Chapitre 2 : Fiat lux

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Les décharges électriques, bien que légères, avaient fini par le réveiller. Cependant, cette sensation, il l’avait éprouvée, déjà, quelques mois auparavant, au cours d’une sinistre soirée. Assis, il ne pouvait pas bouger, enchaîné sur une chaise. Il perçut toutefois une petite différence, qui pourrait tout changer. Il n’était pas seul, une voix douce lui parlait, la voix de Marie.

— Je sais que tu m’entends et que tu ne peux pas répondre. La douleur, dans le bas du dos, si tu la sens, cligne une fois des yeux. Deux fois si tu ne sens rien.

Hector cligna des yeux une fois, ce qui rassura Marie.

— Parfait, c’est un des cadeaux de ton ami. Je vais te poser des questions auxquelles tu devras répondre par oui ou non, en clignant des yeux. As-tu les mains dans le dos ?

Hector cligna des yeux une fois.

— Très fort. Peux-tu toucher ton dos avec tes doigts ?

Hector cligna des yeux une fois.

— Tu sens une bosse près de la décharge électrique ? J’envoie.

Hector cligna des yeux une fois.

— OK. À la prochaine décharge, appuie sur cette bosse. Si tu sens une vague de froid monter de ton dos, cligne des yeux une fois. J’envoie.

Hector cligna des yeux une fois.

— Ils vont arriver, et sûrement te faire une injection. Ce que tu viens de faire t’immunisera. On reste en contact.

Hector cligna des yeux une fois. La porte s’ouvrit, le docteur Winter et un de ses sbires entrèrent dans la pièce. Le Docteur s’approcha d’Hector et lui fit une injection dans le cou.

— Monsieur Fischer, vous avez bien dormi, dites-moi ?

La voix de Marie donna à Hector une information importante.

— Faux accent, apparemment…

— Assez joué la comédie, Winter, Vous ne parlez sûrement même pas un traître mot d’allemand. Ne vous fatiguez pas, votre accent ne berne personne.

— hmm… Vous êtes fort, Monsieur Fischer. Je n’en reste pas moins docteur en médecine. Aussi je vous prierai de respecter mon titre.

— En ce qui me concerne, vous pouvez avoir tous les diplômes que vous voulez, vous êtes avant tout un scélérat de la pire espèce. Maintenant, si vous ne m’avez pas éliminé, c’est que vous avez un truc à me demander, je suppose. Alors allons-y, qu’on en finisse…

— Ne soyez pas mauvais perdant, vous en devenez blessant, Monsieur Fischer. Vous n’êtes pas dans une position confortable pour me manquer de respect.

— Croyez-moi, je préfère ma position à la vôtre.

— Le pion ne veut pas la place du maître du jeu… Voyez-vous ça…

— Le jeu auquel vous jouez, vous n’en êtes pas plus le maître que moi… Bien que vous en soyez convaincu, c’est un leurre. Plus dure sera la chute…

— Monsieur Fischer, c’est vous qui vous leurrez, vous avez mis le doigt dans un engrenage qui vous écrasera. Pourquoi ? Pour me faire tomber pour manquement à l’éthique ? Comme cette petite conne de rééducatrice ?

— Vous avez tout fait pour la décrédibiliser, parce que vous ne pouviez décemment pas la tuer… Elle faisait partie de la famille malgré tout…

— Je vois que vous devez être un enquêteur de qualité. Vous êtes bien renseigné… Puis-je savoir quelles sont vos sources ?

— Winter et son fils étaient les seuls parents de John encore vivants, reprit la voix de Marie, à part ses filles, bien sûr.

— Ne vous inquiétez pas pour votre neveu, pas besoin de le déshériter, il ne m’a rien dit, il ne sait même pas qui je suis.

— À la bonne heure, j’en aurais été désolé…

— Et oui, qui pour épauler votre fils à la succession, n’est-ce pas ?

— Précisément, ce n’est pas que je porte mon neveu particulièrement dans mon cœur, mais c’est le fils de ma défunte sœur, et il a les reins assez solides pour s’assurer que la succession se passe le mieux possible pour mon fils.

— Bien joué, admira Marie.

