Balzac suite et fin

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Voici une dernière série de portraits choisis parmi la centaine que j'ai collectés au fil de mes lectures. Ils évoquent tous les contrastes et la démesure du personnage.


Balzac à 29 ans

En 1828 Balzac trouve dans un épisode de la guerre des Chouans le sujet d’un roman, mais comme à son habitude il aime se documenter sur place. Il ne craignait jamais de faire un voyage afin de visiter une ville, une rue, un monument pour s'imprégner des lieux et y placer des scènes de ses romans.

Balzac fait appel à un ami de son père, le général baron de Pommereul qui habite Fougères. Sidonie de Pommereul épouse du général, décrit l’arrivée de Balzac. C’est, à notre avis, l’une des plus belles descriptions de Balzac, par sa fraîcheur, sa spontanéité et sa vraisemblance.

« C’était un tout petit homme, avec une grosse taille qu’un vêtement mal fait rendait encore plus grossier ; ses mains étaient magnifiques ; il avait un bien vilain chapeau (qu’on alla remplacer aussitôt, non sans peine, à cause de la grosseur de sa tête, chez l’unique chapelier de Fougères) ; mais aussitôt qu’il se découvrit, toute le reste s’effaça. Je ne regardai plus que sa tête…Vous ne pouvez pas comprendre ce front et ces yeux-là, vous qui ne les avez jamais vus : un grand front où il y avait comme un reflet de lampe et des yeux bruns remplis d’or qui exprimaient tout avec autant de netteté que la parole. Il avait un gros nez carré, une bouche énorme qui riait toujours malgré ses vilaines dents. Il portait la moustache épaisse et ses cheveux très long rejetés en arrière. À cette époque, surtout quand il nous arriva, il était plutôt maigre et nous parut affamé. Il dévorait, le pauvre garçon.Que vous dirais-je ? Il y avait dans tout son ensemble, dans ses gestes, dans sa manière de parler, de se tenir, tant de confiance, tant de bonté, tant de naïveté, tant de franchise, qu’il était impossible de le connaître sans l’aimer…une bonne humeur tellement exubérante qu’elle en devenait contagieuse. En dépit des malheurs qu’il venait de subir, il n’avait pas été un quart d’heure au milieu de nous, nous ne lui avions pas encore montré sa chambre, et déjà il nous avait fait rire aux larmes, le général et moi. »


Balzac à 30 ans


Éprouvée par de grands revers de fortune, Mme Récamier s’était réfugiée à l’Abbaye-aux-Bois. Son salon était fréquenté par toutes les célébrités de l'époque : Chateaubriand, Lamartine, Benjamin Constand. Mme d’Abrantès y introduisit Balzac.

« Regardez avec soin ce jeune homme à l’œil charbonné, à la chevelure de jais ; regardez son nez, sa bouche surtout, lorsqu’un souvenir malin vient en relever les coins ; voyez-vous une sorte de dédain, ou de malice, dominer dans son regard où cependant il y a de la bonté pour ses amis ? Ce jeune homme, c’est Monsieur de Balzac. Il n’a que trente ans, mais déjà bien des volumes sont sortis de sa plume ».

Naïveté, puérilité, bonté, ces trois mots reviennent sous la plume de tous les contemporains.

Georges Sand : « Puéril et puissant, toujours envieux d’un bibelot et jamais jaloux d’une gloire, sincère jusqu’à la modestie, vantard jusqu’à la hâblerie, confiant en lui-même et dans les autres, très expansif, très bon et très fou, avec un sanctuaire de raison intérieure où il rentrait pour tout dominer dans son œuvre, cynique dans la chasteté, ivre en buvant de l’eau, intempérant de travail et sobre d’autres passions, positif et romanesque avec un égal excès, crédule et sceptique, plein de contrastes et de mystères… »

Le portrait tracé par Vigny est moins flatteur : « C’était un jeune homme très sale, très maigre et très bavard, s’embrouillant dans tout ce qu’il disait et écumant en parlant parce que toutes ses dents d’en haut manquaient à sa bouche trop humide».

