Chapitre 8

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  Dominique est installé dans un genre de rocking chair et regarde par la fenêtre, méditant sur ce qu’il a appris. Je suis assise à la table avec Clément. Il murmure, et cela m’apaise. Il ne m’a pas entendue crier sur Matthias. S’il savait, il me réprimanderait. Clément n’exagère jamais en rien. Et moi, j’ai encore dépassé les bornes. Ce que j’ai dit au scientifique était méchant, j’en ai conscience.

— C’est bon, tu es repue ? dit-il en souriant. Tu as presque mangé tous les gâteaux à toi toute seule.

Sa voix me berce. J’ai le regard dans le vague, je respire calmement. Il ne dit plus rien. Parle encore… Je vais arrêter le temps, parce que ce moment mérite d’être photographié dans ma mémoire. Même s’il n’existera bientôt plus nulle part. Ni dans le temps, ni dans l’espace.

— C’est fou comme tant de Léa sont gourmandes, ajoute-t-il pensivement.

— Tu m’étonnes… Nadia aussi, doit l’être. Peut-être qu’en me rencontrant, Matthias a eu l’impression de lui parler. Peut-être que je suis identique à elle.

— Nadia ? Hum. Aucun clone n’est identique aux autres. Leurs goûts se ressemblent seulement. Leurs mimiques. Mais ils sont différents.

— Et… puisque certaines Léa sont en couple avec certains Clément… tu pourrais, alors que tu me considères comme une amie, tomber amoureux de Nadia. Bizarre, non ?

— Autant que d’aimer une fille et pas sa sœur jumelle. Rien de bizarre là-dedans. Mais ce qui rapproche les Clément des Léa, ce n’est pas seulement la compatibilité de leur caractère. C’est tout le temps qu’ils ont passé ensemble, dès le début de leur vie. On ne pourrait pas me remplacer ma Léa par une autre. Je le saurais.

Il est de bonne humeur. Peut-être qu’il essaie de me changer les idées. Peut-être qu’il a vu que pour moi, il n’y a plus d’issue possible. Que nous sommes en train d’attendre sans rien faire. Que Matthias, dans l’atelier à l’étage, pourrait bien être en train de pleurer dans un coin. À cause de moi. Oui, ce serait sans doute à cause de moi. Mais qu’est-ce que ça change ?

— Tu le savais, toi ? questionné-je soudain.

— De quoi ?

— Qu’on est dans le corps de Julien.

Pour la première fois depuis trop longtemps, je me force à fixer Clément dans les yeux. Et j’ai raison, car je vois quelque chose que je n’aurais pas vu, et cela aurait tout changé. Il n’est pas d’accord avec moi, et il est cent pour cent sincère.

— Non… le corps de Julien ? Non, non.

Je me lève, le laissant interdit devant l’assiette de biscuits vide. Je grimpe les escaliers quatre à quatre. Dans l’atelier, Matthias a sorti des dizaines de plans et les lit avec concentration, fouillant dans une petite trappe ouverte sur le côté du cylindre. Il a commencé à réfléchir. Enfin.

— Matthias ? J’ai besoin de toute votre attention.

Il se retourne vers moi et me jette un regard noir.

— Oui, bon, désolée pour tout à l’heure. J’ai besoin que vous me racontiez votre histoire. Rapidement, bien sûr. Mais donnez moi les détails de ce qui s’est passé lorsque vous avez rencontré nos clones, jusqu’à ce que vous soyez partis dans le corps de Julien.

— Je t’ai déjà raconté le plus important. Mais si tu y tiens…

Il referme la trappe du cylindre, pose un tournevis sur le tabouret, au-dessus de mon gilet.

— J’étais tranquillement chez-moi à Giapès, et je lisais les derniers événements sur un appareil que tu ne connais pas, mais qui permet de s’informer de ce qui se passe dans le monde. Les catastrophes naturelles avaient déjà commencé. Soudain, j’entends une pluie battante se déverser dehors. Je me dis : « Tiens, ce n’était pas prévu ». Et…

— Détail inutile, par exemple, marmonné-je.

— Oui, oui. Mais au même moment, on frappe à la porte. J’ouvre, et vous êtes là, Julien et Nadia, trempés jusqu’aux os, accompagnés d’un homme emmitouflé dans un habit dont tu ne dois pas connaître le nom, qui permet de ne pas être touché par la pluie, et qui englobait sa tête, si bien que je…

— Oui, okay, un k-way avec une capuche, quoi. Et ensuite ?

— Eh bien, je les ai laissés entrer, parce qu’ils n’avaient nulle part où aller. Au moment où ils ont fait un pas chez moi, boum ! Les éclairs et le tonnerre. On en était à peu près au même point qu’ici en ce moment. Puis Julien m’a expliqué le système de nos univers et qui il était. J’ai assez vite adhéré à sa théorie. Je sentais qu’il disait la vérité. Et puis, au bout d’une demi-journée, vous m’avez annoncé… je veux dire, ils m’ont annoncé qu’il fallait que je parte, miniaturisé, dans une cellule du corps de Julien afin de… sauver le monde. Et tu as raison, je n’étais pas à la hauteur. C’est difficile à entendre, mais c’est la vérité. Je n’ai pas la moindre idée de ce que je dois faire. Ils m’avaient pourtant dit qu’une fois parvenu jusqu’ici, je comprendrais. Ils avaient confiance en moi.

Il se prend la tête dans les mains. Je me mets à sourire, mais il ne le remarque pas. Je lâche un petit rire. Il me dévisage, confus.

— Vous en faites pas, Matthias. Je crois que j’ai résolu le mystère. Attendez-moi, voulez-vous ? Il faut que je parle avec Clément.

Je dévale les escaliers et rejoins mon ami, qui m’attendait avec impatience. Il veut savoir pourquoi j’ai parlé de Nadia et de Julien surtout, pourquoi j’ai cru que la cellule que nous habitons était celle de son corps.

Je lui fais signe de m’accompagner dans la cuisine et ferme la porte. Dominique ne doit surtout pas nous entendre. Je me pose à la fenêtre, et je regarde le temps se déchaîner sur la petite cabane qui sert de poulailler, dans le jardin. Elle a l’air solide. Si ma théorie est juste, ça tiendra le temps qu’il faudra. Sinon, j’irai moi-même chercher les poules pour les rentrer. Parole de génie.

— Sacré orage, n’est-ce pas ?

— Léa, crache le morceau.

— Notre belle planète… est-elle l’une des cellules du Matthias d’au-dessus ?

Clément déglutit, mal à l’aise.

— Oui, répond-il. Ce qui veut dire que notre Matthias ne vient pas d’au-dessus, mais il le pense.

J’acquiesce. Matthias a été trompé. Il n’a pas été envoyé dans le corps de Julien comme on le lui a dit. Il a été envoyé dans le corps de l’un de ses doubles… venu d’ailleurs. L’homme au K-way, dont il n’a probablement pas vu le visage à cause de sa capuche.

— Je n’y comprends rien, avoue alors Clément. Il est impossible que Matthias... Il ne peut y avoir deux doubles sur la même planète.

— La preuve que si, dis-je en faisant un signe vers la porte de la cuisine.

— Mais… si nous vivons dans le corps du Matthias d’au-dessus, dit Clément, d’où vient réellement Matthias ?

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