— Maintenant, Monsieur Fischer, assez joué, comme vous me l’avez si bien dit. L’injection que je vous ai faite va commencer à faire effet. Vous allez devoir me dire ce que je veux savoir, sous peine de voir l’antidote disparaître irrémédiablement.

— D’après l’analyse, reprit Marie, le produit injecté est un sérum que notre injection a neutralisé momentanément. C’est le froid que tu as ressenti. Ça te laisse un peu de temps.

— Alors, Monsieur Fischer, qui êtes-vous ? Un journaliste, un flic, un privé ? Un hippie de je ne sais quelle association ?

— Je travaille en solo. Je cherche quelqu’un.

— Non, protesta Marie, ne lui dit rien…

— Votre vieil ami, sans doute. Celui qui m’a parlé de vous ? Je n’ai pas le souvenir qu’il ait mentionné d’enquête. Il avait même l’air plutôt bienveillant pour nos activités.

— Vous faites fausse route… Mais je me demande à quel point vous le faites exprès…

— Vous avez raison, je vous taquine. Il s’agit donc de cette petite pute française qui a épousé mon neveu ? Vous me semblez tellement bien renseigné…

— Elle a menacé de vous dénoncer publiquement, c’est ça ?

— Pensez-vous, elle n’avait rien découvert. Elle a juste eu des doutes, quand un de ses patients, un de mes patients, en a dit un tout petit peu trop sur le pourquoi de son hospitalisation.

— Le fameux patient qui vous avait prévenu de mon arrivée…

— Un sacré beau-parleur, celui-là. Il a fallu qu’il fasse le malin devant ce joli petit lot. Quand mon neveu a réussi à la convaincre qu’elle perdait la boule, on en a été débarrassé. Je me demande bien ce qu’elle est devenue, cette petite salope…

— Vous l’avez deviné, c’est elle que je cherche.

— Allons bon, elle se serait si bien caché que vous ne puissiez la retrouver ? Et pourquoi la recherchez-vous, au juste, Monsieur Fischer ?

— Je bosse en solo, mais pas pour mon seul compte…

— Ne me dites pas que mon neveu veut retrouver sa petite princesse… Non ! c’est vous ? Oh ! Non… vous avez un contrat… Aaaa ! j’adore ce jeu ! Si seulement j’avais le temps de jouer… Allez dites-moi tout… ou regardez cette fiole, votre espoir, finir au fond des toilettes.

— Je ne vous donnerai pas de nom, mais des intérêts haut placés seraient intéressés par ce qu’elle a à raconter sur vos activités secrètes de « chirurgie réparatrice » pratiquées de père en fils, depuis la fin de la guerre. Vous pensiez vraiment pouvoir continuer combien de temps sans être inquiétés ?

— FBI ? CIA ? Interpol ? Je crois que vous bluffez, Monsieur Fischer… Ces gens-là ne s’intéresseraient pas à une clinique comme la mienne…

— À moins que ???

— À moins qu’un patient ne sorte d’ici avec la langue un peu trop bien pendue ?

— Il semble que ce genre de patient se soit déjà manifesté, non…

— Un malheureux exemple que nous avons su garder sous notre contrôle. Et sans grandes conséquences, d’ailleurs. Mais je vois que vous n’êtes pas décidé à me parler sérieusement. Dites adieu au remède miracle. Dans deux heures, vous ne serez plus que de l’histoire ancienne… Bron, take him to the desert (1). Les loups se chargeront de vous, s’ils vous trouvent à leur goût…

— On sait exactement où tu es, prévint Marie, on vient te récupérer, ne t’inquiète pas pour les loups, ni pour le sérum.

Quinze minutes plus tard, Hector fut sorti manu militari d’une voiture et jeté sur le bas-côté de la route, au milieu de nulle part. La voiture continua son chemin. Hector se releva, ressentant une douleur naissante derrière les yeux, à laquelle il attribua la vision déformée du jet qui arrivait. Plus petit, plus affûté, la couleur était aussi un peu nuancée. Un jeune homme d’une vingtaine d’année en sortit alors que le jet s’était approché du sol, et attrapa le bras d’Hector, qu’il installa sur ses épaules pour l’aider à marcher. L’intérieur du cockpit ressemblait à celui du jet qu’Hector connaissait, sans pour autant être rigoureusement le même. La vision déformée du jet n’était pas liée à la douleur… Marie était là, qui attendait la venue de son ami.