Dans le portrait qu’a griffonné Gavarni, la malveillance est flagrante : « Indécrottable, ouvrant de grands yeux à tout ce qu’on lui disait, en même temps naïf et étonneur(sic) des gens par des connaissances qu’il n’avait pas ; voyant un tas de bois dans la rue et vous disant ; il y a cinq minutes qu’il y a une contravention de tant, et ce n’était pas vrai ! Sale, malpropre, portant des gilets blancs ridicules, achetant quai Lepelletier, dans des allées, des chapeaux de maçon avec un fond de lustrine bleu…Mangeant d’une façon terrible, comme un porc, bête et ignare dans la vie privée. »


En 1837 Balzac, se rend à Milan pour fuir ses créanciers, toute l’aristocratie milanaise et les salons littéraires les plus fermés lui ouvrent leurs portes. Chez l’écrivain Alexandre Manzoni, il rencontre l’historien Césare Cantu qui nous a laissé un portrait peu flatteur : « Grand corps, grand nez, vaste front, cou de taureau entouré d’une espèce de ruban qui figurait une cravate, œil de dompteur de fauves, épaisse chevelure abritée par un grand chapeau mou, tête puissante remplie d’idées extraordinaires, avide d’argent, perdu de dettes, plein de lui-même, il voulait paraître excentrique en tout pour faire parler de lui. »


Balzac vu par Lamartine

Balzac rencontre Lamartine chez Delphine de Girardin en 1832. Lamartine nous a laissé ce magnifique et émouvant portrait inspiré par le génie de Balzac.

« Balzac était debout devant la cheminée de marbre du salon. Il n’était pas grand, bien que le rayonnement de son visage et la mobilité de sa stature empêchassent de s’apercevoir de sa taille ; mais cette taille ondoyait comme sa pensée. Entre le sol et lui il semblait y avoir de la marge ; tantôt il se baissait jusqu’à terre comme pour ramasser une gerbe d’idées, tantôt il se redressait sur la pointe des pieds pour suivre le vol de sa pensée jusqu’à l’infini. Il ne s’interrompit pas plus d’une minute pour moi : il était emporté par sa conversation avec monsieur et madame de Girardin. Il me jeta un regard vif, pressé, gracieux, d’une extrême bienveillance. Je m’approchai de lui pour lui serrer la main ; je vis que nous nous comprenions sans phrase, et tout fut dit entre nous. Il était lancé ; il n’avait pas le temps de s’arrêter. Je m’assis, et il continua son monologue comme si ma présence l’eût ranimé au lieu de l’interrompre… Il était gros, épais, carré par la base et les épaules ; le cou, la poitrine, le corps, les cuisses, les membres puissants ; beaucoup de l’ampleur de Mirabeau, mais nulle lourdeur. Son âme portait tout cela légèrement, gaiement, comme une enveloppe souple, et nullement comme un fardeau. Son poids semblait lui donner de la force, et non lui en retirer. Ses bras courts gesticulaient avec aisance ; il causait comme un orateur parle. Sa voix était retentissante de l’énergie un peu sauvage de ses poumons, mais elle n’avait ni rudesse, ni ironie, ni colère. Ses jambes, sur lesquelles il se dandinait un peu, portaient lestement son buste ; ses mains grasses et larges exprimaient en s’agitant toute sa pensée. Cette parlante figure, dont on ne pouvait détacher ses regards, vous charmait et vous fascinait. Les cheveux flottaient sur le cou en grandes boucles, les yeux noirs perçaient comme des dards émoussés par la bienveillance ; ils entraient en confidence dans les vôtres ; les joues étaient pleines, roses, d’un teint fortement coloré : le nez bien modelé, quoique un peu long ; les lèvres découpées avec grâce, mais amples, relevées par les coins ; les dents inégales, ébréchées, noircies, la tête souvent penchée de côté sur le cou et se relevant avec fierté en s’animant dans le discours. Le trait dominant du visage, était, plus même que l’intelligence, la bonté communicative. Il vous ravissait l’esprit quand il parlait ; même en se taisant, il vous ravissait le cœur. Aucune passion de haine ou d’envie n’aurait pu être exprimée par cette physionomie : il lui aurait été impossible de n’être pas bon. Mais ce n’était pas une bonté d’indifférence ou d’insouciance, c’était une bonté aimante, charmante, intelligente, qui inspirait la reconnaissance et la confidence et vous défiait de ne pas l’aimer. Je l’aimais déjà quand nous nous mîmes à table. Il me sembla que je le connaissais depuis mon enfance ; il me rappelait ces aimables curés de campagne de l’ancien régime, avec quelques boucles de cheveux sur le cou et toute la charité joviale du christianisme sur les lèvres. Un enfantillage réjoui, c’était le caractère de cette figure ; une âme en vacances quand il laissait la plume pour s’oublier avec ses amis ; il était impossible de n’être pas gai avec lui. Sa sérénité enfantine regardait le monde de si haut qu’il ne lui paraissait plus qu’un badinage, une bulle de savon causée par la fantaisie d’un enfant. »


