jour sa connaissance, j’ai décidé de faire appel à son ennemi juré, l’empêchant de faire son apparition : le travail.

Pour profiter pleinement d’un plaisir nocturne, rien de tel que de s’ennuyer une journée au boulot et de recommencer le lendemain. Ou le surlendemain quand on a abusé de certaines substances en boîtes la veille après avoir dit à sa femme qu’on allait rentrer très tard à cause d’une outrance de paperasse administrative.

Si je suis devenu propriétaire d’un hôtel, enfin copropriétaire dans un premier temps avec ce bon vieux Harry, c’est principalement pour avoir un endroit où trimer et garder les pieds sur terre mais aussi, bien sûr, pour une finalité lucrative. J’ai d’abord recherché à ouvrir sur Londres, mais j’ai vite déchanté quand j’ai vu les pris des bâtiments : dans le meilleur des cas, j’y aurais laissé la quasi-totalité de mon pognon, et ça c’était hors de question, putain. Il a fallu que je me rende à l’évidence : avoir mon hôtel in London n’était pas envisageable. En revanche, dans une ville aux alentour, pourquoi pas ! C’est vrai quoi, beaucoup de touristes américains obèses qui partent visiter Paris sur plusieurs jours réservent souvent des hôtels hors capitale, alors si je devais posséder un hôtel en Angleterre, ce serait hors de Londres.

En cherchant, non sans difficulté, j’ai trouvé un hôtel en vente largement dans le budget que je m’étais fixé, à Reading. Cette fameuse trouvaille me ravit : un trois étoiles populaires à une heure dix de la capitale, le jackpot. L’affaire était à vendre à cause de la santé de l’ancien gérant qui était au plus bas. Le type voulait refourguer son bien pour pouvoir être pris dans le meilleur hôpital possible. Et ce fut tout bénef pour moi.

Le seul souci, qui pointa rapidement le bout de son long nez, c’était le fait que je n’étais pas le seul sur le coup. Harry Callum, un investisseur qui commençait à se faire un nom dans le milieu, avait lui aussi des vues sur le bâtiment. On s’est vu plusieurs fois lui et moi pour discuter de tout ça, et au final on s’en est sorti en achetant l’hôtel tous les deux, à parts égales et à contre cœur. On voulait tous les deux êtres l’unique Taulier, moi parce que l’un de mes objectifs dans cette histoire était de n’avoir de comptes à rendre à personne, tout comme lui, en plus du fait que ne pas être l’unique proprio faisait mal à sa réputation à ses ambitions et surtout, soyons honnête, à son égo d'homme d'affaire à la con. Mais cet enfoiré cupide avait un plan en tête : sachant pertinemment que je voulais être seul maître à bord et que notre affaire devrait à priori bien marcher vu la réputation favorable de notre hôtel avant la vente, il comptait tenter de me vendre sa part à prix d’or.

Mais il y eut un hic dans son idée de rapace : notre hôtel se mit en effet à bien fonctionner et à nous rapporter, par contre sa boîte de nuit à Londres qu’il venait de rénover et d’ouvrir fit un flop, à tel point qu’entre l’argent qu’il avait investi dans la discothèque et l’état désertique dans laquelle se trouvait cette dernière, non seulement le mec ne fit aucun bénéfice par cette acquisition mais elle lui fit même perdre du fric. Pour se refaire, il n’avait plus d’autre choix que de revoir ses ambitions à la baisse et de revendre sa part de l’hôtel à un prix plus bas qu'il ne l'eu prévu, ce vautour de mes deux.

Il l’avait dans le cul et moi je devenais l’unique propriétaire du Comfort Hostel.

Et si tout ça fut possible, c'est parce que j'ai royalement baisé la gueule de mes deux meilleurs potes il y a quatre ans.

J'ai pas honte. JE N'AI PAS HONTE.

La voix de Kate me sort de mes songeries :

  • Hello !

Je jette un coup d’œil à l’heure sur mon téléphone : huit heures moins le quart. Tiens, elle s’est levé plus tôt que je ne l'avais prévu. Mon moment solo s’arrête mais ce n’est pas bien grave: finalement il a duré suffisamment longtemps. Je me retourne vers Kate et lui sors dans un parfait anglais :

  • Salut, ma puce. J’ai fait du café.

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