— Vite, une prise de sang. Ça va aller, on a encore du temps, mais on ne doit pas traîner.

— Je commence à sentir une migraine, informa Hector.

— Tu aurais dû la ressentir au début de l’interrogatoire. Tu pourras remercier ton pote.

— Il est où ?

— On l’a localisé il y a deux heures dans son bistrot préféré, avec Joanie. Elle voulait lui parler, en savoir plus sur toi, sur sa mère, sur Alban…

— Comme ça, ce sera fait. On a avancé, de notre côté.

— Pas qu’un peu ! Ton docteur, au moins, on sait qu’il ne sait rien… ou quasiment.

— Soit il ne sait vraiment pas que Hélène et John sont morts, soit il est bon comédien !

— Et il n’a pas l’air de savoir dans quoi il est embarqué…

— Il semble persuadé qu’on veut le faire tomber pour des questions d’éthique…

— Et Dieu sait qu’il y aurait à faire.

— T’inquiète, ça, ce sera un bonus.

— Mais on doit toujours trouver qui tire les ficelles…

— Là-dessus, je commence à avoir une petite idée.

— Tu partages ?

— Celui auquel tout le monde pense, mais qu’on a tous éliminé de la liste des potentiels pour une raison désormais caduque…

— Attends ! Tu n’y penses pas… On était d’accord, ce n’est pas possible… Qu’est-ce que tu as découvert, là-bas ?

— Quoi, tu n’as pas vu ? On n’était pas branché ?

— Pas encore, ton pote ne nous a envoyé le lien pour la vidéo qu’après plusieurs heures, quand tu étais dans les vapes. Explique-toi.

— Sauve-moi la vie, ensuite, on va à l’Apocalypse, et tâche de retrouver les parents d’Hélène, je dois leur parler.

— Après tout ce temps, après tout ça ? Tu crois qu’ils vont te laisser entrer ?

— J’ai un laissez-passer ! Mais dis-moi, on est où, là ? Ah…, plus tard, je sens que j’ai besoin de dormir.

Le jeune pilote, intrigué par le visage perplexe de Marie, l’interrogea.

— C’est ce qu’il a dit, la personne qui tire les ficelles, ça n’a pas de sens…

— Comment ça ?

— On a tous pensé à lui dès le début, parce qu’il aurait eu toutes les raisons de s’attaquer à Hector… s’il était encore en vie…

— Mais qui ?

— Alban ! Le fils de l’Étrangleur.

— Et pourquoi vous pensez tous qu’il est mort ?

— Le coup de la double attaque, il avait pris la fameuse Hélène et son mari en otage. Hector y est allé, il était déterminé, il les a libérés, tout seul.

— Ne me dis pas qu’Hector l’a tué…

— Non, ils se sont battus, expliqua Marie, il a essayé de lui échapper, mais Hector ne l’a pas lâché. Il a fait une chute, il est tombé d’une falaise, dans la mer.

— On est sûr qu’il y est resté ?

— Vu la hauteur de la chute, il n’y a que peu de doute… Et puis, quelque temps plus tard, on a retrouvé des restes, que la mer a recrachés…

— Comment tu sais que c’était Alban ? Et si c’était lui, il aurait peut-être pu en réchapper quand même…

— On a fait des analyses en comparant avec des échantillons d’ADN, qu’on avait. J’ai supervisé moi-même les recherches. Je suis affirmative, c’était bien lui. Quant à savoir s’il aurait pu survivre sans les morceaux qu’on a retrouvés, un avant-bras, je veux bien qu’on puisse s’en passer, mais une mâchoire inférieure, tu en penses quoi ?

— Ok, tu marques un point… Mais alors, Hector, il a vu quoi, là-bas ?

— On le lui demandera quand il sera sur pied, planifia Marie. En attendant, on le ramène au centre, ensuite, je vais chercher sa voiture, il faut que tu me déposes. Après ça, tu rapportes cet engin là où tu l’as pris. Il faut aussi qu’on contacte Roger, qu’il vérifie si les parents d’Hélène habitent toujours au même endroit.

— Et c’est tout ?

— Pas tout à fait. Je veux que tu me promettes une chose.

(1) Bron, emmenez-le dans le désert.

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