Balzac en 1835


Le 20 mai 1835 Balzac, muni d’une recommandation de Mme de Castries, se rend chez le prince Clément de Metternich, chancelier d’Autriche. La princesse Mélanie, troisième femme du chancelier, note dans son journal :

« Balzac me fait l’effet d’un homme simple et bon, exception faite de son costume qui est fantastique. Il est petit et corpulent, mais ses yeux et sa physionomie annoncent beaucoup d’esprit. »


Portrait par Eugène de Mirecourt


« Figurez-vous un petit homme gros, gras, trapu, large des épaules, assez mal ajusté d’ordinaire, avec une tête ornée de cheveux grisonnants, longs, plats et mal peignés ; une face de moine, large, rubiconde, joviale ; une bouche grande, riante sous une paire de moustaches ; des traits dont l’ensemble offrait quelque chose de commun, n’était l’œil qui, quoique petit, avait une finesse et une variété extraordinaires. On le disait très séduisant auprès des femmes ».


Balzac dépeint par Théodore de Bainville (date incertaine) :

« Tête lumineuse, puissante et chevelue, éclairée par toutes les flammes de la bravoure et du génie. »


Balzac en 1842


La première fois que la baronne Luise von Bornstedt (femme de lettres allemande), voit Balzac, elle est frappée par son aspect léonin

« Il était d’une apparence plus petite que grande, corpulent, planté sur des jambes fines et des pieds élégants et bien formés ; la tête semblait d’une grosseur extraordinaire ; de longs cheveux bruns et brillants, parsemés de fils d’argent, pendaient de chaque côté : le front était bas, les joues pleines, presque pendantes, et, au-dessus d’un nez lourd et grossier, deux yeux à la fois merveilleusement doux et spirituels formaient un tel contraste que toute conception que l’on se faisait du célèbre romancier s’en trouvait anéantie. ».


Balzac par lui-même (1842) :


Balzac a beaucoup livré de sa vie dans ses œuvres, il y a décrit entre autres, ses ambitions politiques (Alber Savarus) , ses conceptions financières (César Birotteau, les Petits bourgeois). Il donne ses traits et sa tournure à Albert Savarus en idéalisant un peu :

« Une tête superbe : cheveux noirs, mélangés déjà de quelques cheveux blancs, des cheveux comme en ont les saint Pierre et les saint Paul de nos tableaux, à boucles touffues et luisantes, des cheveux durs comme des crins, un cou blanc et rond comme celui d'une femme, un front magnifique séparé par ce sillon puissant que les grands projets, les grandes pensées, les fortes méditations inscrivent au front des grands hommes ; un teint olivâtre marbré de taches rouges, un nez carré, des yeux de feu, puis les joues creusées, marquées de deux rides longues pleines de souffrances, une bouche à sourire sarde et un petit menton mince et trop court ; la patte d'oie aux tempes, les yeux caves, roulant sous des arcades sourcilières comme deux globes ardents ; mais, malgré tous ces indices de passions violentes, un air calme, profondément résigné, la voix d'une douceur pénétrante, et qui m'a surpris au Palais par sa facilité, la vraie voix de l'orateur, tantôt pure et rusée, tantôt insinuante, et tonnant quand il le faut, puis se pliant au sarcasme et devenant alors incisive. Monsieur Albert Savaron est de moyenne taille, ni gras ni maigre. Enfin il a des mains de prélat. »


Balzac en 1843


Balzac projette de se rendre chez Madame Hanska. Le 14 juillet 1843, il se déplace à l’ambassade de Russie pour faire viser son passeport. Il est reçu par le secrétaire d’ambassade, Victor Balabine, qui écrira dans son Journal :

« Faites entrer, dis-je au garçon de bureau. Aussitôt m’apparut un petit homme gros, gras, figure de panetier, tournure de savetier, envergure de tonnelier, allure de bonnetier, mine de cabaretier, et voilà ! il n’a pas le sou, donc il va en Russie ; il va en Russie, donc il n’a pas le sou.»


Les derniers jours de Balzac (1850)


Il gardera jusqu’aux derniers jours l’intensité du regard qui a frappé tous ses contemporains.

Quelques jours avant sa mort Balzac reçoit la visite d’Auguste Vacquerie.

« Auguste Vacquerie qui vint le voir fut effrayé de sa pâleur, de son amaigrissement, mais surpris de l’intensité de son regard où se réfugiait toute la vie. - Je garde, dit-il, le souvenir de ces deux grands yeux noirs interrogateurs. » ( Madame Hanska le dernier amour de Balzac », Albert Arrault – Arrault et Cie, Tours 1949, page 199).

Le 20 Juin 1850, Balzac, alité et dans un état d’extrême faiblesse, dicte à Eve Hanska une lettre adressée à son ami Théophile Gautier. Au bas de cette lettre, Balzac, à grand peine, griffonne de sa main quelques mots à peine déchiffrables et sans doute les derniers rédigés de sa main. Ces mots annoncent, par un raccourci émouvant, le terme de son voyage :

« Je ne puis ni lire ni écrire »


***


Maintenant, il est temps de vous dire comment j'ai vraiment découvert Balzac. Bien sûr, j'ai commencé par lire quelques-uns de ses romans et j'ai tout de suite été saisi par sa puissance d'évocation, l'intensité de ses personnages et la précision de ses descriptions qui dévoilent le fond en présentant la forme, car rien n'a échappé à son regard. Et si je devais citer deux titres incontournables, je proposerais Le père Goriot et la Peau de Chagrin.

Mais pour moi, il y a un livre qu'il faut avoir lu pour comprendre l'univers balzacien il s'agit de la biographie écrite par André Maurois : "Prométhée ou la vie de Balzac"(1). C'est après la lecture de ce livre que je suis passé de la simple curiosité à la passion pour tout ce qui concerne la vie et l'oeuvre de celui qui est pour moi, le plus grand romancier de tous les temps. Ce livre est la clé de compréhension de l'oeuvre. Il démontre que l'auteur de la comédie humaine n'est pas seulement un grand écrivain, c'était aussi un homme bon et généreux, optimiste, sans cesse à la recherche de l'absolu, excessif dans ses défauts comme dans ses qualités, travailleur infatigable, conscient de son génie et donc parfois un peu vaniteux. Sa vie était à l'image de son oeuvre, où la grandeur côtoie la décadence, mais c'est justement dans ces contrastes que résident la beauté, la force et l'humanité d'Honoré de Balzac.

"Parlons de Balzac, cela fait du bien", écrivait Gérard de Nerval.

(1) Prométhée ou la vie de Balzac, Flammarion 1992, 692 pages.



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